ECOLES DE MANAGEMENT

Après «l’affaire Wauquiez» : jusqu’où laisser les intervenants s’exprimer ?

Ce n’est pas ici notre propos d’analyser si les propos de Laurent Wauquiez devant les étudiants de l’emlyon sont allés trop loin – il y accuse Nicolas Sarkozy d’avoir mis sur écoute des membres du gouvernement, Emmanuel Macron d’avoir mis en place une « cellule de démolition » contre François Fillon et affirmer que Gérald Darmanin, à l’époque visé par deux enquêtes, « sait ce qu’il a fait » -, ni de se demander ni si les médias ont fait ou pas leur travail en les publiant. Mais seulement de nous interroger, notamment avec le directeur de l’emlyon Bernard Belletante (relire son entretien complet) sur la liberté de parole dont on peut se revendiquer quand on disserte devant des étudiants.

  • Le cours de Laurent Wauquiez n’était ouvert qu’aux volontaires justifiant de leur intérêt particulier et en a finalement réuni de l’ordre de 35. C’était la troisième fois qu’il intervenait.

Quel était le sujet ? Avant le début des cours le directeur académique d’emlyon, Thierry Picq, présentait ainsi le cours qu’allait donner le président des Républicains : « L’objectif de ce cours est de discuter de grandes problématiques clés pour le futur. Laurent Wauquiez anime régulièrement des séminaires de ce type à Sciences Po et l’ENA, et interviendra comme expert, et évidemment de façon apolitique. Il s’agit d’une belle opportunité d’échanger avec un observateur-acteur avisé sur des grandes questions contemporaines ».

« Ce n’est pas un cours au sens strict du terme. Il livre une pensée, ce sont des échanges intellectuels », assurait-on au cabinet de Laurent Wauquiez à la région Auvergne-Rhône-Alpes (lire l’article du Monde). Intitulé « Politique économique comparée » son cours vise à délivrer des « pistes de compréhension du monde actuel et des grands défis à venir », d’après le syllabus la première journée sera consacrée au « diktat de la transparence », la deuxième au « nouvel âge des populismes » et la troisième aux « frontières face aux flux migratoires ».

Laurent Wauquiez a-t-il vraiment été piégé ? Celui qui fut un temps ministre de l’Enseignement supérieur a-t-il vraiment été surpris d’apprendre une évidence : les étudiants sont des communicants acharnés et il est illusoire de croire qu’on puisse s’exprimer devant eux sans retrouver ses paroles le lendemain un peu partout. Alors Laurent Wauquiez croyait-il vraiment que le huis clos demandé puisse être respecté ? D’autant qu’il n’avait pas fait signer de clause de confidentialité. Ou s’est-il laissé aller à des confidences un peu trop appuyées alors que c’était la troisième fois qu’il venait donner un cours et se sentait en confiance. Il avait en tout cas prévenu au début du cours que « si j’ai la moindre interface qui sort par le moindre élève, là pour le coup ça se passera très mal ».

S’il est effectivement illégal d’enregistrer quelqu’un sans son assentiment ce n’est pas en portant plainte contre des journalistes – qui auraient poussé des étudiants à le faire – qu’il s’attaquera aux coupables mais bien contre les étudiants présents. Ce qu’il ne semble pas prêt à faire.

Quelle réaction du côté d’emlyon ? Pas plus que Laurent Wauquiez la direction d’emlyon n’entend prendre des sanctions contre les étudiants présents comme l’a indiqué son président (et député La République en Marche), Bruno Bonnel. La question même de savoir si c’est bien un étudiant qui a l’enregistré reste posée assure son directeur général, Bernard Belletante : « Aujourd’hui, nous ne savons pas si c’est un étudiant. Ensuite, nous sommes toujours dans une démarche de progrès et d’explication ». 

S’il a préféré ne pas s’exprimer publiquement dans un premier temps, écrivant seulement à ses étudiants que « si nos intervenants extérieurs ne sont plus sûrs de la confidentialité de leur propos ils pourront ne plus venir, ce qui se fera au détriment de la diversité des personnalités qui viennent sur le campus », Bernard Belletante est revenu ensuite sur le sujet dans l’entretien que nous publions ci-dessous pour expliquer qu’« une école de management comme la nôtre doit préparer ses étudiants à rencontrer des personnalités de haut niveau. A être en face d’eux pour les voir autrement. A pouvoir leur adresser la parole et à les contester. Les faire intervenir au sein même de l’école leur apporte une autre vision du monde ».

Liberté académique, jusqu’où ? Des propositions de cours de personnalités, écoles et universités en reçoivent régulièrement. Et on peut imaginer à quel point il était difficile pour emlyon de ne pas se saisir de celle du président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes. Certes celui-ci ne contribue pas autrement que par le versement de bourses aux étudiants au fonctionnement de l’école mais son influence va forcément bien au-delà. Le tout est ensuite que le cours présente un véritable intérêt comme semblent le dire la plupart des étudiants interrogés (lire dans Le Figaro Etudiant). Ce dont semble néanmoins douter Bruno Bonnel qui dit « regretter « profondément qu’un engagement de faire un cours apolitique et inspirant soit devenu une tribune politique et désespérante ». Et d’asséner : « C’est plutôt sain d’accueillir dans l’école des gens capables de développer le sens critique de nos élèves mais là c’est une déception vis-à-vis de la qualité de ce qu’il a dit, selon les extraits publiés car ce n’est pas ce qu’on attend d’un mec du niveau de Wauquiez ».

Question : Laurent Wauquiez viendra-t-il donner de nouveaux cours les 16 et 17 mars comme c’était prévu ?

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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