ECOLES DE MANAGEMENT

« Ce distanciel est bien plus onéreux à mettre en place que le présentiel »: entretien avec le vice dean de Skema, Patrice Houdayer

La rentrée s’était bien passée mais il a fallu passer ensuite au pur distanciel. Et les écoles se sont adaptées et ont investi pour le faire à l’image de Skema. L’état des lieux d’un monde en mode Covid-19 par le vice dean de Skema, Patrice Houdayer.

Olivier Rollot : Différentes études montrent que les business schools font mieux que résister à la crise de la Covid. L’enquête 2020 du Graduate Management Admission Council’s sur les tendances des inscriptions dans les business schools montre même que 67% des masters en gestion ont vu leurs effectifs progresser. Comment ont évolué les effectifs de Skema cette année ?

Patrice Houdayer : En août, les effectifs de Skema ont augmenté de 20%. Cette croissance doit beaucoup aux mastères spécialisés (puisque ces derniers ont enregistré une hausse de 40% des inscriptions), mais aussi à l’augmentation du nombre d’étudiants internationaux en MSc. Grâce aux démarches entreprises par les écoles de management auprès du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), les consulats français ont pu réouvrir et accorder des visas aux étudiants. Nous avons aussi bénéficié du soutien accordé par le gouvernement aux formations en alternance et ce, que ce soit dans le cadre des contrats d’apprentissage ou des contrats de professionnalisation. Là encore, nous avons été entendus… puisqu’initialement, seules les formations d’un niveau inférieur à bac+3 étaient concernées. Or, à aujourd’hui, Skema reçoit plus de 800 étudiants au sein de ses mastères spécialisés.

Pour finir, nous pouvons dire que nous sommes satisfaits de la progression de nos recrutements en classes préparatoires même si, cette année (et contrairement à ce qui se passe habituellement), cette progression n’a pas été matérialisée par des résultats officiels. Toutes les écoles sont solidaires de cette décision majoritaire même si, à titre personnel, il me semble que nous avons toujours collectivement à gagner lorsque nous faisons preuve d’une totale transparence.

O. R : Skema n’a donc pas trop souffert de la chute de la mobilité internationale ?

P. H : Dès avril dernier, nous savions que la rentrée ne serait pas « normale » étant donné que beaucoup de frontières étaient, restaient et allaient sans doute rester fermées. Nous avions donc anticipé de nouveaux fonctionnement… tout en sachant que notre modèle multi-campus nous permet également de recevoir des étudiants sur place. C’est ainsi qu’en Chine, en cette année 2020-21, nous accueillons 250 étudiants… dont une grande partie d’étudiants chinois qui auraient dû rejoindre la France et restent finalement là-bas (où, soi-dit en passant, les restrictions sanitaires sont désormais en mesure d’être vraiment réduites). A Raleigh, aux États-Unis, le campus a également réouvert et reçoit 150 étudiants de nationalités diverses, tout comme à Belo-Horizonte, au Brésil, où ils sont 150 (dont 90 Brésiliens seulement).

En France, comme je vous le disais précédemment, les effectifs de nos MSc progressent largement (MSc qui, là encore, accueillent des étudiants venant du monde entier). Quant aux étudiants français, ils sont actuellement 500 sur les campus précités… et 1500 souhaiteraient se rendre sur ces campus au second semestre. Aujourd’hui, le Brésil, les Etats-Unis et l’Afrique du Sud (où est implanté notre quatrième campus international) continuent de délivrer des visas étudiants. Mais ce n’est toujours pas le cas de la Chine.

Pour Skema, à l’heure où les établissements partenaires sont parfois réticents à ouvrir leurs portes à des étudiants étrangers, le fait d’avoir ses propres campus sur d’autres continents est donc un atout supplémentaire. Cela s’ajoute à la possibilité qu’a chaque étudiant de commencer son cursus en ligne en attendant de pouvoir voyager. A noter que quelques-uns préfèrent d’ailleurs ne pas se déplacer, même si cela signifie aussi devoir se caler sur le fuseau horaire auquel sont délivrés les cours !

O. R : Mais que se passe-t-il pour les étudiants qui ne peuvent pas réaliser leur séjour obligatoire à l’international ? Ou leur stage d’ailleurs ?

P. H : En cette période exceptionnelle, à partir du moment où toutes les autres conditions sont remplies, il nous est possible de diplômer les étudiants et ce, même s’ils n’ont pu effectuer leur expérience à l’international ou en entreprise. Le jury, qui est souverain, sait faire preuve de bienveillance. Il l’a déjà prouvé en juillet dernier.

O. R : Confinement. Déconfinement. Reconfinement. Comment Skema fait-elle pour s’adapter à chaque changement de mode d’enseignement ?

P. H : Dès la fin du premier confinement, nous avons réfléchi à la mise au point d’une pédagogie hybride permettant de réaliser en même temps les cours en face à face avec 50% des étudiants et les cours en distanciel avec les autres étudiants. Nous avons alors rapidement investi (un million d’euros !) dans du matériel permettant de réaliser cela. Nous pouvons donc dorénavant basculer facilement d’un mode à l’autre. J’ai coutume de dire que nous avons réalisé en neuf mois ce que nous espérions faire en trois à cinq ans ! Par ailleurs, la rentrée de septembre 2020 a été reportée au 15 du mois. Cela a donné le temps à tous les étudiants, y compris internationaux, de nous rejoindre… et de s’adapter à la pédagogie hybride précédemment citée. Je dois le dire : les retours des étudiants ont été excellents.

O. R : Faire une rentrée en présentiel était-il absolument nécessaire ?

P. H : Les étudiants choisissent leur école pour y suivre des cours, mais aussi pour y vivre une expérience. Avoir pu venir découvrir nos campus a été une expérience enrichissante pour tous ceux qui arrivaient pour la première fois à Skema. Pendant sept semaines, ils ont pu intégrer des associations et participer à des événements. C’est indispensable quand on a 20 ans. Et c’était simple à mettre en œuvre puisque la moitié des étudiants était chacun leur tour en cours ou à distance.

O. R : Cela permet-il aux étudiants de discuter avec leurs professeurs en dehors des cours ?

P. H : En sus des cours et des connexions interpersonnelles étudiants/ étudiants ou étudiants/ enseignants, nous organisons également, chaque semaine, une à deux heures d’interaction pendant lesquelles des cohortes d’étudiants « rencontrent » virtuellement leur responsable de programme. Ainsi, hier, 300 étudiants de la première année du Programme Grande Ecole étaient visioconférence avec leur responsable de programme… responsable qu’ils ont réellement appris à connaître lors de leurs premières semaines in-situ, en même temps qu’ils découvraient leurs enseignants et apprenaient à se connaître les uns les autres.

De cette façon, les interactions en distanciel qui sont imposées par le confinement actuel sont la prolongation des contacts réels noués sur le campus en début d’année scolaire… des contacts réels essentiels pour vivre l’expérience étudiante et se créer un réseau. A 20-22 ans, mais aussi à 30-40 ans dans nos programmes diplômants en formation continue.

O. R : Quelle plateforme d’enseignement à distance avez-vous choisie ?

P. H : Nous avons privilégié Teams et certains outils complémentaires permettant de voter ou de faire des sondages. Kahoot permet ainsi de réaliser des sondages en temps réel. Jusqu’à 1000 étudiants peuvent voter simultanément, avant de voir les résultats de ces votes immédiatement affichés. Nous utilisons également Live Event pour diffuser des conférences. Mais il y a cinq ans déjà que nous délivrons des cours en multiplex sur tous nos campus…

O. R : Comment vos professeurs s’adaptent-ils à cet enseignement à distance qui est devenu la norme ?

P. H : Afin de correctement préparer nos 160 professeurs permanents (mais aussi nos 800 intervenants extérieurs), des milliers d’heures de formation ont été délivrées depuis le mois de mars. Le passage fin octobre du 50% au 100% distanciel a donc été relativement simple. Les enseignants ont vite assimilé toutes les potentialités de la plateforme. Il leur a juste fallu apprendre à se passer d’un public.

O. R : Tous vos professeurs sont-ils des adeptes des nouvelles technologies ?

P. H : 25 de nos enseignants sont vraiment très à l’aise dans ce domaine puisqu’ils délivrent des programmes qui étaient déjà majoritairement en ligne, comme notre Global EMBA. Ils sont aujourd’hui des contributeurs essentiels aux cafés pédagogiques internes organisés avec l’ensemble du corps professoral sur ces sujets. Jusqu’au reconfinement, les intervenants externes étaient, quant à eux, soutenus par 60 moniteurs-étudiants.

O. R : Que dites-vous à ceux qui réclament des baisses de frais de scolarité du fait de ce passage au distanciel ?

P. H : Je leur répondrais que ce « distanciel » est bien plus onéreux à mettre en place que le « présentiel » classique puisqu’il implique un achat de matériel conséquent (comme évoqué précédemment)… en plus de temps de formation et d’accompagnement eux-mêmes loin d’être gratuits mais aussi des recrutements de spécialistes dédiés.

O. R : Mais l’expérience n’est-elle pas forcément différente de celle du présentiel ?

P. H : Nous avons le même niveau d’exigence en matière de qualité de formation. Si le contexte nous impose un tel bouleversement et transforme la façon dont on enseigne, cela ne remet certainement pas en cause ni notre exigence ni cette qualité.

O. R : Comment réagissez-vous quand on critique les étudiants pour leur supposée irresponsabilité vis-à-vis de la Covid ?

P. H : Sur nos campus, le respect des consignes sanitaires est total… et ce, d’autant plus que nous y recevons beaucoup d’étudiants internationaux pour lesquels c’est une évidence. Cela dit, il est certain que les règles sont plus difficiles à faire respecter en dehors des campus. Des étudiants contaminés, il y en a forcément. Mais nous nous devons de constater que la majorité d’entre eux est très responsable. Ainsi ces étudiants qui, dès avant le confinement, ont demandé à suivre leurs cours à distance parce qu’ils vivent avec des personnes fragiles. Stigmatiser les étudiants est vraiment dommageable, surtout pour ceux qui ont déjà vécu deux confinements, ont été enfermés pendant des mois pour préparer leurs concours… et ont une conscience tout à fait aigüe de la situation.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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