ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

Comment financer la montée en puissance de l’apprentissage ?

On le pressentait : la réforme de l’apprentissage devait tôt ou tard achopper sur la question de son financement. Ce qu’on ignorait c’est que ce serait plus tôt que tard. Associée à la prime à l’embauche des jeunes la réforme aurait en effet, selon des chiffres provisoires, conduit à une hausse de 19 % de la signature de nouveaux contrats d’apprentissage en 2020 pour atteindre le chiffre record de 420 000. Résultat : dès novembre 2020 le ministère du Travail semblait tenté de s’attaquer au financement d’un apprentissage dans l’enseignement supérieur qu’il ne porte pas forcément dans son cœur. « Le ministère du Travail doit comprendre qu’il est logique que l’apprentissage soit maintenant courant dans l’enseignement supérieur de par la tertiarisation de notre économie », défend Mathias Emmerich, le tout nouveau président du groupe Inseec U. Et d’insister : « Aujourd’hui ce serait très difficile de revenir sur cette réforme alors qu’il va être difficile pour les jeunes de se placer à tous les niveaux de la formation. Retirer le tapis de l’apprentissage, ce serait vraiment mettre en cause l’avenir de la jeunesse ! Il ne faut pas encore une fois la pénaliser alors que l’apprentissage donne à ceux qui l’ont choisi une meilleure employabilité ».

Comment financer le système ? En septembre 2020 un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances sur les Conséquences financières de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle estimait que selon la moyenne de ses prévisions–qui semblent réalistes au vu des résultats 2020 – on devrait monter à plus de 522 000 contrats d’apprentissage signés en 2023. Dans le même temps le reflux des nouveaux contrats de professionnalisation serait d’environ 30 000 (183 000 signés en 2023 contre 213 900 en 2020).

Dans cette hypothèse, le surcoût des contrats d’apprentissage serait alors de 574 M€ en 2021, 549 M€ en 2022 et 495 M€ en 2023 soit 1,6 milliard d’euros de 2021 à 2023. Résultat le solde de trésorerie de l’année consolidé se creuserait à – 1 765 M€ en 2021, s’améliorerait en 2022 tout en restant négatif à hauteur de – 752 M€ avant de s’accroître notablement à – 2 140 M€ en 2023.

Pour ramener le système à l’équilibre les experts préconisent notamment la réduction des niveaux moyens de prises en charge des contrats d’apprentissage de 2020 à 2023 de 3% annuellement comme la mise en œuvre au plus tôt de la modulation des niveaux de prise en charge prévue par la loi. La mission ayant « observé une structure de l’apprentissage très déformée par rapport à la référence allemande, avec une part beaucoup plus faible des niveaux de qualification secondaire ou supérieur court » elle préconise que ce soit « sur les formations de niveaux I et II que porte l’effort ». La détermination d’un niveau plafond de prise en charge à 73006€ par contrat permettrait en effet selon elle de minorer le remboursement annuel de 405M€ en 2023.

Cette référence à l’Allemagne fait bondir Philippe Grassaud, le directeur général d’Eduservices, groupe dont la moitié des étudiants sont apprentis : « Il faut en être fier : aujourd’hui la France a un meilleur système d’apprentissage que l’Allemagne ». Quant au débat actuel sur le financement il regrette qu’on se soit « contenté de greffer les coûts contrats déclarés en préfecture sans entrer dans la complexité de nos métiers ». Il assure : « L’apprentissage est aujourd’hui autant victime de son succès que de l’empilement des domaines ».

Un enseignement supérieur particulièrement dynamique. En 2019 la hausse du nombre de contrats d’apprentissage signés dans l’enseignement supérieur avait déjà été particulièrement forte : 13,4% après 8,1% en 2018. En tout, c’étaient ainsi 203 800 apprentis qui suivaient une formation de l’enseignement supérieur en apprentissage sur un total de 478 000 :

  • les effectifs de niveau III augmentent de 8,3 % grâce à la croissance continue du nombre des effectifs en BTS (79 200 élèves) ;
  • le nombre d’apprentis en niveau II croît même d’un peu plus de 25% (+ 9,3 % pour la licence (près de 22 900 étudiants) et 56% pour les autres diplômes de niveau II) ;
  • le nombre d’apprentis en niveau I continue d’augmenter fortement (+ 14,8 %), pour tous les types de diplômes : les effectifs en master croissent de 10,7 % (19 400 étudiants en formation), ceux en diplôme d’ingénieur de 4,9 % (24 400 étudiants en formation) et dans les autres diplômes de 34,9%.

 

Des abus ? On l’annonçait fin décembre, cela se précise aujourd’hui selon Les Echos. Le ministère du Travail s’intéresse à une vingtaine d’établissements qui auraient déclaré un nombre anormalement élevé d’étudiants n’ayant pas trouvé d’employeur. L’objectif : toucher jusqu’à 3 000 euros par jeune. Dans le cadre du plan jeune les CFA peuvent en effet conserver un jeune le temps qu’il trouve un employeur – jusqu’à six mois – en échange d’un forfait de 500 euros par mois pour couvrir sa formation.

Au total, jusqu’à 10 000 contrats seraient concernés sur les 38 000 apprentis qui restent aujourd’hui sans contrat dont 1 377 dans les écoles ESG (groupe Galileo). Ce chiffre pourrait correspondre au nombre de jeunes « qui avaient manifesté de l’intérêt pour l’apprentissage mais qu’on a inscrits en formation initiale parce qu’on avait des doutes sur leur capacité à trouver un contrat », indique le directeur des affaires publiques de Galileo, Julien Blanc, qui précise qu’aujourd’hui seulement 66 jeunes seraient toujours sans contrat sur les 786 qui avaient été inscrits dans cette catégorie. Sont également citées par Les Echos l’école Studi –qui n’aurait touché aucune aide – Adaforss et l’Ensmi. Il serait en tout cas dommage pour autant jeter l’opprobre sur l’ensemble des écoles. Comme l’exprimait le 18 décembre dans un communique le Chapitre des écoles de management de la Conférence des Grandes écoles (CGE) : « Le problème réside dans le fait que des centaines d’officines se créent chaque année et sont capables sans aucun contrôle d’aucune autorité de délivrer des certificats qui ne sont pas reconnus par le Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation qui est notre Ministère de tutelle ».

Olivier Rollot (@ORollot)

 

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend