POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Comment l’enseignement supérieur va-t-il résister à la crise post Covid-19 ?

« Notre trésorerie est extrêmement saine et nous a permis d’affronter la tempête. Pour autant, si nous devions affronter deux, trois nouvelles tempêtes, je ne tiendrais sans doute plus le même discours » (Loick Roche, directeur général de Grenoble EM). « Il va nous falloir faire le bilan sur nos dépenses liées à la crise mais aussi toutes les rentrées que nous n’avons pas » (Olivier David, président de l’université Rennes 2 et co-animateur du groupe de travail dédié au déconfinement de la CPU). « Nous sommes dans une compétition internationale dans laquelle les routes sont tracées par les prédécesseurs. Perdre des parts de marché aujourd’hui pour des problématiques administratives c’est perdre de la compétitivité pour longtemps », (Jacques Fayolle, président de la Cdefi et directeur de Télécom Saint-Etienne). A l’heure où blanchit la campagne Grande écoles et universités s’interrogent : comment gérer la crise économique qui s’annonce ?

Jusqu’ici ça ne va pas trop mal… A l’exception des établissements d’enseignement supérieur très engagés dans la formation continue, l’exercice 2019-2020 ne devrait pas être trop mauvais pour les établissements d’enseignement supérieur. Certains avancent même que la baisse des coûts de gestion des bâtiments associée à du chômage partiel et à une quasi-disparition des frais de déplacement compensent les frais de développement du passage en ligne et l’atonie des entreprises.

De par leur modèle économique les écoles de management sont en première ligne. « La crise est arrivée en clôture de l’année 2019-20 donc peu touchés. En formation continue, les formations sont reportées, pas annulées. Il n’y a que dans notre filiale spécialisée dans le maritime et le portuaire, l’IPER, qui accueille des cadres internationaux, que des formations ont été annulées », remarque le directeur général de l’EM Normandie, Elian Pilvin. Le président de la Fesic et directeur d’UniLaSalle, Philippe Choquet, établit un bilan similaire : « Les organisations ont tenu et l’impact sera modéré dans cette première phase ».

… mais qu’en sera-t-il en 2020-21 ? Les problèmes sont bien identifiés. Et ils sont nombreux comme le note Philippe Choquet : « Les écoles recevant un taux important d’étudiants étrangers vont être handicapées avec des élèves qui, constatant qu’ils ne pourraient pas venir, jetteraient l’éponge. Les partenariats avec les entreprises devraient également être réduits, qu’il s’agisse de recherche ou de versement de la taxe d’apprentissage. D’autant qu’il y avait toute une dimension marketing dans leurs financements, notamment pour recruter des jeunes diplômés sur un marché qui était très porteur ». La situation pourrait être particulièrement difficile pour les « petites » écoles de management si les plus importantes recrutent plus massivement des étudiants français faute de pouvoir recruter à l’international.

« Les activités liées à l’executive education se sont quasi-arrêtées net le 16 mars. Elles ne reprendront, et encore pour partie, qu’à la rentrée. De même le soutien financier des entreprises pour les chaires de recherche est très érodé. Etc. Les choses vont repartir, mais comme pour les entreprises, ces activités ne vont retrouver un cours normal que d’ici 12-18 mois », analyse Loïck Roche quand Elian Pilvin l’affirme : « Nous avons dû investir pour nous adapter aux nouvelles consignes de sécurité sur nos campus et fait l’acquisition de matériel high-tech. Pour l’année 2020-2021, même si nous nous sommes susceptibles de subir quelques pertes sur certains de nos marchés, notre situation financière est saine et nous pourrons encaisser le choc économique post Covid ».

Dans son étude sur Les stratégies des business schools à l’épreuve du choc du Covid-19 les experts du groupe Xerfi font le constat que « choc du Covid-19 met sous tension la trésorerie des écoles et bouscule leurs stratégies. Il complique à court terme la venue des étudiants et cadres étrangers, cibles les plus rentables. Le gel des programmes de formation par les entreprises et le surcroît de dépenses pour basculer dans une pédagogie 100% numérique rendront l’équation financière plus insoluble encore ». Et s’interrogent sur leur avenir : « Tout dépendra de leur degré de notoriété et de réputation. Nombre d’entre elles seront en situation de retournement et encouragées à faire appel au private equity, voire enclencher un cycle de méga-fusions. D’autres, a contrario, auront les moyens de se montrer offensives ».

Des migrations étudiantes aux campus délocalisés. Can International Higher Education Survive Covid-19? s’interroge le co-fondateur de QS et de Fortuna Admissions, Matt Symonds, dans Forbes. En proie à une résurgence du Covid-19, en conflit de plus en plus ouvert avec l’Etat chinois, les Etats-Unis seront particulièrement touchés alors que plus d’un tiers de leurs de leurs étudiants étrangers viennent de Chine. Plus de 350 000 étudiants qui apportent chaque année 11 milliards de dollars aux universités américaines. Si la situation sanitaire est semble-t-il maîtrisée en Europe universités et Grandes écoles du continent n’en anticipent pas moins de recevoir beaucoup moins d’étudiants étrangers sur leurs campus. L’université de Manchester évoque ainsi une baisse de 80% du nombre d’étudiants étrangers qu’elle recevra, dont 20% de moins pour les ressortissants de l’espace Schengen. Un sérieux manque à gagner que les établissements espèrent résorber en proposant des rentrées à distance.

Si les étudiants ne viennent pas à toi vient à eux préconise Joshua Kobb, vice-doyen de la Zhejiang University International business school à Haining qui estime dans Forbes que « dans la nouvelle normalité, face à la baisse structurelle imminente des inscriptions d’étudiants internationaux et à la perte de revenus de scolarité qui en résulte, la poursuite d’une stratégie offensive de délocalisation est logique pour l’enseignement supérieur ». Cela se traduit par la création de campus à l’étranger, permettant aux établissements d’attirer et de servir plus efficacement les étudiants internationaux en créant une proximité avec le marché et en réduisant les obstacles à l’éducation aux États-Unis. Une stratégie qui est de plus en plus celle de Skema BS comme l’explique son vice dean, Patrice Houdayer : « Nos campus internationaux, aux Etats-Unis, en Chine, au Brésil et en Afrique du Sud, nous permettent d’avoir des accueils régionaux et de recevoir les étudiants près de chez eux.  Parce qu’il permet de recruter des étudiants partout dans le monde mais aussi de les accueillir, le modèle global de Skema est renforcé ».

Des amphis aux écrans… Avant même le début de la pandémie, un certain nombre d’universités américaines étaient déjà confrontées à des chiffres d’inscription en chute libre pour leurs programmes sur le campus. Et en regard à une hausse des demandes de cours en ligne « Plutôt que d’infliger un enseignement en ligne à un public peu disposé, ce que la pandémie a réellement fait, c’est accélérer une forme de prestation qui avait déjà un sens croissant pour beaucoup dans la communauté étudiante mondiale », soutient Matt Symonds. Trois études de cabinets de conseil américains se penchent justement sur le sujet de l’évolution du business model des universités américaines. La première date d’avant le Covid-19 (Kaufman Hall, 2020 Higher Education Financial Trends, Challenges, and Priorities Revealed) et les deux autres lui sont postérieures : Coronavirus: How should US higher education plan for an uncertain future? (McKinsey) et Higher education remade byCOVID-19 Scenarios for resilient leaders | 3 – 5years (Deloitte).

Les trois scénarios de McKinsey pour 2020-2021

Selon McKinsey, même dans son scénario le plus optimiste, ce sont 25% des institutions publiques et près de la moitié des institutions privées sans but lucratif qui pourraient souffrir de déficits budgétaires de plus de 5%. Dans le scénario d’une escalade pandémique, le pourcentage d’établissements d’enseignement supérieur américains connaissant des déficits budgétaires de plus de 5% passera à plus de la moitié. Pour les collèges privés à but non lucratif, ce pourcentage passera à 77%. De son côté Deloitte craint que des milliers d’universités soient obligées de « fermer ou de fusionner en raison d’une exacerbation de la situation financière antérieure à COVID-19 » alors que les « méga universités – institutions de grande taille, nationales et principalement en ligne – constatent une augmentation des inscriptions ».

Pour sortir de la spirale du déficit tous les experts américains sont d’avis que l’avenir est à l’enseignement à distance – hybride ou totale – et que cela signifie une baisse des rentrées pour les universités dans la mesure où les programme à distance sont traditionnellement moins chers. « C’est un prix psychologique qui s’impose parce qu’on ne voit pas tout le personnel engagé dans les cours en ligne. Les business schools en ligne américaines et espagnoles qui dispensent des programmes haut de gamme occupent des buildings entiers tant leur staff est important », ne peut que regretter le directeur d’EDHEC Online, Benoît Arnaud.

« Allons-nous assister demain à une différenciation entre un enseignement présentiel « premium » et à distance « low cost » ? » s’interroge Philippe Durance, titulaire de la chaire de Prospective et Développement durable des entreprises, des territoires et des réseaux du Cnam et auteur d’une synthèse « post Covid » pour le Groupe Insa en s’appuyant sur les études susnommées ?

Et maintenant une vague de poursuite d’études ? C’est une constante : quand l’emploi se fait rare les étudiants préfèrent poursuivre leurs études que de se trouver encalminés sur un marché de l’emploi sinistré. Ainsi, l’enseignement supérieur français a connu à la rentrée 2009, après la crise de 2008, la plus forte hausse de ses effectifs depuis 1993, qui était également une année de récession, rappelle Le Monde qui s’interroge : « Y aura-t-il 4 % d’étudiants en sus, comme en 2009, ou bien encore plus ? Du premier choc pétrolier (1973) à la chute de Lehman Brothers (2008), la plupart des grandes crises récentes ont débuté à l’automne, alors que les choix éducatifs pour l’année avaient déjà été faits. Cette fois, l’effondrement de l’emploi dès le printemps pourrait pousser les jeunes à prolonger leur formation ».

Du côté des universités Olivier Laboux, vice-président de la Conférence des présidents d’université et ancien président de l’université de Nantes, indique : « Nous ne voulons surtout pas qu’on considère que le rôle des universités dans cette crise soit de trouver des formations pour éviter le chômage aux étudiants. Nous voulons qu’on nous juge pour notre capacité à faire repartir l’activité ». Une hausse des inscriptions en doctorat serait en tout cas une bonne chose car, comme le souligne Christine Gangloff-Ziegler, vice-présidente de la CPU, on devrait assister à une « baisse des inscriptions en doctorat avec la non venue d’étudiants internationaux qui représentent la moitié des effectifs ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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