ECOLE D’INGÉNIEURS

«L’Isep est montée en puissance de manière spectaculaire»: entretien avec Dieudonné Abboud

La montée en puissance de l’économie numérique permet aux écoles d’ingénieurs numériques de connaître une forte croissance. L’Isep s’inscrit dans cette dynamique tout en possédant des atouts propres. Le regard de son directeur, Dieudonné Abboud.

Olivier Rollot : L’Isep c’est l’histoire d’une école qui a gagné en quelques années une position enviable au sein du groupe des meilleures écoles d’ingénieurs postbac. Racontez-la nous.

Dieudonné Abboud : De 2012 à aujourd’hui l’Isep est montée en puissance de manière spectaculaire. Elle le doit notamment à la demande des entreprises pour des jeunes formés aux métiers du numérique même si ce n’est pas la seule spécialité de l’Isep. Nous sommes une école généraliste dans les technologies du numérique – ce qui recouvre aussi bien l’informatique que les télécoms, l’électronique, les systèmes embarqués, le traitement de l’image, le numérique et la santé. Nous proposons également des parcours tels « intelligence des données », qui comprend beaucoup d’intelligence artificielle (IA), ou « réseaux et sécurité », une problématique qui préoccupe beaucoup aujourd’hui comme vous le savez.

Pour parler chiffres, nous sommes passés depuis 2012 de 200 à 400 étudiants par promotion dont, les deux premières années, 150 à 160 dans le nouveau cycle international et 100 dans la classe préparatoire associée. Les autres flux entrent après une classe préparatoire par le concours E3A (60 à 80 chaque année) et en admission sur titre. 30 diplômés de DUT nous rejoignent chaque année pour suivre un cursus en apprentissage. Enfin nous proposons un programme 100% en anglais à des étudiants internationaux.

O. R : L’autre grande nouveauté qui vous a porté a été la création d’un « cycle intégré international » accessible dès le bac que vous évoquiez.

D. A : Un cycle qui reçoit aujourd’hui 160 élèves par promotion en proposant un programme plus équilibré que les classes préparatoires classiques en mêlant les enseignements fondamentaux et des sciences et techniques. Surtout les étudiants y travaillent en mode projet et problèmes et rompent ainsi avec l’enseignement classique. Dès leur première année ils programment des robots, par exemple. Ils agissent comme des ingénieurs en petits groupes sur des systèmes électroniques qu’ils réalisent et testent. Sans oublier un enseignement des humanités – langues, introduction à l’international, à l’interculturalité et à l’économie, engagement personnel, etc. – et un semestre entier à l’international en deuxième année.

En résumé : une classe préparatoire moderne qui, embrasse toutes les intelligences sans se focaliser uniquement sur les mathématiques et la physique. Cette formule nous a d’ailleurs permis de faire progresser notre pourcentage de filles de 18 à 27% dans chaque promotion.

O. R : L’entrepreneuriat étudiant est une autre de vos priorités.

D. A : Nous avons récemment créé un parcours « innovation et entrepreneuriat » et nous accordons depuis 2018 des prêts d’honneur à des créateurs de start up. De concert avec la Caisse des Dépôts et la BPI nous avons un fonds de 600 000 € dont 400 000 € déjà accordés – 20 000€ par créateur – qui seront remboursés dans les cinq ans. De plus nous avons lancé notre propre incubateur en 2017 tout en restant partenaire du PEPITE PON.

En 2008 avec la crise 70% des jeunes pensaient à devenir fonctionnaires. C’est là que nous avons commencé à encourager l’esprit d’entreprendre. Résultat : plus de 50 start up ont été créées par nos diplômés ces cinq dernières années. Un créateur travaille par exemple à un projet destiné aux mal voyants pour les aider à se déplacer au toucher grâce à un système électromagnétique qui traduit les mouvements en sensations sur la peau.

O. R : Tous ces développements ont été permis par votre installation dans de nouveaux locaux à Issy-les-Moulineaux en 2014.

D. A : Cette implantation est effectivement déterminante pour notre développement comme notre internationalisation. Nous avons également pu y créer des espaces de travail en équipe : des box qui reçoivent des groupes de six étudiants pour expérimenter des solutions. En première année ingénieur nos étudiants sont en situation d’apprentissage par projet : deux jours par semaine leur sont consacrés.

Cette année ils s’intéressent tout particulièrement à la question de « l’homme connecté » avec la création d’applications qui permettent par exemple un suivi médical.

O. R : Est-il possible de suivre sa scolarité à l’Isep en apprentissage ?

D. A : C’est même le cas de 20% de chaque promotion et nous avons créé notre propre Centre de formation d’apprentis (CFA) dès 1996. Au début l’apprentissage était réservé aux titulaires d’un DUT puis nous l’avons ouvert plus largement en 2016 en proposant une formation spécifique aux élèves issus de classes préparatoires. Pendant un mois ils se forment au sein de notre junior entreprise pour développer des compétences techniques.

O. R : Êtes-vous satisfait du montant auquel France Compétences valorise vos contrats d’apprentissage ?

D. A : Les quelque 12 000€ par an que préconise France Compétences par contrat, pour des formations comme la nôtre, nous conviennent tout à fait.

O. R : L’Isep est accessible essentiellement après le bac. Qu’en est-il des autres niveaux d’entrée ?

D. A : Dans le cadre du concours Puissance Alpha nous proposons des portes d’entrée successives (de post-bac à post bac+2). Seulement 20 à 30 % de nos étudiants sont ainsi issus de CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles).

O. R : Que pensez-vous de la création du bachelor universitaire de technologie, une sorte de DUT en trois ans ?

D. A : S’il équivaut à un bac+3 technique il pourrait être équivalent à une première année de cycle ingénieur. Les entreprises ont besoin d’un management intermédiaire. Si le « BUT » est conçu pour cela c’est très bien.

Notre souci est de voir s’assécher le vivier des formations post DUT. Nous devons conserver la mixité de notre recrutement en mêlant les étudiants issus de classes préparatoires classiques – qui ont de grandes capacités d’abstraction – , notre cycle international – qui apporte abstraction et maîtrise des technologies – et les voies technologiques.

O. R : Et envisagez-vous la création de votre propre bachelor ?

D. A : Pas prochainement.

O. R : Et vous étendre encore ? Ailleurs qu’en région parisienne ?

D. A : Nous travaillons à des projets d’extension à Paris comme à Issy-les-Moulineaux. Ailleurs en France ou à l’international, nous l’envisageons mais sans créer de campus propres.

O. R : Quel regard jetez-vous sur la réforme du bac et l’arrivée de bacheliers d’un « nouveau style » en 2021 ?

D. A : Il faudrait surtout que le ministère de l’Education comme celui de l’Enseignement supérieur s’adaptent naturellement aux changements technologiques. Sans forcément de grande réforme. Qu’on puisse définir quelles grandes compétences doit absolument maîtriser un citoyen de 18 ans. On ne peut plus dire aux élèves « allez de l’école au bac sans utiliser de PC ou d’outils de connectivités ». Il faut faire des arbitrages en fonction de ce que doit être le profil d’un citoyen éclairé.

La réforme du bac permet des assemblages qui paraissent difficiles à concevoir. Choisir la spécialité mathématiques sans la spécialité physique-chimie cela paraît difficile mais nous devons l’accepter. Pour notre part nous demanderons forcément à nos futurs étudiants d’avoir opté pour la spécialité mathématiques plus une spécialité scientifique en terminale.

Si nous devions recruter des profils ayant opté pour les spécialités mathématiques et sciences économiques cela nous amènerait à faire évoluer notre offre postbac. La réforme va de toute façon nous amener des profils très divers.

O. R : Devrez-vous recourir à des mises à niveau pour certains bacheliers ?

D. A : Il faut renoncer à cette approche de mises à niveau après chaque réforme car elle est écrasante pour les jeunes et de ce fait me semble un handicap plutôt qu’une force. Il faut favoriser la diversité plutôt que dire « on va tous apprendre la physique » à des jeunes qui ont par exemple opté pour les spécialités mathématiques et « numérique et sciences informatiques ». Bien sûr cela va nous demander des adaptations mais nous devons prendre les jeunes tels qu’ils sont et les conduire au diplôme. Ces adaptations devraient introduire les disciplines à la demande (physique, chimie…) avec une large ouverture sur les technologies et les applications – indispensables pour l’ingénieur.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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