POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Diversité sociale dans l’enseignement supérieur : où en est-on ?

Le nombre de boursiers peut fortement varier d’une école à l’autre. Par exemple ici les quatre écoles de Centrale Lille (Ecole Centrale de Lille, l’ITEEM, l’IG2I et l’ENSCL) ont des pourcentages d’étudiants boursiers qui varient de 16,3% à l’ITEEM à 38,5% à l’ENSCL.

« Malgré la massification, les inégalités d’accès aux études supérieures et aux types de formation en fonction du niveau social sont encore très importantes : moins de 30 % des enfants issus de familles modestes accèdent à l’enseignement supérieur, contre près de 90 % parmi les plus aisés », lit-on dans la dernière note du Conseil d’analyse économique (CAE), un think tank du Premier ministre, qui invite à « repenser la stratégie d’investissement dans l’enseignement supérieur pour gagner en efficience et en équité ». Un sujet récurrent depuis de nombreuses années et qui connait aujourd’hui des avancées notoires. Problèmes et solutions.

« Bonifier » les boursiers. La question de l’ouverture sociale dans l’enseignement supérieur concerne essentiellement celles qu’on appelle les « très grandes écoles ». Aux côtés de l’Ecole polytechnique et des Ecoles normales supérieures (ENS) seules HEC Paris, ESCP et Essec ont ainsi été appelées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) à s’impliquer dans une démarche commune. Mais en ordre dispersé. En favorisant les seuls étudiants boursiers cubant – redoublant leur deuxième année de classe préparatoire – dans le cadre d’un nouveau dispositif qui handicape les autres « cubes », HEC Paris entend faire passer un message fort que résume ainsi son directeur général, Eloïc Peyrache : « Les classes préparatoires ont une extraordinaire capacité à réduire les inégalités par rapport à la sortie du bac. Mais cela peut prendre du temps. Maintenir la bonification – ni plus ni moins – pour les étudiants boursiers s’ils cubent nous permet de les mettre sur la même ligne de départ au concours que les carrés non boursiers. Cette année de plus leur donne ainsi toute leur chance d’exprimer tout leur potentiel ». De son côté l’Essec a préféré opter pour un « double appel » à l’oral pour les étudiants boursiers quand ESCP a rendu son cursus absolument gratuit pour les boursiers à partir du rang 4.

A l’ENS Paris ces bonifications seront proportionnelles au niveau des bourses, le taux de bonus commençant à l’échelon 2 jusqu’à être sera doublé pour les boursiers les plus défavorisés socialement, ceux des échelons 5 à 7. Les ENS de Lyon et de Paris-Saclay sont sur la même longueur d’onde mais ont décidé de ne pas appliquer de palier. Dans tous les cas les jurys des oraux n’auraient ensuite pas connaissance des candidat « bonifiés » ou non. Pour l’instant seule l’Ecole polytechnique fait la sourde oreille. Mais aucune ne va aussi loin que Sciences Po. Avec son nouveau concours inauguré cette année, l’IEP entend recevoir 30% de boursiers en leur réservant la procédure CEP (Conventions Education Prioritaire), qui représentera en 2023 15% des admis. Dans le cadre de la voie générale du concours le pourcentage de boursiers du secondaire a déjà considérablement augmenté cette année : 13 % contre seulement 5% en 2020 et 3,8% des admis de 2019.

Ecoles de management : des frais trop importants ? La question se pose particulièrement dans les écoles de management. Selon une étude de l’Étudiant, à la rentrée 2015 un étudiant payait ainsi environ 1 800 euros de moins pas an qu’à la rentrée 2020. Nombreux sont donc les professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) à sonner l’alarme : certains de leurs élèves boursiers, mais pas seulement, ne pourraient pas financer leur cursus comme l’explique Alain Joyeux, le président de l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) : « Nous alertons aussi les écoles sur le montant de leurs frais de scolarité. Quand ils atteignent les 17 500€ par an cela devient insupportable même pour les classes moyennes. D’autant qu’il faut encore y ajouter les frais de vie et le logement. C’est un vrai problème pour les familles auxquelles il faudrait par exemple permettre des défiscalisations de frais de scolarité ». Et d’insister : « Ces frais trop élevés sont une vraie menace pour l’attractivité de la filière. Durant l’été 2021, l’APHEC a été alertée par un nombre anormalement élevé de cas (signalés par les professeurs) d’’étudiants ayant des difficultés à financer leur scolarité. Certes, les écoles prennent des initiatives pour aider leurs étudiants, mais il faut aller beaucoup plus loin. Le problème devient réellement inquiétant ».

Un argument qui rend le directeur de BSB, Stéphan Bourcieu, dubitatif : « Cette année nous sommes passés devant IMT Business schools dans les choix des préparationnaires, alors même que l’école est totalement gratuite pour les bacheliers. Et l’Ecole polytechnique reçoit moins de 10% de boursiers alors même que ses étudiants sont rémunérés ». Pour recevoir plus d’étudiants boursiers il faut aussi préserver le financement actuel de l’apprentissage martèle le directeur : « Au sein de notre Master Grande école le nombre d’apprentis est par exemple passé de 200 il y a trois ans à 560 aujourd’hui. L’action menée par France Compétences est une formidable réussite. Pendant dix ans on a parlé de l’objectif de 500 000 apprentis sans jamais y arriver et nous sommes cette année à plus de 560 000 ! Ce serait une vraie erreur de la part de France Compétences de réduire de façon drastique ces financements alors que le financement mutualisé qui a été mis en œuvre permet aujourd’hui aux PME de recevoir des apprentis. C’est beaucoup plus efficace pour la société que de voir des jeunes aller chez Pôle Emploi ».

Le constat inégalitaire. Comme le rappelle la note du CAE, l’accès à l’enseignement supérieur est près de trois fois plus fréquent chez les jeunes de milieu aisé que pour ceux dont les parents sont parmi les plus modestes : parmi les 20% les moins aisés, environ 1 jeune sur 3 est inscrit ou a été inscrit dans un cursus de l’enseignement supérieur, contre 9 jeunes sur 10 parmi les 10 % les plus aisés.

L’accès aux filières sélectives est encore plus inégalitaire : les jeunes dont les parents font partie des 50% les moins aisés sont 5% à accéder aux CPGE, études de médecine, grandes écoles et doctorats contre 30 % des jeunes dont les parents appartiennent au dernier décile.Selon le CAE, deux facteurs expliquent ces inégalités: le soutien financier des parents d’une part, et de fortes différences dans les aspirations scolaires d’autre part. À 18 ans, 80 % des jeunes dont les parents appartiennent au dernier décile de revenu envisagent d’obtenir un diplôme de master ou un doctorat, contre moins d’un jeune sur trois parmi ceux dont les parents sont les moins aisés. Logique puisque les jeunes issus des familles les plus aisées reçoivent en moyenne trois fois plus d’aides directes et indirectes de leurs parents que les jeunes issus de familles modestes. Une différence que les transferts publics, « pourtant bien orientés vers les moins aisés », ne parviennent pas à combler. Il en résulte un niveau d’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur en France similaire à celui observé aux États-Unis.

Et cela ne risque pas de changer selon le CAE qui constate qu’à « rebours du principe de redistribution et de lissage des inégalités par la dépense publique, l’investissement public pour la formation supérieure des jeunes dont les parents sont les plus aisés est beaucoup plus important que pour les jeunes dont les parents sont plus modestes ». L’ordre de grandeur serait de 1 à 2 (20 000 euros sur six ans contre 10 000 euros) lorsqu’on cumule les dépenses publiques pour la formation supérieure des jeunes entre 18 et 24 ans.

Toujours selon le CAE, ces écarts de dépense publique pour la formation ont surtout pour origine l’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur (qui explique environ 70 % de l’écart entre les jeunes dont les parents sont parmi les 10 % les plus aisés et ceux dont les parents sont parmi les 10 % les moins aisés), davantage que les disparités de coûts des formations suivies après l’entrée dans le système.

Il faut y ajouter les différents transferts sociaux et fiscaux (bourses sur critères sociaux, aides au logement, allocations sociales et familiales et déductions fiscales) dont les jeunes et leurs familles peuvent bénéficier. En effet, si les transferts sociaux sont effectivement ciblés sur les familles des jeunes les plus modestes, leur effet redistributif est contrebalancé par les déductions fiscales dont peuvent bénéficier les parents aisés lorsque leurs enfants poursuivent des études supérieures: les jeunes et les familles les plus aisées recevraient ainsi en moyenne 1,5 fois plus d’aide  publique que les jeunes les moins aisés.

Pourquoi et comment réformer ? Alors que Paris-Dauphine reçoit aujourd’hui 25% de boursiers, son nouveau président, El Mouhoub Mouhoud, veut s’attaquer aux phénomènes d’auto-sélection et d’inhibition sociale. Mais aussi de limites financières, notamment quand il faut financer un séjour à l’international : « Ne pas avoir fait de stage ou de séjour d’études à l’étranger est un vrai facteur d’inégalités. Pour soutenir nos étudiants, qui partent tous en mobilité internationale en troisième année de licence, nous avons mis en place une politique sociale. Chaque année les déplacements et le logement de 20 de nos étudiants sont ainsi totalement pris en charge. Cela représente chaque année un coût de 200 000 euros, un million sur cinq ans, que la fondation nous aide à financer ».

Une politique qui répond à une motivation sociale mais aussi d’efficacité économique insiste le président : « La société se passe encore trop souvent aujourd’hui de compétences remarquables à cause d’inégalités économiques. Dans une société comme la société française, qui souffre d’un vrai phénomène de défiance comme d’une aversion au risque, la diversité est un réducteur de défiance et d’aversion au risque. En vivant dans la diversité nos étudiants sont en effet moins soumis à des inhibitions ou au mimétisme social ».

Le CAE propose de son côté d’adopter une approche plus volontariste pour accroître véritablement la diversité dans les filières sélectives. Alors que la mise en place de quotas de places pour les boursiers ainsi dans Parcoursup « offre de réelles possibilités pour diversifier les recrutements », elle n’a pour l’instant « pas permis de faire significativement baisser la segmentation sociale et scolaire entre les formations ». Le CAE suggère donc qu’une augmentation plus volontariste des quotas soit envisagée pour « permettre une ouverture réelle des différentes filières à tous les profils d’élèves ».

Mais rien ne peut se faire de décisif si on « n’agit pas sur l’autocensure en amont de l’orientation dans le supérieur, dès le collège, afin de réduire les écarts sociaux de niveau scolaire en fin de lycée et d’augmenter les taux d’accès à l’enseignement supérieur des élèves d’origine modeste ». Malgré leur visibilité, les dispositifs type Cordées de la réussite sont restés ciblés sur certains territoires et ne bénéficiaient, avant leur refonte de 2020, qu’à moins de 1,5 % des collégiens et lycéens chaque année. Pour lever les mécanismes d’autocensure, le CAE propose donc de « généraliser la mise en place d’un programme portant sur la déconstruction des stéréotypes sociaux et le renforcement du sentiment de compétence ».

  • Le total des mesures que propose le CAE représente un coût budgétaire annuel de 5,4 milliards d’euros dans un premier scénario et 7,6 milliards dans un second scénario « plus ambitieux ».
  • Lire la note du SIES sur Les boursiers dans l’enseignement supérieur
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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