POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Droits de scolarité des étudiants étrangers : la polémique enfle

Éclipsée par celle des Gilets jaunes une manifestation d’étudiants a eu lieu à Paris le 1er décembre contre l’augmentation des droits de scolarité des étudiants étrangers non communautaires (qui passeront à 2 270 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat). Depuis plusieurs universités ont été bloquées pour protester contre une réforme à laquelle beaucoup d’universitaires – et la totalité des organisation étudiantes – s’opposent formellement. Notamment en raison de son caractère particulièrement discriminatoire envers les étudiants africains, qui n’auraient plus les moyens de venir étudier en France, alors qu’ils y représentent aujourd’hui 45% des étudiants internationaux (24% du Maghreb, 21% du reste de l’Afrique). Certains pays, comme l’Egypte ou la Turquie, ont d’ailleurs déjà indiqué qu’ils étaient prêts à accueillir les étudiants qui ne seraient plus en mesure de venir étudier en France.

Qu’est-ce qui est juste ? Bien des questions émergent depuis longtemps quand on évoque la question des étudiants étrangers et du montant de leur contribution à leur cursus. Et d’abord celle de la contribution de leurs familles quand une scolarité est financée par l’impôt payé uniquement par les familles françaises. « Nos établissements peuvent-ils encore se permettre de financer la scolarité d’étudiants dont le pays ne contribue pas à la scolarité ? », s’interroge le président de la Cdefi, Marc Renner, pour lequel la question du rapport qualité / prix perçu est également au cœur des interrogations : « Peut-on s’affirmer à l’international en proposant des coûts minimalistes quand, ailleurs dans le monde, il y a une notion de valeur-prix ».

Les conséquences n’en paraissent pas moins devoir être forcément négatives en termes d’effectifs. Leur objectif est-il vraiment d’accroitre le nombre d’étudiants étrangers de 330 000 à 500 000 comme il est annoncé ? « Il apparait clairement que le gain attendu de ces droits différenciés pour l’inscription dans une filière menant à un diplôme national sera sans commune mesure avec la somme des effets négatifs que cela générera, tant du point de vue humain que scientifique, stratégique ou économique », regrette l’Alliance des universités de recherche et de formation dans un communiqué. Plus directs encore Jean-Luc Dubois-Randé, président de l’Université Paris-Est Créteil et son équipe demandent au gouvernement de reconsidérer la hausse : « Repousser les étrangers non communautaires en grand nombre, à commencer par de nombreux étudiants francophones, ce serait tourner le dos à une société envisageant l’avenir de manière confiante et dynamique, une société à la fois enracinée dans la richesse de la diversité de cultures et ouverte sur la créativité / fécondité des échanges scientifiques, économiques et culturels internationaux ». Et le président de l’université de Poitiers, Yves Jean, d’enfoncer le clou dans une tribune : « Cette mesure abrupte revient à considérer les étudiants étrangers comme une charge pour le contribuable français et non comme une chance. Mais combien d’étudiants étrangers modestes ont réussi en France ou dans leur pays d’origine grâce à l’ouverture sur le monde qu’incarne l’université française ? »

Différencier les droits de scolarité selon les zones. Dans le large débat qui s’est développé les voix sont nombreuses qui demandent un traitement différencié selon les pays. « Ne serait-il pas préférable de construire une stratégie approfondie, établie sur des zones géographiques différenciées, qui tiendrait compte du coût de la vie et des études dans le pays d’origine, ainsi que du niveau de collaboration scientifique entre établissements français et étrangers ? », s’interroge Matthieu Gallou, président de l’université de Bretagne occidentale dans une tribune au « Monde », lui dont l’université compte 1 200 étudiants africains pour 2 000 étudiants internationaux (soit 10 % environ des effectifs). Même réflexion du côté de Marc Renner : « Il convient en tout cas privilégier les accords de réciprocité comme avec le Québec. En Amérique latine nous avons monté des filières Fitec qui sont un véritable pont avec la France au point que les élèves ingénieurs brésiliens viennent plus en France qu’aux Etats-Unis. Il faut les préserver ».

Également dans Le Monde, le président de l’université de Cergy-Pontoise, François Germinet et le président de Paxter et ancien président de la Conférence des grandes écoles, Pierre Tapie, demandent de leurs côté qu’on « laisse aux universités et aux écoles le soin de décider des frais de scolarité des étudiants non communautaires, en respectant des règles minimales plus souples que celles annoncées : elles exerceront leur sens des responsabilités au service de l’intérêt général ».

Créer des campus à l’étranger. Cela fait également partie du plan du gouvernement. Pour « soutenir l’émergence de projets de formation construits en commun par des établissements français et étrangers », un fonds d’amorçage doté de 5 millions d’euros sera mis en place dès 2019 par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. En 2020, ce sera un fonds de soutien, doté de 20 millions d’euros par an, qui sera créé par l’Agence française de développement afin de soutenir la montée en puissance des projets.

Et ils ne manquent pas. Tout particulièrement en Afrique. Une quarantaine d’universités et de Grandes écoles françaises sont déjà présents en Afrique à travers de campus délocalisés ou la création de CPGE. Plusieurs nouveaux projets sont en construction avec des partenaires africains, comme le Campus Franco-sénégalais ou le Hub franco-ivoirien. Dans son article pour la Conférence des grandes écoles, le directeur du tout campus de emlyon à Casablanca, Tawhid Chtioui, souligne ainsi : « Nous assistons à l’arrivée massive de fonds d’investissements et de groupes privés d’enseignement supérieur en Afrique et en particulier au Maroc comme cela fut le cas en France il y a quelques années, sauf que la demande et les attentes de nos différentes parties-prenantes (élèves, parents, entreprises, gouvernements…) sont complétement différentes et nécessitent des capacités d’adaptation et d’anticipation plus importantes qu’en Europe ou en Amérique du Nord où le secteur est beaucoup plus mature et structuré ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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