Administratrice générale de Grenoble INP, Brigitte Plateau entend plus que jamais faire de son établissement un modèle de pédagogie tout en accompagnant ses étudiants dans la création d’entreprise. Qui sont ses étudiants, comment elle les rend innovant, quelle est leur dimension internationale, toutes ses explications.
Olivier Rollot : Grenoble INP est renommé pour ses innovations pédagogiques. Adaptez-vous vos pédagogies à des étudiants qu’on dit bien différents de leurs aînés ?
Brigitte Plateau : Les étudiants que nous recrutons sont, en grande majorité, adaptés même à une pédagogie traditionnelle. Ce qui ne nous empêche de travailler énormément à faire évoluer : par exemple en pédagogie par problèmes et projets (PPP). Les espaces d’expérimentations permettent également beaucoup de pratiques originales (même à distance parfois) avec nos plateformes en hydraulique, nos salles blanches, FabLab numériques etc.
O. R : Avez-vous de nouveaux projets en matière de pédagogies innovantes ?
B. P : Oui, beaucoup, et je donne un exemple : nous réfléchissons avec une start up à filmer nos cours, sans que cela n’ait un coût exorbitant, avec un système de suivi et de montage automatique. Nous pourrions ainsi créer tout un corpus mis à disposition de tous nos étudiants et réutilisable par les enseignants. Cela pourra servir à transformer l’organisation de nos formations, notamment à destination des apprenants en formation continue, qui ont besoin de pouvoir suivre leurs cours à n’importe quel moment et de pouvoir modulariser.
Un autre exemple est celui de l’équipe PerForm de Grenoble INP, qui est lauréate du prix PEPS « Passion Enseignement et Pédagogie dans le Supérieur » dans la catégorie « soutien à l’innovation » avec le projet « Conduire conjointement un soutien à la pédagogie, à l’usage du numérique et à l’internationalisation des formations ». La particularité de cette équipe, qui réunit 8 personnes, est qu’elle accompagne depuis près de dix ans les enseignants selon trois axes : la pédagogie, l’usage du numérique, la dimension internationale.
O. R : Grenoble INP soutient de nombreuses start-up et investit même dans certaines. Pouvez-vous nous décrire plus précisément les dispositifs que vous mettez en œuvre ?
B. P : En premier lieu, la filiale de Grenoble INP, Grenoble INP Entreprise, investit dans des start-up issues de nos laboratoires et les accompagne dans leur croissance. Par ailleurs, la SATT grenobloise LINKSIUM (obtenue dans le cadre du PIA) offre à Grenoble INP et ses autres actionnaires une modalité de travail en commun et un financement pour la maturation des projets issus des laboratoires. Le pôle Entreprenariat Ozer du site Grenoble Alpes, soutient les étudiants créateurs d’entreprise. Enfin, la French Tech grenobloise propose des espaces de « cowork » et des services d’accélération de croissance. Evidemment, il existe sur le territoire grenoblois plusieurs pépinières crées par les collectivités ou des consortiums d’entreprises. Tous ces dispositifs sont complémentaires et Grenoble INP s’investit dans l’ensemble du dispositif.
O. R : Un exemple de start-up particulièrement innovante montée par vos étudiants ?
B. P : Le projet Oria, imaginé par des élèves de 3ème année à Grenoble INP – Phelma et lauréat du grand prix du concours Campus Création 2016, a remporté le second prix du « Startup Weekend » qui s’est tenu du 14 au 16 octobre à Grenoble (voir la présentation sur YouTube). Il s’agit d’une bague qui révolutionne le rapport avec l’interprétation musicale. Elle traduit les mouvements les plus subtils de la main, afin d’enrichir le contrôle d’un instrument numérique en y ajoutant des effets comme des vibratos ou des filtres.
La philosophie de nos entrepreneurs les pousse à innover dans le domaine musical . Comme ils l’expliquent : « Nous avons souhaité allier notre passion pour la musique et l’innovation technologique pour dépasser les limites de la création et de l’interprétation »
O. R : C’est l’objectif de beaucoup de grandes écoles et d’universités aujourd’hui : parvenez-vous à vous développer en formation continue ?
B. P : Notre chiffre d’affaires atteint les 1,5 M€ avec de grands clients comme STMicroelectronics ou Schneider Electric, auxquels nous délivrons en majorité des stages courts et ad hoc.
O. R : Parlons de vos étudiants. Le niveau des élèves de terminale S serait en chute en maths et physique selon plusieurs études. Comment faites-vous pour former toujours d’excellents ingénieurs ?
B. P : Le lycée doit évoluer et les bacheliers ont aujourd’hui des connaissances différentes de celles de leurs aînés. Par exemple, ils sont meilleurs en recherche d’information en mode autonome, mais ils ont moins d’habilité pour développer des démonstrations mathématiques. Cependant les diplômés des grandes écoles françaises sont prisés : preuve en est la présence importante de nos diplômés dans la Silicon Valley. Je me positionne en faux sur cette baisse de niveau sans explication.
O. R : D’où viennent vos étudiants ?
B. P : Deux tiers de nos étudiants sont issus des classes préparatoires aux grandes écoles, auxquels il faut ajouter 10% issus de notre Prépa intégrée et 5% qui rentrent directement après le bac dans notre école en 5 ans (Esisar). 21% des étudiants sont en poursuite d’études, issus de l’université, soit de DUT, soit de licence. Nous avons 9% inscrits en apprentissage. Un tiers de nos étudiants viennent de la région Auvergne Rhône-Alpes, la moitié des autres régions de France hors région parisienne, d’où proviennent le 5ème de nos étudiants.
O. R : Parvenez-vous à recruter beaucoup de filles ?
B. P : Elles sont 47% dans la Prépa des INP, grâce à une offre de formation pluridisciplinaire, notamment des cours de biologie qui attirent beaucoup de filles. De plus, les filles préfèrent le contrôle continu au couperet des concours. Ensuite, elles sont 43% à Pagora (technologies du papier et bio-raffinerie) mais seulement 17% à l’Ensimag, notre école d’informatique qui souffre de l’image de « geek » des informaticiens.
O. R : Peut-on suivre son cursus en apprentissage ?
B. P : C’est le cas aujourd’hui de 350 de nos 5500 étudiants, ce qui enrichit notre offre de façon significative. Par ailleurs, nous sommes sur la voie de transformations pédagogiques, en augmentant la part des enseignements « learning by doing » et les projets industriels. Nous devons encore progresser dans cette voie de la diversification des modalités d’enseignement.
O. R : Comment faites-vous pour rendre vos étudiants innovateurs dès leur sortie de prépa ?
B. P : Des stages de créativité sont proposés à nos étudiants dans le premier mois de leur intégration. Certains viennent de classe préparatoire, d’autres viennent d’horizons divers : ce stage permet un échange intense entre les acteurs, une mise en situation inédite et révèle à eux-mêmes et aux enseignants des perspectives nouvelles. Un bon démarrage ! Nous les accompagnons ensuite vers l’innovation et, s’ils le veulent, la création d’entreprise.
O. R : Est-ce utile de mixer leur cursus avec ceux d’autres universités et écoles ?
B. P : Nous souhaitons travailler sur la mixité des savoirs entre nos écoles, avec Sciences Po Grenoble ou l’Ecole d’architecture de Grenoble et encore avec diverses composantes de l’Université Grenoble Alpes. Nous travaillons à mettre à disposition des étudiants un espace d’échange pour la proposition de projets pluridisciplinaires, éventuellement avec des entreprises, puis un encadrement et enfin une validation confirmant que leur travail entre bien dans leur cursus.
O. R : Vos étudiants partent-ils longtemps étudier et en stage à l’étranger ? Recevez-vous beaucoup d’étudiants étrangers ?
B. P : 50% de nos étudiants partent aujourd’hui à l’étranger et nous voulons que ce soit le cas de 100% dans les 4 ans. Quant aux étudiants étrangers, ils représentent 20% de nos effectifs et viennent essentiellement suivre des cours de masters internationaux et effectuer des stages en laboratoires, grâce, notamment, à un programme d’une centaine de bourses par an, que nous finançons dans le cadre de notre Idex, mais aussi des financement Erasmus et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
O. R : Avez-vous la possibilité de leur faire payer des droits de scolarité supérieurs aux étudiants français ?
B. P : Oui, nous disposons des masters internationaux pour lesquels nous pouvons demander des frais supplémentaires pour le service international que nous leur offrons.