ECOLES DE MANAGEMENT

«La part du travail à distance et des services aux étudiants va croître»: entretien avec Delphine Manceau (Neoma BS)

Quelle vie après et avec le Covid-19 ? Chaque semaine nous interrogeons des responsables de l’enseignement supérieur pour comprendre comment ils se sont organisés pour répondre au défi. Cette semaine c’est Delphine Manceau, directrice générale de Neoma BS et présidente du Concours Ecricome qui revient sur ces semaines et comment vont se dérouler concours et examens maintenant. Sans oublier la réforme de son programme Grande école (PGE). (Photo : David Morganti)

Olivier Rollot : Vous êtes la présidente du Concours Ecricome. Aujourd’hui toutes les questions de son organisation sont-elles résolues ?

Delphine Manceau : Les épreuves écrites auront lieu du mercredi 24 juin au vendredi 26 juin 2020, laissant 2 jours de repos entre les concours Ecricome et BCE. Il nous reste maintenant à fixer les modalités d’organisation matérielle en fonction des consignes sur la distanciation des candidats dans les salles d’examen. Une commission, à laquelle je participe, y travaille en ce moment au sein du MESRI.

Quant à Ecricome Tremplin, les inscriptions ont été finalisées le 21 avril et les dossiers sont en cours d’évaluation. Les autres aspects principaux sont la suppression des oraux et la réduction de 50% des droits d’inscription avec gratuité pour les boursiers.

O. R : Vous réfléchissez déjà à la réouverture de vos campus. A quelles dates pensez-vous les rouvrir à la rentrée ?

D. M : Aux dates habituelles pour les cursus postbac mais un report en octobre pour nos MSc et pour les Mastères Spécialisés. Pour les MSc (que suivent aussi les étudiants de PGE en 3ème année), il s’agit de laisser quelques semaines supplémentaires aux étudiants internationaux pour qu’ils puissent nous rejoindre. Pour les Mastères Spécialisés, qui ont lieu en alternance, que les étudiants aient le temps de trouver un contrat dans une entreprise.

Enfin, nous réfléchissons à reporter la rentrée des étudiants de 1ère année du PGE de deux semaines. Il s’agit de leur donner le temps de trouver un logement et de s’organiser alors qu’ils connaîtront leur école plus tard que d’habitude, puisque le SIGEM devrait se terminer en août.

O. R : Comment allez-vous vous adapter aux mesures de sécurité destinées à éviter les contaminations au Covid-19 ?

D. M : Nous ferons respecter les gestes barrière et avons déjà passé des commandes très importantes de masques et de gel hydroalcoolique. Nous délivrerons également certains cours à distance pour que les campus ne soient pas autant remplis qu’avant. Quant aux étudiants internationaux qui ne pourraient pas nous rejoindre dès la rentrée, ils pourront suivre des cours à distance avant d’arriver sur nos campus.

O. R : Vous savez déjà quel pourcentage d’étudiants internationaux pourraient ne pas vous rejoindre ?

D. M : C’est une grande préoccupation mais nous avons du mal à savoir ce qui va se passer. Les recrutements se poursuivent pour l’instant, avec un bon taux de croissance des inscriptions par rapport à l’année passée, mais quelle décision prendront-ils cet été ? Nous mettons en place des dispositifs spécifiques en distanciel et nous ferons tout pour leur permettre de bien préparer leur changement de pays.

O. R : La grande satisfaction des établissements d’enseignement supérieur, c’est de constater que l’enseignement à distance fonctionne très bien. Quelles leçons tirez-vous de cette expérimentation à grande échelle ?

D. M : Tout ce que nous venons de réaliser nous pousse à travailler sur de nouvelles initiatives et de nouveaux programmes en ligne. A la mi-mars, il ne nous aura fallu qu’une semaine pour former l’ensemble de nos professeurs et nous réorganiser pour dispenser nos cours 100% en ligne sur la plateforme Zoom. Le 23 mars, tous nos étudiants ont répondu présents. Aujourd’hui, nous dispensons chaque jour 150 à 200 cours à distance avec 4000 étudiants connectés. C’est impressionnant ! Nous avons également mis en place des « Zoom Cafés » pour que les étudiants puissent poser des questions sur la scolarité, les stages, etc. et maintenir un lien social. Les travaux de groupe fonctionnent également très bien. Je tiens à saluer l’effort des professeurs, des personnels et des étudiants.

Pour autant, il est encore trop tôt pour en tirer toutes les leçons sur le plan pédagogique. Il faut bien comprendre que l’enseignement à distance que nous pratiquons aujourd’hui a été imposé par les circonstances et n’est pas volontaire. De plus il n’est pas blended et n’associe pas le distanciel avec du présentiel.

Nous allons donc nous transformer mais c’est trop tôt pour dire comment. Dans une démarche de « test & learn », nous allons faire des enquêtes, des réunions de groupes, des entretiens, à l’automne pour comprendre ce qui marche ou pas et en tirer des enseignements précis. Mais il est certain que certains programmes vont évoluer et que des nouveautés vont être lancées. Par exemple, nous venons de décider de lancer une variante de notre MSc IMLUX (Management du luxe), réalisé depuis des années en partenariat avec le Politecnico de Milan, complètement en ligne. Il y aura désormais deux programmes : un en présentiel (avec un peu de distanciel), un en distanciel (avec un séminaire en présentiel), tous deux en partenariat.

O. R : Certains de vos étudiants connaissent aujourd’hui des difficultés financières. Quels dispositifs avez-vous créés pour leur venir en aide ?

D. M : Nous avons mobilisé en urgence un fonds spécial de 100 000€ pour aider les étudiants en détresse financière. Notamment ceux qui comptaient sur leur stage pour financer leur vie quotidienne ou leur loyer. Nous venons aussi de lancer une campagne de fund raising dédiée avec la création d’un fonds de solidarité par l’Ecole, la Fondation NEOMA et l’Association NEOMA ALUMNI.

Aujourd’hui, nous essayons de convaincre les entreprises de reprendre des stagiaires et de signer de nouveaux contrats d’alternance le plus vite possible.

Si ce n’est pas le cas, ce sont les jeunes issus de milieux modestes qui risquent le plus d’en pâtir. Pour les aider, nous organisons des webinars pour apprendre aux étudiants à bien traiter avec les entreprises à distance, à argumenter, à proposer des alternatives. Nous avons aussi écrit à toutes nos entreprises partenaires. Et avec Frank Bournois et Alice Guilhon, nous avons lancé un appel aux entreprises et aux pouvoirs publics, qui a été publié par « Les Echos ».

O. R : Le marché de l’emploi semble devoir être sinistré cette année. Comment allez-vous aider vos diplômés à trouver un emploi ?

D. M : Beaucoup d’embauches étaient déjà décidées et auront lieu. De plus, nous avons mis au point des dispositifs spécifiques d’accompagnement. Embaucher des jeunes c’est un enjeu de compétitivité à deux, trois ou cinq ans dans un monde digital où ils ont de vraies compétences à apporter.

O. R : S’il fallait positiver sur ces moments que diriez-vous ?

D. M : Nous vivons un management nouveau. Il y a des années que nous enseignons le management dans l’incertitude, nous le vivons pleinement en ce moment ! Par ailleurs, des moments comme celui-ci mettent en évidence la grande implication et l’agilité de nos professeurs, personnels et étudiants. Aujourd’hui nous avons un taux de professeurs formés au digital que nous n’aurions jamais imaginé. C’est une vraie mutation. Et enfin il faut se féliciter de voir à quel point les écoles de management françaises sont solidaires pour affronter cette crise.

O. R : Et dans les années à venir, passée la crise et une année 2020-21 forcément difficile, comment voyez-vous l’avenir ?

D. M : Nous allons bien-sûr revenir au présentiel tout en garantissant la qualité de l’expérience internationale de nos cursus, mais repensés au regard de l’expertise du digital et du distanciel que nous aurons développée. La part du travail à distance et des services aux étudiants va croître. Le télétravail est parfaitement adapté à des réunions courtes mais il manque toute une dimension informelle dans les échanges. Ces discussions avec leurs professeurs, les contacts avec les autres étudiants, c’est d’ailleurs ce qu’attendent nos étudiants. Aujourd’hui il nous manque tout l’informel, l’implicite et le relationnel enrichi.

O. R :  : NEOMA a aussi une actualité propre que vous n’avez pas encore pu mettre en avant dans les circonstances actuelles : la réforme de son programme Grande école. Quelles sont ses grandes orientations ?

D. M : Challenger les méthodes pédagogiques et préparer nos étudiants aux métiers de demain est au cœur de notre projet stratégique. Très logiquement, cette ambition a guidé notre réflexion pour faire évoluer notre Programme Grande école. Ainsi, trois axes directeurs structurent désormais le cursus : l’impact environnemental, les enjeux sociétaux et le développement de nouveaux métiers. Ces sujets seront appréhendés tout au long du nouveau PGE NEOMA, avec des séminaires, des cours dédiés, des conférences, des spécialisations… De nombreuses opportunités seront offertes pour que chaque étudiant s’empare de ces thématiques centrales pour l’avenir.

En parallèle, nous conservons les éléments fondateurs qui font la réputation de notre PGE, comme l’internationalisation du programme avec des partenariats académiques de très haut niveau partout dans le monde et des parcours spécifiques en Finance ou en Entrepreneuriat par exemple. Notre dispositif Entrepreneurs sans frontières vient d’ailleurs d’être récompensé par l’AACSB pour son prix « Innovations that inspire ».

O.R : Avec cette refonte, vous changez également la façon d’enseigner ?

D.M : Oui, nous allons développer le « peer learning » ou l’apprentissage entre pairs. L’étudiant est porteur de savoir, nous souhaitons en faire un axe de partage et d’échange. Par exemple, les étudiants les plus calés en mathématiques, économie, comptabilité du fait de leurs parcours antérieurs (par exemple parce qu’ils ont fait une prépa ECS, ECE ou ECT) accompagneront l’apprentissage des étudiants qui découvrent ces matières : ce nouveau dispositif, appelé NEOSMART, capitalisera sur les connaissances des étudiants et leur volonté de transmettre à leurs camarades.

Quant au professeur, il accompagnera cette transmission en aidant les étudiants « mentors » à prendre conscience de leurs connaissances et en mobilisant les bonnes méthodes pour les transmettre.

Ce dispositif pédagogique favorise un niveau d’engagement beaucoup plus important des étudiants. Nous croyons beaucoup dans cette dynamique de co-construction qui contribue à la création d’une communauté d’apprentissage.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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