Considérée comme l’une des meilleures écoles d’ingénieur postbac, l’ECE Paris, école d’ingénieurs a intégré récemment le groupe Inseec. Christophe Baujault et Lamia Rouai, directeur général et directrice générale déléguée, expliquent comment évolue le positionnement de leur école.
Olivier Rollot : Ces dernières semaine on a beaucoup parlé de la baisse de niveau des lycéens en sciences. Est-ce quelque chose que vous ressentez et comment faites-vous pour y remédier ?
Christophe Baujault : Nos étudiants n’ont clairement pas les mêmes comportements qu’il y a seulement cinq ans : ils sont à la fois hyper-connectés et créatifs tout en manquant de capacités de concentration. Ils pensent qu’on peut tout faire à la fois et on les voit prendre des photos des corrections au lieu de prendre des notes. Mais comment retenir sans noter ? Ils ont subi une réforme du lycée qui les conduit à dupliquer plutôt qu’à raisonner. Pour autant leur cerveau est bien câblé. A nous de le stimuler.
Lamia Rouai : Pour les faire progresser nous nous appuyons sur leur formidable ouverture d’esprit. Mais il est aussi vrai qu’il leur manque bien neuf mois d’enseignement en sciences et que notre cursus ne dure pas cinq ans et neuf mois. Pour bien les former nous avons dû révolutionner tout notre cursus en commençant déjà par leur apprendre à… compter.
Il faut aussi leur montrer comment faire une recherche critique sur Internet avec des cours de recherche bibliographique. Nous possédons des logiciels qui nous montrent tout de suite s’ils se sont contentés de copier/coller les informations sur Wikipedia. Ils ne vont pas à la rencontre des professionnels, ils se contentent des informations les plus accessibles, il faut tout leur apprendre mais c’est passionnant.
O. R : Quelles grandes réformes de votre cursus avez-vous entrepris ?
L. R : Nous avons supprimé tous les cours magistraux dans le premier cycle (les trois premières années) pour les remplacer par des cours interactifs qu’on peut visionner à l’avance et après lesquels nous interrogeons les étudiants. Nous privilégions également les études de cas pour donner envie à nos étudiants de maîtriser les concepts fondamentaux. Pour peu qu’on leur montre en quoi ils sont utiles, comment par exemple il faut comprendre la thermodynamique pour construire une éolienne, les résultats sont vite spectaculaires.
C. B : La cellule parentale demande parfois qu’on leur dispense 50 heures de cours par semaine. Et il faut leur expliquer que n’est pas le nombre d’heures de cours qui compte mais le temps de travail total. Une heure de cours c’est une heure de préparation et une heure d’intégration. Si nous donnions 24 h de cours par semaine nos étudiants devraient travailler en tout 72 h, sans compter les projets.
O. R : Les étudiants adhèrent à ces nouvelles méthodes ?
C. B : Ils arrivent dans l’enseignement supérieur et sont prêts à une rupture avec la façon dont ils ont travaillé au lycée. Comme dans tout changement il y a des freins, surtout quand on leur demande de travailler dans l’inconnu sans être guidés à chaque étape. Notre objectif c’est de les sortir d’un cadre figé pour leur donnée confiance et être créatifs.
L. R : A la rentrée de première année, ils démarrent leur cursus par un séminaire de préparation aux études supérieures. Personne ne les a jamais boostés, le bac a été une formalité, il faut déjà leur apprendre à faire des efforts.
O. R : Comment les rendez-vous créatifs ?
L. R : Nous leur faisons rencontrer des professionnels de la créativité pour leur apprendre à transformer leurs idées. Rapidement ils se challengent entre eux et un FabLab leur permet de les réaliser concrètement. Il est toujours plein !
O. R : Recrutez-vous seulement des bacheliers S
L. R : Nous recrutons également quelques bacheliers STI2D qui ont du mal au début mais finissent pas combler leur retard grâce à des cours pilotes.
O. R : En 5 ans amenez-vous finalement vos diplômés au niveau de ce qu’en attendent les entreprises ?
C. B : Nous y parvenons peu à peu. Les stages sont un élément déclencheur qui leur permettent de valider qu’ils ont les compétences nécessaires. Ils ont un rôle majeur à jouer dans la transition numérique des entreprises, comme par exemple chez Renault qui recrute en ce moment 500 un nombre important d’ ingénieurs pour concevoir l’entreprise du futur.
L. R : Leur faculté d’adaptation, leur créativité, leur autonomie, leur implication sont peu à peu mises en lumière. Ce sont des citoyens engagés qui donnent du sens à leur travail.
O. R : Les associations étudiantes jouent-elles également un rôle important dans leur transformation progressive ?
C. B : Les associations jouent un rôle assez cadré dans le cadre du projet global de l’école. Par ailleurs, transformer les idées en valeurs est l’objectif de l’Idefi (Initiatives d’excellence en formations innovantes) que nous avons obtenu dans le cadre des investissements d’avenir pour notre programme de Valorisation des Projets des Etudiants (VPE). L’idée est que chaque projet étudiant doit être valorisé que ce soit dans un concours, une publication scientifique et même le dépôt d’un brevet ou la création d’une start-up.
O. R : Vos étudiants sont des créateurs d’entreprise ?
C.B : Notre filière entrepreneuriat a déjà permis de créer de belles pépites. A partir de la rentrée 2017 nous allons envoyer ses 20 étudiants suivre un programme d’exception dédié à l’entrepreneuriat le « Start-up Factory », à Genève puis San Francisco avec des étudiants en management de l’Inseec. Ils pourront travailler dans le même incubateur que Spotify, utiliseront le TechShop, un des plus grands FabLabs de San Francisco, rencontreront des investisseurs américains, visiteront des centres d’innovation et suivront des cours délivrés par des professeurs de Berkeley. Le tout sans frais supplémentaires hors le logement.
L.R : A Paris nous incubons chaque année une dizaine d’entreprises. Le site Quatre épingles, qui fait de la « conciergerie de quartier », a par exemple été lancé chez nous. Nos étudiants ont vraiment la fibre entrepreneuriale et à disposition des technologies dont il faut trouver des usages.
O. R : L’ECE a lancé depuis quelques années des laboratoires de recherche. Dans quels axes vous spécialisez-vous ?
L. R : La recherche pilote notre recrutement et est centrée sur nos laboratoires et nos majeures en « interactions hommes/machines », « Big Data », « Nanosciences » et « Modélisation mathématiques ». Nous ne recrutons plus que des enseignant-chercheurs qui dispensent chaque année 200 heures de cours et 100 heures de projet, un modèle proche de celui de l’université.
C. B : Nous avons aujourd’hui 30 enseignants-chercheurs permanents auxquels s’ajoutent trente autres professeurs et 12 doctorants. Ces derniers sont importants pour nous car nous voulons que nos enseignants-chercheurs obtiennent leur HDR (habilitation à diriger des recherches). Il faut montrer ces parcours de recherche aux ingénieurs qui ne pensent pas forcément à son importance dans l’entreprise. Nous tâchons de repérer les profils qui pourraient s’y épanouir car tout le monde n’est bien évidemment pas fait pour la recherche.