POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

« Nous engouffrons des sommes colossales dans un système peu opérationnel »

A quelques mois de l’élection présidentielle, Philippe Jamet (directeur général de l’Institut Mines-Télécom (IMT) et ancien président de la Conférence des grandes écoles) a tenu à s’exprimer à titre personnel sur l’avenir de notre système éducatif. Dans un essai intitulé Éducation française, l’heure de vérité, il fait le constat d’une France qui recule régulièrement dans les enquêtes PISA tout en amenant de plus en plus d’étudiants dans l’enseignement supérieur long (licence-master) au détriment de l’enseignement supérieur court et plus généralement de la problématique générale de la réussite scolaire et étudiante.

 Olivier Rollot : Dans votre livre vous vous montrez très critique sur notre système éducatif dont vous constatez notamment « l’immobilisme étayé par de puissants lobbies ».

Philippe Jamet : Nous sommes tous responsables de l’état des lieux actuel car prisonniers d’un certain nombre de représentations. On demande à notre enseignement supérieur à la fois de recevoir le plus grand nombre et de performer dans les classements internationaux comme celui de Shanghai.

Nous sommes tous embarqués dans une systémique qui nous freine et nous empêche d’exceller. De plus nous engouffrons des sommes colossales dans un système peu opérationnel. Avec à peu près autant d’élèves que nous, l’Allemagne compte 15% d’enseignants de moins. Des enseignants qui sont deux fois mieux payés qu’en France alors qu’ils sont recrutés au niveau bachelor quand il faut un master en France.

O. R : Vous ne croyez pas à la pertinence des objectifs avancés de diplômer toujours plus de jeunes dans le supérieur ?

P. J : On entend nos responsables se féliciter que l’université accueille 40 000 étudiants de plus cette année alors que 70% y échouent. Pour la cohorte entrée à l’université en 2009, le taux de réussite en licence trois ans après est de 26,5% (et à quatre ans de 1a2,1%, soit 38,6% au total). Ce taux était de 40,2% pour la cohorte 2005 alors qu’il atteint 73,6% pour les BTS et 76,2% pour les DUT.

O. R : Vous stigmatisez une sorte de fuite en avant vers le « toujours plus de diplômes, toujours plus élevés ».

P. J : Au lieu d’aller sur un marché de l’emploi qui leur est favorable, ces diplômés de niveau bac+2/3 préfèrent de plus en plus poursuivre leurs études. Si près de 55% des titulaires de BTS choisissent d’entrer sur le marché du travail, seuls 30% des titulaires d’un DUT font de même, un chiffre en recul de 15% en 15 ans. Le tout alors que le titulaire d’un master gagne seulement 15% de plus que celui d’un BTS.

Résultat, en février 2016, « Le Monde Campus » relevait, à l’appui de données de l’Insee, que seulement 5,6% des professions intermédiaires (de technicien à assimilé cadre) étaient au chômage. Il ajoutait que « les spécialistes notent même une importante demande, voire des pénuries, dans les métiers techniques, ainsi que dans la banque et dans les assurances, à ce niveau de formation ».

O. R : Mais pourquoi continue-t-on obstinément dans cette voie ?

P. J : La France réduit l’exposition de ses jeunes au chômage en favorisant un taux d’accès au supérieur par classe d’âge parmi les plus élevés en Europe : 60%.  Aucun autre pays que la France ne cumule ces trois caractéristiques : fort taux d’accès au supérieur, fort chômage ces jeunes et fort taux d’échec.

La rhétorique selon laquelle l’ascenseur social passe forcément par l’envoi de tous les jeunes dans l’enseignement supérieur ne fonctionne pas. De plus elle n’est pas respectueuse de tous les talents en se calant uniquement sur ceux de ceux qui sont bâtis pour des études longues. Enfin comment demander aux universités de fournir de l’excellence si on leur demande avant tout de « stocker » les jeunes ?

O. R : Le problème n’est-il pas aussi la déception de ces étudiants qui sont allés loin dans leurs études sans en retirer les bénéfices escomptés, notamment pécuniaires, quand ils entrent sur le marché du travail ?

P. J : Les enquêtes d’insertion professionnelle des diplômés de l’université se félicitent régulièrement d’un taux d’emploi qui n’a rien à envier aux grandes écoles, ce qui peut sembler vrai au vu des chiffres affichés, à condition de passer sous silence le fait que l’enquête porte sur les taux d’emploi à trente mois, tandis que les chiffres publiés par les grandes écoles représentent généralement la situation 6 mois ou 12 mois après l’obtention du diplôme. De plus l’enquête insertion 2015 précise que le salaire mensuel net médian des emplois à temps plein atteint 1910 € pour les diplômés de master. Les titulaires d’un diplôme bac+5, fussent-ils débutants, ne peuvent-ils pas légitimement aspirer à une meilleure situation ?

Plutôt qu’un passeport pour l’emploi, le diplôme est principalement considéré comme un passeport pour poursuivre des études. On va aujourd’hui jusqu’à donner une sorte de droit au diplôme avec une réforme du master qui promet le droit pour tous les titulaires d’une licence à entrer un master.

O. R : Vous avez fait le diagnostic mais comment sauver le malade ?

P. J : Il faut d’abord investir dans l’enseignement primaire et primaire où tout se joue. Ensuite il faut que les diplômes du secondaire soient des marqueurs d’orientation et de compétences. Par ailleurs, le bac doit devenir un simple diplôme de fin d’études secondaires et pas le premier diplôme de l’enseignement supérieur.

Dans l’enseignement supérieur on doit ajuster l’offre de formation en augmentant le nombre de places dans les filières courtes (BTS, DUT, etc.) et en les regroupant dans un « collège des bacs+2/3 » à l’image des community colleges américains. De plus il serait préférable de confier la formation des étudiants de premier cycle à des professeurs dont la formation est la vocation, les PRAG {professeurs du secondaire enseignant dans l’enseignement supérieur}.

Quant au premier cycle universitaire, il devrait s’orienter vers un mode d’apprentissage intensif et propédeutique plus large. Un peu sur le modèle des colleges américains où on travaille intensément dans un univers de large choix d’enseignement qui permet à chaque étudiant de déterminer sereinement et en pleine connaissance de cause son orientation.

O. R : Tout cela nous permettra-t-il de performer dans les grands classements internationaux où nous semblons au mieux stagner ?

P. J : Nous comptions 22 établissements classés dans les 500 premiers en 2010 et ils sont toujours 22 en 2016. On ne peut pas créer de l’excellence en investissant un peu d’argent un peu partout comme on le fait par exemple avec les Idex : il fallait investir dans trois projets phares plutôt que dix ! De plus, le CNRS ne peut plus mettre les universités dans la position de voir une bonne partie de leur recherche lui échapper. Il faut qu’il reprenne sa mission de base qui était de créer des unités émergentes et des laboratoires clé au niveau national. La dichotomie actuelle a une influence négative sur notre attractivité.

O. R : Vous pensez que le sujet de l’enseignement supérieur peut faire débat dans la campagne présidentielle ?

P. J : A part un candidat qui allait jusqu’à préconiser la suppression du CNRS, les propos entendus au cours de la primaire de la droite ont soigneusement évité les questions qui fâchent. Nous allons voir ce qu’il en sera pour les primaires de la gauche.

Mais la vraie question à se poser est de comment parvenir à offrir à chacun une formation de contenu, de niveau et de rythme adapté, et qui débouche de surcroît sur l’emploi. La formation tout au long de la vie (FTLV) compte encore peu en France où on attend tout de sa formation initiale alors que c’est la clé pour ouvrir l’espace et le temps de la formation.

O. R : Parlons un peu de l’Institut Mines-Télécom (IMT) que vous dirigez et qui est aujourd’hui le principal regroupement d’écoles d’ingénieurs en France avec Télécom ParisTech, Mines ParisTech, des écoles qui fusionnent (Nantes-Brest, Lille-Douai) et compte aussi d’une école de management.

P. J : Nous avançons et faisons bouger les lignes avec un regroupement national qui s’affiche comme très complémentaire de la logique des sites des communautés d’universités et d’établissements (Comue). D’ailleurs nous sommes « actionnaires » de huit de ses sites et présents dans cinq Idex et Isite. Un point essentiel pour nous est de conserver une pleine synergie stratégique entre l’enseignement et la recherche qui ne doivent jamais être séparés, d’autant plus si, comme nos écoles, nous nous positionnons résolument au service de la compétitivité des entreprises.

O. R : Pensez-vous développer un bachelor à l’image de celui de l’Ecole polytechnique ?

P. J : Nous réfléchissons à un modèle différent avec la création d’un bachelor qui débouche principalement sur l’emploi. Une expérimentation en ce sens aura lieu à la rentrée 2017 en Auvergne- Rhône-Alpes, en coopération avec un organisme de formation professionnelle, pour former des cadres numériques dédiés PME. Mais nous pourrions ultérieurement penser à la création d’un bachelor international à l’échelle de l’IMT.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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