ORIENTATION / CONCOURS

L’angoisse de l’organisateur de concours en période de pandémie

L’accueil des jurys des oraux à Grenoble EM en 2019

Faut-il absolument organiser des examens et des de concours en présentiel cette année ? La question se pose depuis plusieurs mois et la semaine dernière les écoles de management ont été amenées à prendre des décisions plus ou moins contraintes pour leurs oraux. Du côté des universités comme des sections de technicien supérieur (STS) la question du maintien des examens en présentiel génère des tensions. Jusqu’au bout la question se posera au même rythme que celui de la pandémie : faut-il réunir des centaines de candidats dans des salles fermées et, dans le cas des oraux des concours, faire traverser plusieurs fois la France à des milliers de candidats – et à ceux qui font passer les oraux – au risque de transformer les campus en clusters ?

Le casse-tête des examens. Depuis le 3 mai, les étudiants peuvent  de nouveau passer leurs partiels en présentiel. Dans un entretien à 20 Minutes paru le 25 avril Frédérique Vidal expliquait que si « les examens terminaux dans les universités pour l’obtention des diplômes ont été suspendus, a priori, ils vont pouvoir reprendre à compter du 3 mai, selon les modalités de contrôle des connaissances qui ont été validées par les établissements : en présentiel, à distance ou via la remise d’un rapport ». Selon elle sur la session du premier semestre, 30 à 40 % des examens ont eu lieu en présentiel. Ils devraient être beaucoup plus nombreux au second semestre.

Un retour au présentiel que le gouvernement entend privilégier pour mieux garantir la valeur des diplômes. Ce qui en mécontente plus d’uns. Alors que beaucoup de candidats au BTS réclamaient le passage de leurs examens en contrôle continu. C’est finalement une épreuve exceptionnelle de rattrapage qui sera proposées en juillet aux candidats au BTS qui auraient échoué aux premières sessions d’examens. De plus Jean-Michel Blanquer a annoncé le 25 avril la création d’un dispositif d’« accompagnement personnalisé » de deux mois pour les candidats malheureux.

Encore plus remontés contre la décision gouvernementale, plus de mille étudiants, le collectif des professionnels de santé C19 et l’association Victimes Coronavirus France ont ainsi déposé le 23 avril un recours en référé au Conseil d’Etat pour annuler tout examen en présentiel et une plainte à la Cour de justice de la République contre Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer pour « mise en danger de la vie d’autrui ». « 400 personnes dans une même salle, pendant que les collèges, lycées et établissements de l’enseignement supérieur sont fermés en raison de la situation sanitaire, cela est incompréhensible et expose ces jeunes non seulement à un risque de contamination par le covid-19, mais aussi à des risques psychologiques », argue Fabrice Di Vizio, l’avocat des professionnels de santé qui porte ces actions.

Annulation d’une épreuve de la BCE. Sans rapport direct avec la pandémie, une illustration de cette difficulté constante à organiser des concours a été faite par l’annulation contrainte d’une épreuve de la BCE, l’un des deux concours de recrutement des écoles de management post prépas. En cause la publication du sujet de dissertation de culture général EDHEC – ESSEC sur le site de Mister Prépa peu après le début de l’épreuve, le jeudi 29 avril. Du fait de cette communication anticipée, des candidats étaient en effet susceptibles d’avoir eu connaissance à l’avance du sujet dans les centres de concours situés au Maroc où l’épreuve a commencé à 15 h (heure française). De plus, un candidat se présentant dans l’heure suivant le début de l’épreuve étant autorisé à composer, certains auraient également pu être prévenus du sujet en France même.Les écoles de la BCE ne pouvant que « constater la rupture d’égalité qui en résulte », elles ont décidé de reprogrammer l’ preuve.

La question reste entière : d’où vient la fuite ? Sans doute pas d’un candidat, le règlement du concours disposant en effet qu’« aucune sortie temporaire ou définitive n’est autorisée pendant la première heure ». Pour connaître l’origine de la fuite l’opérateur du concours et les écoles de la BCE vont porter plainte contre Mister Prepa pour « déterminer les conditions exactes qui ont conduit à la divulgation anticipée de ce sujet, et obtenir réparation du préjudice causé ».

  • L’épreuve a été reprogrammée le lundi 17 mai après-midi, de 14 h à 18 h (heure française dans l’hexagone) pour les 7 473 candidats de la filière économique et commerciale concernés par cette épreuve.

A distance, ce n’est pas si facile ! Revendiquer de passer ses examens en distanciel est une chose, les organiser en est une autre. Témoin ces multiples examens reportés en droit et à l’IAE (institut d’administration des entreprises) de l’université Lyon 3. Le problème y vient tout simplement de serveurs incapables de faire face à l’afflux de connexions, alors que les promotions de l’IAE ou de Droit comptent entre 700 et 900 élèves qui tentent de se connecter en même temps. « Pour les cours, nos plateformes fonctionnent, mais pour les examens, quand on est sur de très gros effectifs, ce n’est pas simple », reconnaît la direction de l’Université sur FranceInfo.

Victime d’autres sortes de problèmes techniques, les écoles de management postbac du Concours SESAME ont même dû se résoudre à renoncer à organiser leurs oraux. n’avaient pourtant pas choisi de solution propre mais la plateforme Easyrecrue/iCIMS se révélait incapable de délivrer les quelques 50 000 entretiens de motivation et de langue programmés. Plus de 1000 candidats se seront donc arrachés les cheveux pour accéder au site, y enregistrer leur entretien de motivation, pour finalement voir leurs efforts oubliés au profit d’un plus simple examen de leurs dossiers. « Cette décision n’a pas été un choix facile, ni pour SESAME, ni pour les écoles, mais reste un choix de raison et bienveillant pour les candidats et leurs parents. Nous sommes naturellement navrés de cette situation », ne peut que constater Vincenzo Esposito Vinzi, président du Concours SESAME et directeur général de l’Essec.

Il faut faire passer les oraux ! S’il est un point sur lequel tout le monde s’accorde dans les Grandes écoles, de management comme d’ingénieurs, c’est qu’il faut que les oraux aient lieu. Et en présentiel ! Les écoles de management recrutant après classes prépas réunies dans le Sigem ont certes décidé d’ouvrir une possibilité de passer les épreuves orales en distanciel mais ce n’est qu’en cas de rattrapage de cas Covid. « Tout au long de la période initiale des concours, nous serons sur du 100% présentiel. Ensuite, un candidat cas contact ou malade n’ayant pu se présenter pourra demander à bénéficier d’une deuxième date. Le Chapitre a souhaité laisser le choix aux écoles, certaines ne proposeront que du présentiel, d’autres du distanciel, et d’autres probablement les deux », explique Nicolas Arnaud, le tout nouveau président du Sigem.

Mais alors, passer les oraux à distance, est-ce possible ? Oui a priori. D’ailleurs les écoles le font déjà pour recruter des étudiants internationaux par exemple. Et si les oraux devaient finalement avoir lieu à distance les écoles de la BCE se sont par exemple engagées collectivement à ouvrir leurs écoles à tous les candidats du territoire qui habitent dans des zones mal connectées à Internet. Quelle que soit l’école dans laquelle ils postulent. « Nous avons bien sûr commencé à travailler au passage des oraux sur les campus mais, s’il faut finalement les organiser à distance, nous le ferons. Nous avons toute l’expérience d’un an d’enseignement à distance derrière nous et du passage d’autres évaluations », assure Jean-François Fiorina, le directeur général adjoint de Grenoble EM.

Les enjeux du « campus power ». La question du passage des oraux oui ou non en présentiel est loin d’être seulement ou question technique ou d’équité. Pour beaucoup d’écoles la venue des candidats sur leurs campus est également une manière de les convaincre de venir y étudier. Une sorte de « campus power » d’autant plus remarquable aujourd’hui que des investissements considérables ont été faits pour rendre les campus plus attractifs. Sans oublier quelques à côté festifs qui rendent les campus encore plus remarquables et peuvent convaincre un candidat de perdre quelques rangs dans les classements de l’école au profit d’une expérience étudiante plus marquée.

Souvenons-nous comment en 2020, en l’absence d’oraux, une école en plein essor depuis plusieurs années comme BSB n’avait finalement pas pu pourvoir toutes les places qu’elle avait ouvertes. « L’absence d’oraux est le facteur principal. Il démontre par l’absurde la pertinence de notre modèle fondé sur l’accompagnement et la proximité, qui doit se vivre au travers de l’expérience BSB d’accueil des admissibles », analysait à l’époque le directeur général de BSB, Stephan Bourcieu, dont l’école était toujours placée à la 1ère ou 2ème place pour la qualité de son accueil par le site Major Prépa. « Il faut comprendre que les candidats n’ont pour la plupart aucun avis sur Dijon et qu’ils découvrent une très belle ville qui est aussi une métropole dynamique, agréable, avec notre campus en plein centre. Autant d’éléments que le digital ne permet pas de montrer. BSB est une école expérientielle qu’il faut venir vivre », insiste Stephan Bourcieu. C’est notamment grâce à cette expérience que vivent les candidats que BSB a réussi à atteindre la 15ème place dans le Sigem en 2018 et 2019 quand les classeurs la voient en moyenne à la 21ème place.

Tous ces enjeux génèrent parfois des tensions entre des écoles d’habitude assez consensuelles se souvient Jean-Christophe Hauguel, président du Sigem de 2014 à 2020, en revenant sur la dernière session : « Cela a effectivement été l’année la plus compliquée avec, pour la première fois, des décisions qui n’ont pas été prises à l’unanimité des membres. Si la décision d’annulation des oraux a été prise à l’unanimité cela n’a pas été le cas pour celle de ne pas publier les désistements croisés qui est passée de justesse. Mais après août-septembre cela n’a plus été un sujet et cette année toutes les statistiques seront de nouveau publiées ».

Les oraux ont-ils des biais ? Un autre effet de l’absence d’oraux sur BSB aura été de fait de faire largement progresser la proportion de filles : 71% quand elles étaient 56% en 2019. « Nous recevons ainsi le même nombre de filles qu’en 2019. Pourquoi ? Sont-elles mieux informées ? Les oraux ont-ils moins d’impact sur elles que sur les garçons ? », s’interroge Stephan Bourcieu.

Cette meilleure représentation du public féminin en l’absence d’oraux aura en tout cas également été notée du côté des concours des écoles normales supérieures en 2020 : à l’ENS-PSL 67 % des admis issus de classes préparatoires pour les deux voies principales (A/L et B/L) étaient des femmes contre 54 % en moyenne les cinq années précédentes, alors qu’elles constituent les trois quarts des candidats. A l’ENS Lyon, pour le concours « lettres et arts », la part de femmes admises a été de 71 %, contre 60 % en 2019. La diversité des lycées d’origine  à l’entrée dans certaines très grandes écoles de management a été plus importante en 2020 que les années précédentes. La reproduction sociale chère à Pierre Bourdieu serait-elle favorisée par les oraux ? Un sujet à examiner de près alors que le Grand oral fait son entrée au bac.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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