ECOLE D’INGÉNIEURS, PORTRAIT / ENTRETIENS

« Le modèle économique de l’EPF permet d’actionner rapidement des leviers »

Changement de structure pour Emmanuel Duflos qui a pris au printemps la direction de l’EPF après deux mandats à la tête de Centrale Lille. Une école différente mais des enjeux qui restent les mêmes pour celui qui est également le nouveau président de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs).

Olivier Rollot : Il y a maintenant six mois que vous avez pris la direction de l’EPF. Largement le temps d’établir un « rapport d’étonnement »…

Emmanuel Duflos : Je ne suis pas étonné. Je retrouve les problématiques sur lesquelles je travaillais à Centrale Lille. Que ce soit le développement de la recherche, la valorisation ou encore la transformation des cursus avec les questions de développement durable les sujets sont très majoritairement les mêmes.

La différence tient aux leviers sur lesquels on peut agir et la capacité de réaction dont on bénéficie. Le modèle économique de l’EPF permet en effet d’actionner rapidement des leviers, de développer une formation, de créer un nouveau campus. Nous maitrisons notre modèle économique pour construire pleinement ce que nous souhaitons, quand le cadre public impose beaucoup plus de contraintes. Mais nous sommes également en responsabilité sur l’ensemble de nos décisions si tout ne se passe pas aussi bien que nous le souhaitons.

Pour autant ne croyez pas que l’État vienne rapidement au secours des établissements publics s’ils rencontrent des difficultés. Depuis le passage aux RCE (responsabilités et compétences élargies) les écoles publiques sont également en responsabilité.

O. R : L’actualité de l’EPF est immobilière. Après avoir emménagé dans un nouveau campus à Paris-Cachan en 2022, vous rénovez celui de Troyes et vous vous installez à Saint-Nazaire.

E. D : Sans oublier Montpellier où nous possédons un très beau campus en centre-ville. A Troyes nous allons emménager à la rentrée dans un bâtiment de 6 500 m2 entièrement rénové qui présente un environnement de travail remarquable. Même chose à Paris-Cachan alors que toutes les surfaces ne sont pas encore aménagées. Quant à Saint-Nazaire nous y avons déposé un permis de construire pour un bâtiment bioclimatique qui sera érigé en 2025. Il prendra alors le relais du bâtiment provisoire dans lequel nous nous sommes installés cette année. Enfin nous aurons également un nouveau bâtiment pour augmenter les capacités d’accueil du campus à Dakar à la rentrée.

O. R : Le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, pousse les écoles d’ingénieurs – et notamment celles qui dépendent de son ministère – à augmenter leurs promotions. Mais y a-t-il assez de vivier aujourd’hui pour former les ingénieurs dont la France a besoin ?

E. D : Il y un travail considérable à réaliser en amont pour redonner l’envie aux jeunes d’aller vers les sciences. Beaucoup plus de femmes pourraient ainsi postuler si, dès le plus jeune âge, le collège, voire le primaire on savait traiter les biais hommes / femmes. Nous avons également une question d’ouverture sociale. Il faut aller chercher des étudiants dans ces viviers.

De même nous ne recevons encore que 10% d’étudiants internationaux. Pour en recevoir plus il faut développer des classes préparatoires comme nous le faisons déjà en Afrique. Les mobilités européennes restent également à favoriser.

Enfin il faut se pencher sur l’évolution de la formation continue pour plus de titulaires d’un DUT, ayant déjà une expérience professionnelle, vers un diplôme d’ingénieur. Il y a là un gros potentiel de formation à mettre en œuvre avec les branches professionnelles. Notamment en réformant les dispositifs de validation des acquis de l’expérience (VAE) qui fonctionnent très peu aujourd’hui. Former plus d’ingénieurs c’est un enjeu qui se dessine à tous les âges.

O. R : Pas d’entretien dans l’enseignement supérieur aujourd’hui sans la question ChatGPT. Quelle politique avez-vous décidée quant à son utilisation par vos étudiants ?

E. D : L’Intelligence artificielle va changer fondamentalement beaucoup de métiers, par exemple l’analyse médicale. Pour autant le contact humain restera important. Nous devons en tout cas faire en sort que les IA ne soient pas des boites noires. Sans oublier les questions de l’éthique et de leur impact environnemental. Les IA reposent sur le stockage de terra octets de données et ont donc un impact carbone important.

Quant à ChatGPT, il ne fait que répéter ce qu’il a appris, sa créativité est restreinte car une IA n’est pas capable de rupture, elle n’aurait pas pu inventer la roue. Les ingénieurs sont donc moins impactés que d’autres du fait de la part de créativité d’innovation de leur métier, ce qui ne nous empêche pas d’intégrer l’IA à toutes nos formations car elle va changer significativement la façon d’appréhender les métiers de l’ingénieur.

O. R : Les Grandes écoles font évoluer leur enseignement pour s’adapter aux transitions environnementales. Que fait l’EPF en la matière ?

E. D : Nous proposons des cours spécifiques avec des Fresques – comme la Fresque du climat – pour faire prendre conscience de la question mais aussi des cours spécifiques tout en l’abordant dans nos enseignements classiques. La durabilité est un thème traité de longue date par l’EPF. Nous l’abordons en profondeur dans le cadre majeures comme « Ingénierie et architecture durables » ou « Design industriel durable ». A Cachan nous avons développé un laboratoire Green Labs, à Montpellier une chaire avec Powr.Earth Foundation avec des modules sur la transformation industrielle et à Saint-Nazaire nous développons toute une expertise sur l’ingénierie des transitions.

O. R : La réforme du bac de 2018 semble avoir des effets délétères sur le niveau de beaucoup de bacheliers en sciences. Que faites-vous pour y remédier ?

E. D : Les pratiques pédagogiques revêtent une importance particulière pour l’EPF. Nous possédons une cellule d’innovation pédagogique et plusieurs de nos enseignants-chercheurs publient dans ce domaine.

La réforme du bac que vous évoquez a eu effectivement des conséquences sur les compétences de nos étudiants. En physique par exemple les bacheliers ne disposent pas des compétences suffisantes pour modeler et avoir le sens physique des choses. Ils ont des connaissances mais qu’ils ne savent pas mobiliser en dehors de l’exercice. En résumé un manque flagrant de sens physique.

Pour y suppléer nous mettons donc en place une nouvelle pédagogie à la rentrée. Il s’agit pour nos élèves de première année d’aborder la physique en trois phases successives avec également des cours de mathématiques complémentaires. La première phase se présente sous la forme de capsules vidéo avec beaucoup d’accompagnement. La deuxième se concentre sur les questions de mise en œuvre avec un problème de physique à résoudre. La troisième montre l’impact de la physique sur la société et la vie de tous les jours au travers de problèmes ouverts à résoudre.

L’important c’est de prendre à bras le corps la baisse du niveau d’entrée dans nos formations qui n’est pas une fatalité. A Montpellier – et demain à Troyes – nos élèves issus d’un bac STI2D bénéficient ainsi d’une pédagogie spécifique pendant deux ans afin de rejoindre ensuite notre cursus généraliste au même niveau que les bacheliers généraux.

O. R : Toujours suite à la réforme du bac on évoque souvent aussi la multiplication des excellents dossiers de bacheliers. Comment sélectionnez-vous vos étudiants ?

E. D : Nous regardons toujours les dossiers sur la base de la formation des candidats. Le recrutement sur dossier et sur concours est différent, avec par exemple un taux de femme qui n’est pas le même. Le concours reste bien sur utile mais ce n’est pas un outil de recrutement objectif absolu.

O. R : Nous avons beaucoup évoqué votre cycle ingénieur. Mais vous proposez également des bachelors. L’EPF est même parmi les premières écoles à avoir franchi le pas.

E. D : Nous proposons même trois bachelors aujourd’hui. C’est stratégique aujourd’hui de former des étudiants à bac+3 pour répondre à la demande des entreprises. Il faut porter le message que c’est intéressant pour les jeunes de se former à ce niveau et d’avoir la possibilité de poursuivre ensuite leur cursus.

O. R : Mais pourquoi les titulaires d’un bachelor poursuivent-ils si nombreux leur cursus ?

E. D : La validation des acquis de l’expérience (VAE) et la formation continue ne sont pas encore assez développées. Dans la mesure où il semble très difficile de reprendre un cursus, il apparait donc préférable de sécuriser son parcours jusqu’au master avant de se lancer dans la vie active. Le système encourage la poursuite d’études initiales jusqu’à bac+5. Le développement du bachelor dans les années à venir sera sans doute lié à celui de la VAE.

O. R : Les formations en apprentissage se sont considérablement développées ces dernières années dans l’enseignement supérieur. Qu’est-ce que cela représente pour l’EPF ?

E. D : Nous avons aujourd’hui 9% d’apprentis parmi nos élèves. Mais quel est le modèle économique pour nous quand le coût de la formation n’est pas totalement pris en compte dans la prise en charge par les OPCO ?

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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