ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

L’apprentissage à la croisée des chemins

La montée vertigineuse du nombre de contrats d’apprentissage

D’un côté un dispositif plébiscité par les familles, les entreprises comme les établissement d’enseignement supérieur, de l’autre un déficit abyssal de près de 6 milliards d’euros. Entre les deux un objectif gouvernemental d’un million d’apprentis en passe d’être atteint. L’apprentissage c’est l’histoire d’une réussite qui semble un peu dépasser tout le monde alors que nombre de formations viennent de vivre un sérieux coup de rabot sur leur niveau de prise en charge (NPEC). Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les Modalités de financement des Centres de formation des apprentis (CFA) vient justement éclairer les débats.

Comment financer l’apprentissage ? Le montant alloué à la prise en charge des contrats d’apprentissage pourrait s’élever à 10,3 Md€ en 2023. Mais comment le financer alors que France Compétences a été en déficit de 546 M€ en 2022 malgré les dotations financières exceptionnelles allouées par l’État ? Dans le contexte de forte croissance du nombre d’entrées en apprentissage (+ 160 % entre 2018 et 2022), la part de la Cufpa (Contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance) dans le financement de l’alternance a en effet diminué jusqu’à représenter en 2022 moins de 40 % du total des ressources.

Dans leur rapport les experts des deux inspections mettent à la fois en exergue « les limites de la méthode actuelle de fixation des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage qui n’est pas compatible avec un objectif de soutenabilité budgétaire » et « l’existence d’un surfinancement global de l’apprentissage par la puissance publique, quoique hétérogène selon les certifications ». L’IGF et l’IGAS remarquent également que « la fixation des NPEC par les branches dans le respect de fourchettes recommandées par France compétences a conduit à des niveaux de prix élevés ». Même s’il est hétérogène, « l’écart entre le NPEC et le coût moyen par apprenti s’élève en moyenne pondérée par les effectifs à environ 1 000 € » selon les deux inspections qui estiment que « le mécanisme de financement des contrats d’apprentissage par les NPEC apparait donc surdimensionné et intrinsèquement inflationniste, sans régulation ni par la norme ni par le marché ».

La mission propose plusieurs scénarios :

  • le scénario 1 consisterait à « mettre sous enveloppe (hors effet volume) le niveau global de prise en charge pour chaque branche » ;
  • le scénario 2 « serait fondé sur la distinction, pour chaque certification, entre un NPEC-socle financé par l’État en fonction des coûts analytiques (dont la localisation des CFA) et des priorités de politique publique (niveau de diplôme, à terme la qualité) et un financement par les branches via des contributions conventionnelles fixées en fonction de leurs propres priorités (développement des compétences) ».

Côté recettes, la mission a mis en lumière le caractère « peu rationnel » de certaines dépenses fiscales au sein de la Cufpa : exemption de certains secteurs pourtant employeurs d’apprentis ou anciens apprentis, allègements faisant double emploi pour les petites entreprises, réduction de taux sur une base géographique. La mission propose de limiter ces pertes de recettes fiscales tout en garantissant une incitation systématique au recrutement d’apprentis. 300 M€ pourraient ainsi entrer dans les caisses de France Compétences.

Réduire le financement de l’enseignement supérieur ? En complément, c’est une antienne constante dans les préconisations de l’Igas guère favorables à l’enseignement supérieur, le rapport préconise une « baisse des NPEC sur les certifications de l’enseignement supérieur pourrait être envisagée sur la base, non des fortes marges, mais de coûts élevés alors même que l’effet d’insertion des jeunes dans l’emploi est moins élevé que pour le secondaire et les niveaux bac +1 et bac +2 ». Une alternative pourrait selon le rapport reposer sur une modulation des aides aux employeurs en fonction du niveau de formation. Les économies dégagées pourraient ainsi « financer des dispositifs favorisant l’entrée en apprentissage des jeunes les moins qualifiés ».

Une idée qui a fait bondir le président de France Universités, Guillaume Gellé, lors de son intervention devant la Commission des affaires culturelles et de l’éducation. l’Assemblée nationale : « Quel paradoxe ! Il n’est pas concevable d’inviter très fortement les universités à professionnaliser leurs formations et en même temps de dévaloriser le dispositif le plus efficace pour y parvenir. Il faut donc soutenir l’alternance, mais en supprimant les effets d’aubaine des formations privées lucratives source de nombreuses désillusions chez les étudiants et leur famille ! »

Autre point de vue du côté de Philippe Grassaud, président de l’association Entreprises Éducatives pour l’Emploi, qui regroupe les principaux acteurs de l’enseignement supérieur privé, et du Groupe Eduservices (lscom, Pigier ou encore Tunon) et compte 40 000 élèves dont une large majorité d’apprentis. Dans l’entretien que nous avons publié la semaine dernière il estimait que si « l’apprentissage doit être aidé et ouvert à tous il faut bien différencier les modalités pédagogiques et ce qui fait le prix de l’apprentissage. Tout le monde doit en profiter mais pas forcément au même niveau. Il faut naturellement plus aider les jeunes qui ont le plus de difficulté d’accès à l’entreprise et le plus de mal financièrement ».

Ce que couvrent les NPEC. Comme le rappelle le rapport de l’IGF et de l’Igas, sont financées par les NPEC les dépenses liées à :

  • la conception, la réalisation des enseignements dispensés pendant le temps de travail dans un CFA, l’accompagnement des élèves dans le cadre des formations réalisées à distance10 ainsi que l’évaluation des compétences acquises par les apprentis11 ;
  • la réalisation des missions d’accompagnement et de promotion de la mixité en matière d’intégration des personnes en situation de handicap, d’égalité entre les femmes et les hommes, de soutien aux apprentis ayant interrompu leur formation ou n’ayant pas obtenu de diplôme à l’issue de leur formation et de soutien aux apprentis dans leurs démarches pour accéder aux aides auxquelles ils peuvent prétendre ;
  • le déploiement d’une démarche qualité engagée pour satisfaire aux exigences liées au cadre de certification prévu par la réforme de 2018 12, étant précisé qu’une majorité des branches s’expriment positivement sur cette perspective.

En revanche, les NPEC ne couvrent pas :

  • les frais de repas et d’hébergement ;
  • les frais de premier équipement ;
  • les frais relatifs à la mobilité européenne et internationale des apprentis;
  • les investissements dont la durée d’amortissement est supérieure à trois ans.

Comment sont calculés les NPEC. La méthode utilisée par France compétences pour calculer la fourchette de valeurs encadrant les NPEC repose sur deux séquences :

  • une première séquence permettant d’aboutir à une fourchette de valeurs, au cours de laquelle France compétences retraite les propositions atypiques des branches situées en dehors d’un intervalle fixé conventionnellement (entre 3 000 € et 25 000 €) puis calcule une valeur dite pivot pour chaque certification et fixe enfin une borne haute aux propositions remontées par les branche ;
  • une seconde séquence visant à plafonner la fourchette par l’observation des coûts moyens de formation d’un apprenti issus de la comptabilité analytique remontée par les CFA. Lorsqu’il existe une remontée de comptabilité analytique, la fourchette est plafonnée par le coût moyen majoré conventionnellement de 50 %. En l’absence de remontée, la fourchette est plafonnée par le coût moyen sur le domaine de spécialité de la certification majorée de 90 %.

Une méthodologie que dénonce le rapport des deux inspections arguant qu’elle « méthode repose sur des paramètres déterminés sans rationnel évident, ce qui nuit à sa compréhension et son acceptabilité par les acteurs de l’apprentissage ». Le niveau de majoration fixé à 50 % du coût moyen d’une certification ne s’appuierait en effet sur « aucune justification en dehors d’une appréciation du degré d’acceptabilité du plafonnement fixé aux NPEC remontés par les branches ».  D’autre part, la méthode de détermination des fourchettes de NPEC « n’intègre pas de manière satisfaisante l’objectif de soutenabilité des dépenses publiques d’apprentissage ».

Les Opco interrogés sont également critiques vis-à-vis du processus actuel d’élaboration des NPEC, en particulier sur son calendrier mais aussi sur « l’absence de prise en compte de la qualité des programmes et contenus financés ». Sept Opco indiquent que, dans deux tiers des cas, les recommandations de NPEC formulées par France compétences ne leur paraissent pas justifiées. De même les 20 commissions paritaires nationales de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNE) s’interrogent sur la méthode de détermination des NPEC au regard notamment de « sa complexité, très largement évoquée, et perceptible par incidente dans quelques réponses ponctuelles de CPNE retraçant de manière erronée les caractéristiques du modèle utilisé ».

Le rôle des régions est également mis en cause par les deux inspections. Si les régions conservent certains financements afin de soutenir les CFA on observe un « rapport de 1 à 13 en 2021 entre les dépenses par apprenti de la région Auvergne-Rhône-Alpes – où les montants par alternant sont les plus faibles – et de la région Hauts-de-France ». La mission propose donc de « supprimer la distinction entre les lignes budgétaires Cufpa et péréquation qui financent conjointement la section alternance des Opco et fixer directement l’enveloppe attribuée à chaque Opco pour certaines dépenses des CFA (investissements, financement des maîtres d’apprentissage) ».

NPEC : comment la baisse a été décidée. Par délibération du conseil d’administration de France compétences en juin 2022,les branches professionnelles ont été invitées à déterminer les nouveaux montants de financement des contrats d’apprentissage en vue d’initier une baisse du niveau de prise en charge (NPEC) des contrats d’apprentissage en cette rentrée 2023. Cette décision avait été prise en conséquence des observations de France compétences« objectivant desécarts entre les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage par certification et les coûts réels ». France compétences a donc « assuré la régulation de cet exercice en veillant à prendre en compte la réalité des coûts de formation observés dans les centres de formation d’apprentis (CFA) ». Après qu’une première baisse de 2,7% des NPEC est intervenue à l’été 2022 (soit environ 300 M€ en année pleine), une seconde baisse, initialement prévue en avril 2023, a été plusieurs fois décalée afin de « vérifier la solidité des analyses et de mieux quantifier les effets de l’inflation sur la structure économique des CFA ». Conformément au calendrier, cette seconde baisse de 5 % (soit environ 500 millions d’euros en année pleine) est intervenue le 8 septembre 2023 et vient conclure ce cycle.

La méthode de régulation repose sur les principes suivants :

  • dans une logique de convergence vers le « juste prix », la baisse n’est pas uniformément appliquée à l’ensemble des NPEC mais ne concerne que les certifications dont le niveau de prise en charge est supérieur au coût observé, en prenant en compte l’inflation ;
  • aucune baisse (hors valeur de carence) ne peut être supérieure à 10 %, et ce afin de ne pas « déstabiliser l’équilibre des CFA ».

Trois cas sont à distinguer pour un titre ou un diplôme donné :

  • le NPEC fixé par la branche est conforme aux recommandations de France compétences: dans ce cas, le NPEC de la branche s’applique à cette certification ;`
  • le NPEC fixé par la branche est non conforme aux recommandations de France compétences ; dans ce cas, le NPEC qui est appliqué à cette branche pour cette certification est la valeur dite de carence. Cette dernière est fixée par un décret publié ce jour ;
  • la branche ne s’est pas prononcée sur la certification considérée. De la même façon que le cas précédent, le NPEC qui s’applique pour cette branche est la valeur dite de carence.

Dans ce contexte les « restes à charge », part prise par les entreprises dans le financement de leurs apprentis, devraient croitre dans les années à venir. Aujourd’hui ils se concentrent essentiellement sur les niveaux bac + 3 à bac +5 dans les CFA de statut privé selon le rapport de l’IGS et de l’Igas. Leurs niveaux moyens s’élevant à 310 euros pour les sociétés commerciales et 375 euros pour les autres structures privées, ce levier étant utilisé de « manière marginale » par les CFA publics et consulaires. En tout les « versements volontaires » des entreprises aux CFA représentaient en 2021 un peu plus de 110 M€, soir un peu moins de 2% de l’ensemble de leurs ressources. Jusqu’où les entreprises seront-elles prêtes à aller alors que certaines branches les en dissuadent ? Une question cruciale alors que tout l’enseignement, et singulièrement l’enseignement supérieur, est devenu « accro » à l’apprentissage.

  • L’ensemble des NPEC applicables aux contrats d’apprentissage signés à compter du 8 septembre 2023 est repris dans un référentiel des NPEC publié par France compétences.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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