L’EM Strasbourg c’est une école de commerce mais aussi un institut d’administration des entreprises (IAE) qui font partie de la grande université pluridisciplinaire de Strasbourg. Un statut tout à fait particulier qui permet à sa directrice, Isabelle Barth (@Isabelle_Barth), de jeter un regard transversal sur ce que sont aujourd’hui les formations en gestion. Entretien.
Olivier Rollot : L’EM Strasbourg est à la fois très connue et finalement très récente. Pouvez-vous nous rappeler sa genèse et ce qu’elle est devenue.
Isabelle Barth: Sous son nom actuel, l’EM Strasbourg est effectivement une école toute jeune créée en 2007 après la fusion entre l’IECS (Institut Européen d’Études Commerciales Supérieures fondée en 1919) et l’IAE de Strasbourg (1953). D’où un réseau d’anciens important, naturellement très présent en Alsace et paradoxalement à l’étranger dû à l’empreinte internationale très forte depuis l’origine de l’école.
Notre challenge depuis 5 ans est d’avoir une meilleure visibilité sur le plan national. Aujourd’hui, nous diplômons chaque année 330 étudiants pour le programme grande école dont les deux tiers sont issus de prépas et un tiers sur titres. Nous avons créé un bachelor Affaires internationales il y a deux ans et nous offrons 22 masters d’Etat et le doctorat grâce à notre appartenance au réseau des IAE.
O. R : Comment vous sentez-vous au sein de l’université de Strasbourg ?
I. B : Elle nous porte vraiment vers l’international et nous permet de monter des projets transversaux avec ses 36 autres composantes, par exemple en ce moment avec sa faculté de Sciences historiques. Nous montons aussi des master class avec la faculté de Philosophie, des diplômes avec l’IEP, la faculté de Pharmacie, la faculté des Sciences du sport, etc. De plus nous bénéficions d’un soutien unanime de la région Alsace, de la chambre de commerce et d’industrie et de la ville : une vraie union sacrée alsacienne sans distinctions politiques.
O. R : Vous n’imaginez pas fusionner un jour avec une autre école de commerce, comme on l’a tant vu ces dernières années ?
I. B : Nous avons fait le choix d’un modèle d’alliance. Nous privilégions les accords avec des établissements dont nous nous sentons proches, et notamment l’ESC Rennes – avec laquelle nous recrutons en commun les élèves de prépas -, à toute idée de fusion. Il en va de même avec l’ICN de Nancy avec qui nous disposons d’un Executive MBA accrédité AMBA. A l’heure où les entreprises sont de plus en plus soucieuses du bien-être au travail, nous avons le projet d’une école qui reste à taille humaine où, concrètement, tout le monde se connait.
O. R : Mais l’EM Strasbourg n’est-elle pas un peu à l’étroit dans ses locaux aujourd’hui ?
I. B : Oui, un projet d’expansion important vient d’être signé dans le cadre du plan Campus avec le soutien de la Communauté urbaine de Strasbourg et de la région Alsace, toujours au cœur de cette belle ville historique de Strasbourg. Nous allons non seulement vers l’agrandissement, mais aussi vers des locaux plus qualitatifs et plus en phase avec les attentes des étudiants.
O. R : L’EM Strasbourg accueille à la fois des programmes d’école de commerce et des cursus d’IAE. Quelles différences notables y a-t-il entre les deux ?
I. B : La principale différence est que les 700 étudiants de l’IAE viennent principalement de la région alors que le programme grande école recrute ses étudiants dans toute la France et à l’étranger via Passworld. Les 32 IAE ne se concurrencent pas contrairement aux grandes écoles de commerce.
Aujourd’hui les écoles de commerce se battent pour une tranche d’un gâteau qui ne grossit pas et la concurrence est terrible entre elles. Le problème majeur de l’IAE est sa relation avec son université de rattachement. Comment obtenir la garantie que les ressources générées par l’IAE – formation continue et apprentissage – vont bien être réinvesties dans son projet ?
O. R : On a parfois l’impression que les sciences de gestion sont les mal aimées de l’université.
I. B : Les regroupements d’universités pluridisciplinaires favorisent plutôt les prix Nobel que les sciences de gestion. D’autant que les sciences du management portent en elles deux défauts originels : d’un côté elles représentent aux yeux de beaucoup une certaine marchandisation du savoir, de l’autre tout le monde pense savoir manager sans imaginer le corpus de compétences et de connaissances requis. Il y a un vrai défi global pour les sciences du management à être plus visibles et plus lisibles. C’est aux chercheurs de relever ce challenge.
O. R : De plus, ce sont des sciences de l’action comme vous l’expliquez dans votre dernier livre: « Le manager et le philosophe ».
I. B : En effet, la recherche en gestion c’est la question du « walk the talk », c’est-à-dire de la mise en œuvre. Une thèse de sciences de gestion qui ne ferait pas de propositions managériales poserait aujourd’hui problème. Les articles de recherche en sciences de gestion proposent toujours des applications quand les économistes ou les sociologues comprennent et analysent mais ne font pas forcément avancer les sujets.
Prenons l’exemple du management de la diversité, sujet sur lequel je travaille avec mon équipe. Il existe par exemple une abondante littérature sur l’importance de l’apparence physique mais ensuite que fait-on ? C’est bien la question de la conduite du changement qui doit guider nos recherches, or c’est un peu comme la différence en médecine entre le chercheur et le généraliste : l’action sur le terrain n’est pas forcément la plus noble. L’EM Strasbourg a la chance de travailler avec deux laboratoires de sciences de gestion labellisés Aeres et d’y accueillir 50 doctorants.
O. R : Justement, n’y a-t-il pas eu des dérives dans la recherche en gestion ces dernières années avec l’avènement d’une recherche de moins en moins appliquée ?
I. B : Nous avons assisté à une espèce de « bulle » de la recherche en gestion : on a confondu publication et recherche en privilégiant la publication d’articles lus par trois personnes dans le monde à une recherche plus qualitative et plus ancrée dans l’action. Aujourd’hui on en revient et on parle à nouveau de pédagogie même si certaines écoles considèrent encore qu’elles ont d’un côté des enseignants-chercheurs et de l’autre des chercheurs. Mais un grand chercheur doit être capable de parler simplement à tout le monde !
O. R : Tout le monde en parle comme de la priorité des années à venir : comment rend-on les étudiants créateurs d’entreprise et innovants?
I. B : Il n’y a pas de clé magique de l’innovation mais plutôt la mise en œuvre d’un ensemble de dispositifs qui la favorise. Mais attention à bien réfléchir au public des écoles de management. Quand vous faites une prépa, quand vous visez une grande école, c’est avant tout pour réduire l’incertitude et le risque. Ce qui peut être en tension avec la notion d’entrepreneuriat. Il faut rester modeste quand on sait que le premier antécédent des créateurs d’entreprise est d’avoir des parents qui l’étaient déjà, mais cela rend le défi encore plus passionnant.
Ce qui ne signifie pas que les étudiants des grandes écoles ne sont pas capables d’être innovants et créateurs. Nous mettons d’ailleurs à leur disposition tout l’éco-système nécessaire avec La Ruche, créée fin 2013. L’objectif est de les amener à conduire des projets et de leur donner des postures d’innovation.
Nous avons également créé un Bachelor Jeune Entrepreneur avec une pédagogie complètement innovante fondée sur l’apprentissage par l’action, le travail en équipe et le développement du leadership de l’étudiant et dans lequel ils développent leur propre projet.
O. R : Vous avez beaucoup réfléchi au management de vos étudiants ces dernières années, en instituant notamment de nouvelles règles, pourquoi ?
I. B : Nos intervenants issus du monde de l’entreprise ont été les premiers à se retrouver challengés par des étudiants qui veulent apprendre autrement. Nous avons étudié leurs attentes, comme celles des enseignants et des intervenants, et institué de nouvelles règles, que ce soit sur l’assiduité en cours ou la possibilité ou non d’interdire l’ordinateur en cours. Un véritable contrat moral entre des étudiants qui sont demandeurs de règles et les enseignants.
De plus, nous avons créé une cellule « Innovation et qualité pédagogique ». Pour les enseignants qui ont été longtemps les seuls « sachant » de la classe, ce sont de nouvelles postures et modalités pédagogiques à maîtriser. D’où notre accompagnement pour que cette révolution de la « classe inversée » se fasse sereinement.
O. R : Vous insistez également beaucoup auprès de vos étudiants sur les trois valeurs de l’EM Strasbourg : développement durable, diversité, éthique. Se sentent-ils vraiment concernés ?
I. B : Ils sont en tout cas de plus en plus nombreux à nous dire être venus à l’EM Strasbourg pour ces trois valeurs. Un étudiant éthique c’est un étudiant soucieux de l’environnement et de la différence, qui ne plagie pas, travaille en groupe, contribue à la vie de l’école, respecte ses professeurs et ses camarades. Le respect de la diversité c’est jeter un regard « bienveillant » sur l’autre mais aussi être exigeant avec lui.
Pour « vacciner » nos étudiants aux trois valeurs comme pour aider les enseignants à les traiter, nous venons de créer une plate-forme d’e-learning pour accompagner et former les étudiants aux trois valeurs tout au long de leur scolarité, en accord et en réponse aux standards internationaux : EPAS, AACSB. Elle propose des contenus bibliographiques (articles, ouvrages, vidéos, scénarios vie étudiante/vie professionnelle) ainsi que des mini-cas à réaliser en cours mais également des productions personnelles à fournir et permet d’obtenir un certificat.
A l’EM Strasbourg, la Responsabilité Sociale des Organisations n’est pas optionnelle. Nous avons pour projet, non pas de former uniquement des bons techniciens du management, mais des managers « intelligents », c’est-à-dire capables de veille, de prospective et surtout : responsables et heureux de l’être !
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