INTERNATIONAL, UNIVERSITES

« Les étudiants veulent vivre une expérience internationale »: Christopher Cripps, directeur du développement international de Sorbonne Université

C’est LE grand spécialiste des relations internationales en France. Le seul connaitre aussi bien les écoles de management (Grenoble EM) que les écoles d’ingénieurs (CentraleSupélec et PSL) et maintenant les universités avec Sorbonne Université. Le directeur du développement international de Sorbonne Université, Christopher Cripps, revient sur ses expériences et sur le devenir de relations internationales bien à mal avec la pandémie.

Olivier Rollot : Comment les universités font-elle aujourd’hui pour gérer leurs relations internationales alors qu’il est plus en plus difficile de voyager ?

Christopher Cripps : Parce qu’assez rapidement nous avons tous compris que cela allait durer longtemps, tout le monde change de paradigme. On ne se dit plus : « ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit si on ne peut pas se déplacer ». Non aujourd’hui on organise des ateliers virtuels quand hier il fallait envoyer douze chercheurs au Mexique. Bien sûr c’est moins intéressant et beaucoup moins efficace pour le réseautage mais cela permet également à plus de collègues de s’investir. Hier seuls les douze qui pouvaient voyager étaient concernés, aujourd’hui d’autres peuvent également participer. La question est maintenant de savoir si l’internationalisation universitaire restera ou non une priorité pour les collègues les plus affectés financièrement par la crise sanitaire.

O. R : Parce qu’on ne peut pas travailler durablement à l’international sans se déplacer ?

C. C : Après trente ans de rencontres, de conférences, de visites je vois tous les bons côtés qu’il y a également à ne pas se déplacer pour ne pas subir la Covid-19. Ou même à ne pas perdre de temps pour aller d’un site à l’autre à Paris même. Mais les déplacements n’en manquent pas moins énormément. Il faut comprendre que nous, directeurs des relations internationales, travaillons avant tout dans le relationnel face à des personnes qui incarnent leur institution. Et ça, on a beau faire au mieux sur Zoom ou autres, avoir une lumière soignée, de très beaux visuels dans des webinaires, le face à face ne peut pas être le même.

O. R : Vous le dites, il y a trente ans, jeune Américain venu en séjour académique à Sciences Po Grenoble, vous avez peu à peu embrassé une carrière de directeur des relations internationales. Qu’est-ce qui a le plus changé pendant ces trente ans ?

C. C : Dans les années 90, nous avons assisté en France à une véritable explosion de l’internationalisation dans les écoles de commerce françaises. Elles se sont en effet rendu compte qu’elles ne pouvaient pas lutter efficacement à l’international s’ils se contentaient de dispenser leurs cours en français. Je travaillais à l’époque à Grenoble EM aux côtés de Jean-Paul Léonardi, Thierry Grange et Judith Bouvard. L’école venait d’ouvrir et nous avions toute liberté pour avancer. D’abord en recevant des Américains et des Britanniques pour des voyages d’études dans le cadre d’un Executive-MBA. Et là nous nous rendons vite compte que les étudiants veulent eux aussi obtenir un diplôme international et nous créons le Master in International Business (MIB) qui reçoit 50% d’étudiants internationaux. Suivent des MBA, des MSc et une offre de programmes d’Executive Education destinés surtout à des publics internationaux et la Grenoble Graduate School of Business voit le jour.

O. R : Et là tout le monde veut faire comme vous !

C. C : En 1994-95 nous générons effectivement de l’émulation un peu partout. D’autant que nous étions reconnus. Imaginez la joie immense que nous avons ressentie quand le MIB a intégré le top 10 des masters du Financial Times. C’est là que nous avons compris tout le poids qu’avaient les classements pour une marque totalement inconnue dans une ville pas très connue. Notamment vers la Chine qui s’ouvrait tout juste et dans laquelle nous avons ouvert un bureau de représentation à Shanghai puis fait des présentations dans tout le pays. Vers la fin des années 90, Grenoble EM se transforme en une véritable business school internationale. Nous recevions tellement d’internationaux que je ne parlais presque plus français dans les couloirs !

O. R : La consécration c’est aussi d’obtenir l’accréditation de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) alors qu’à l’époque le «A» de son sigle voulait encore dire «American » et pas encore «Advance»…

C. C : Je pars à Saint-Louis, aux Etats-Unis, pour obtenir d’en devenir membre associé et je les convaincs de venir à Grenoble pour tenir leur première conférence en dehors des États-Unis et du Canada. 200 personnes du monde entier viennent à Grenoble parler international. Nous comprenons vite les critères d’accréditation et l’obtenons peu après. Nous voilà une business school accréditée par l’AACSB et donnant des cours en anglais tout en étant trois fois moins chère que les business schools américaines ! C’est la naissance d’une école internationale dans laquelle je parle anglais à des étudiants qui le demandent quand, dix ans plus tôt, en 1989, ils se demandaient bien en quoi cela leur serait utile. C’est là aussi que nous rebaptisons le Groupe ESC Grenoble qui devient Grenoble Ecole de Management parce que partout dans le monde on nous appelait «Grenoble».

O. R : En 2007 vous quittez Grenoble EM pour une école d’ingénieurs, et pas la moindre !, CentraleSupélec. On l’imagine : un tout autre type d’ambiance ?

C. C : J’avais 38 ans et l’envie d’un nouveau défi. Hervé Biausser, le directeur, voulait internationaliser l’école avec la réforme de son cursus. Je viens d’une école qui a très bien réussi mais dans laquelle on emploie des mots comme «marketing». Je parle de «développement international» et pas de «relations internationales» parce que je vais aussi voir des entreprises, des journalistes et pas seulement des universités quand je visite un pays. Un changement culturel complet dans un univers qui avait dix ans de retard sur Grenoble EM. Que l’aspect commercial gène beaucoup. Qui n’est pas porté sur la communication quand, à Grenoble EM, nous savions que nous devions communiquer ou mourir.

Alors que le programme européen T.I.M.E. initié par Centrale fonctionnait très bien, nous avons travaillé 1 an et demi avec le Groupe des Ecoles Centrale pour formaliser un plan de développement plus large. Et très ambitieux parce que pour Centrale le partenaire ce devait être Stanford. Et nous sommes parvenus à trouver une destination internationale à tous les étudiants. 380 puis 510 environ par promotion.

O. R : C’est là aussi que Centrale lance son antenne en Inde à l’instar de celle de Pékin.

C. C : C’était un rêve de nous implanter en Inde où le déficit d’enseignement supérieur est très important. J’y ai travaillé avec une demi-douzaine de collègues pendant six ans dans le secret total, étude de marché, recherche de partenaires indiens, rencontres avec les instances à Delhi. C’est au bout de trois ans et demi que nous avons rencontré une institution privée, Mahindra, qui est la troisième plus grande entreprise indienne, qui a montré un grand intérêt pour notre projet. Ce choix du privé n’était pas forcément simple à faire passer à Centrale mais de grandes entreprises françaises, implantées en Inde, ont défendu ce choix qui s’est finalement imposé. En 2014 nous l’avons inauguré avec 230 étudiants indiens brillants, sélectionnés lors de concours indiens.

Cela a été la conclusion de six ans de travail qui sont l’orgueil de ma carrière. Six années de négociations, de conflits interculturels à régler chaque jour avec toute une équipe académique franco-indienne car la «Trans National Education» requiert un suivi constant. J’allais pour ma part tous les deux mois en Inde et je crois que n’être ni français ni indien a été un atout.

O. R : Après huit ans à Centrale vous passez trois années à PSL et vous voilà depuis 2019 directeur du développement international de Sorbonne Université. Vous êtes donc l’un des rares professionnels de l’enseignement supérieur français qui aura connu ses trois grands types d’institutions !

C. C : Entrer à Sorbonne Université c’est entrer dans une grande université de recherche qui qui fait de l’internationalisation l’un de ses axes de développement prioritaires. Et qui a tellement d’atouts. Par exemple d’être membre de la LERU (League of European Research Universities, ce qui signifie faire partie des plus grandes universités européennes qui sont très souvent sollicitées par les gouvernements pour donner leur avis. Et aussi ne pas avoir à expliquer le nom de son université où que je sois dans le monde, ce qui ne m’était jamais arrivé !

O. R : Vous ne pouvez pas avoir les mêmes objectifs de mobilité avec plus de 56 000 étudiants dans toutes les disciplines que ceux que vous aviez dans des écoles de bien plus petites tailles.

C. C : Nous travaillons sur un autre paradigme avec ce que j’appellerais une «mobilité créative». Partir longtemps à l’international, un semestre, une année, ne convient pas à tout le monde. Il faut pouvoir envisager des périodes courtes, 15 jours, un mois, comme deux années complètes. J’ai déjà vu des jeunes étudiants s’ouvrir et se transformer en ne passant que huit jours à l’autre bout du monde. Nous travaillons pour donner l’opportunité à tous les étudiants de partir à l’international sans que ce soit pour autant une obligation.

O. R : La mobilité internationale va repartir. Vous en êtes certain ?

C. C : Absolument. Les étudiants veulent vivre une expérience internationale et nous repartirons sur des meilleures bases en 2022. Entre les deux nous aurons pu constater nos lacunes et demain les étudiants du monde entier choisiront encore plus soigneusement leurs destinations. Contrairement à beaucoup d’autres pays la France a su rester ouverte à tous les étudiants et c’est à son crédit. Quant aux partenariats de recherche chacun aura pu constater lesquels sont les plus solides et prometteurs en temps de crise.

Nous devons être ambitieux alors que j’avais toujours trouvé les universités françaises un peu réservées sur la scène internationale si on considère leur niveau d’excellence et leur puissance. Elles doivent encore apprendre à se vendre et ce n’est pas dans leur nature. Comme on dit souvent, la concurrence n’est pas en France !

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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