POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

Les synthèses des évaluations de la recherche du Hcéres : Pour qui ? Pour quoi ?

La stratégie de recherche et d’innovation du Conseil régional de Bretagne

Par Catherine Dargemont

Aujourd’hui directrice de mission chez HEADway, Catherine Dargemont a été directrice de recherches au CNRS en Sciences Biologiques tout en exerçant pendant 15 ans en parallèle des fonctions de direction scientifique, d’administration et management de la recherche (chargée de mission stratégie et relations internationales du CNRS, directrice adjointe du département Sciences du Vivant du CNRS, directrice du département Biologie Santé de l’Agence Nationale de la Recherche, conseiller scientifique au Hcéres).

Le 2 février 2023, le Hcéres annonce la publication des synthèses d’évaluation de la recherche par université fondées sur les rapports d’évaluation des unités de recherche et aggrémentées par les indicateurs bibliométriques produits par l’Observatoire des Sciences et Techniques (OST). Pour le Hcéres, ces documents « constituent pour la gouvernance des universités un outil de pilotage de la politique scientifique » et permettent « d’éclairer pour les organismes de recherche leur action partenariale avec les universités ». Penchons nous sur ces premières évaluations, qui concernent les université bretonnes.

Un peu d’histoire

A l’automne 2011, l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) met en place un groupe de travail « Evaluation et territoires » avec pour objectifs de connaître l’utilisation des différents rapports de l’AERES par les Régions et d’identifier les évolutions à réaliser pour mieux répondre à leurs attentes. En effet, les régions, partenaires de plus en plus importants dans le soutien à la recherche et à l’enseignement supérieur, manifestaient le besoin d’avoir des outils d’aide à la décision et formulaient alors la demande de synthèses régionales des évaluations. Dès l’automne 2012, l’AERES met en place un groupe dédié qui va produire des synthèses intégrées (Etablissements-Formations Master/Doctorat/Recherche) des régions Bretagne, Centre, Auvergne, Alsace, Lorraine, Corse.

En 2014, à partir d’une demande émanant de la coordination territoriale Comue Paris Est, l’AERES rend public une synthèse des évaluations des formations, des unités de recherche et de sa politique de site. Finalement, le Hcéres opte pour un format de synthèses restreintes à la Recherche, à l’échelle des sites, qui alimentent, en interne, la réflexion des comités d’évaluation des établissements et des coordinations territoriales.

Depuis la vague B (2020-2022), le Hcéres restreint ces synthèses à l’échelle des universités.

Le Hcéres vient de mettre en ligne les synthèses des universités bretonnes, Rennes 1 et 2, Université de Bretagne Occidentale (UBO) ainsi que Université de Bretagne Sud (UBS). Que montrent ces synthèses sur l’état de l’art de la Recherche et que ne montrent-elles pas en termes d’évolution et de trajectoire scientifique de ces universités dans un contexte d’évolution de structuration institutionnelle continue depuis 20 ans?

L’évolution de la structuration institutionnelle de l’ESR public en région Bretagne depuis 20 ans

De simples partenariats régionaux prévalaient en Bretagne jusqu’au tournant du XXIème siècle, quand la mise en place de l’association « Université de Bretagne » en 2001 – réunissant les quatre universités bretonnes, y compris la toute récente Université de Bretagne Sud, créée en 1995 -, initie une cascade de réorganisations autour de structures de coordinations : un PRES (Université européenne de Bretagne) rassemble universités et grandes écoles en 2007, une Comue (Université Bretagne Loire), créée en 2016, réunit les sept villes sièges d’universités (Brest, Nantes, Le Mans, Angers, Rennes, Lorient et Vannes) mais ne survit pas à l’échec de la candidature Idex, au redécoupage des régions, à la labellisation du projet d’i-site nantais, au retrait des universités de Rennes et est finalement dissoute en 2019.

Les universités de Bretagne Occidentale et de Bretagne Sud créent alors avec l’Enib l’alliance universitaire de Bretagne (AUB), une structure de coopération et de partenariat stratégique non contraignante tandis que le site rennais voit la création, depuis le 1er janvier 2023, d’un établissement public expérimental regroupant ENSCR, ENS Rennes, EHESP, Insa Rennes, IEP Rennes, Université de Rennes 1 et associant Rennes 2, ENSAI et Agro Rennes-Angers dans le but de renforcer excellence de la recherche et de la formation et d’accroitre le rayonnement du site à l’international.

La méthodologie des synthèses d’évaluation recherche rend-elle compte de ces évolutions ?

Les synthèses portent sur l’évaluation de toutes les unités de recherche ayant des personnels de l’université concernée, organisées et présentées par domaine (Sciences humaines et sociales SHS ; Sciences et Technologies ST, Sciences de la Vie et de l’Environnement SVE) et sous-domaine disciplinaire. Si l’exercice permet de dresser un inventaire exhaustif des recherches menées au sein d’une université donnée, la méthodologie employée restreint significativement la portée de ces synthèses. Trois points d’attention méritent particulièrement d’être mentionnés :

Aucune pondération n’est apportée pour tenir compte de l’implication réelle de l’université, que ce soit comme tutelle ou comme nombre de personnels considéré. Ainsi, une unité de recherche présentant deux enseignants chercheurs de l’université considérée sera prise en compte de la même façon dans l’analyse qu’une unité avec une majorité d’enseignants-chercheurs de l’établissement. Que l’université soit tutelle ou non n’est pas non plus pris en considération. Ce biais méthodologique très critiqué dans les observations des tutelles figurant à la fin des synthèses peut non seulement conduire à des distorsions d’interprétation du poids relatif de telle ou telle discipline mais obère également la dimension de la stratégie scientifique de l’université.

Ce dernier point est amplifié par la structuration en domaines et sous domaines, parfaitement adapté à la comparaison des universités entre elles mais pas à l’évaluation d’interfaces thématiques ni à la structuration thématique et aux priorités scientifiques de l’université. Ainsi, ces synthèses ne rendent compte des thématiques portées par une université, celles développées conjointement avec une autre ou des partenariats privilégiés qu’à travers les données chiffrées concernant les personnels mais n’abordent pas la portée, la pertinence et l’impact scientifiques des coopérations.

Alors que le Hcéres dispose d’une vision des unités de recherches et de leur évolution depuis 15 ans, aucune mention ou comparaison n’est réalisée par rapport à la situation antérieure (5, 10 voire 15 ans). La méthodologie ne permet donc pas de comprendre la trajectoire des différentes disciplines de recherche ni d’évaluer l’impact des restructurations des partenariats sur les résultats de la recherche.

Enfin, l’écosystème de recherche a largement bénéficié des investissements d’Avenir au cours des 10 dernières années. Même si les universités de la région Bretagne ne sont labellisées ni Idex, ni i-site, les laboratoires bretons sont largement impliqués dans les Labex, EUR, IRT… qui souvent participent à la structuration des thématiques quelles que soient les tutelles, comme le Labex Centre Henri Lesbegue en mathématiques ou l’EUR Mer Isblue. Dans quelle mesure ces outils, ainsi que d’ailleurs les infrastructures de recherche et les plateformes technologiques qui sous-tendent les travaux des unités de recherche, contribuent-ils à la synergie, l’excellence et l’impact de la recherche des laboratoires ? A ce stade, les synthèses listent ces outils, tout comme les structures de valorisation, mais ne les utilisent que comme indicateur d’excellence, et non comme indicateur de structuration scientifique, de facteur d’attractivité et de visibilité d’une université, d’un site, d’une région, de catalyseur de « créativité » ou d’innovation scientifique.

La trajectoire de l’Université Bretagne Sud

L’université Bretagne Sud, la plus récente des universités bretonnes, est aussi la plus petite en termes de potentiel recherche (personnels et nombre d’unités de recherche, 14 comme tutelle). Toutefois, ses activités de recherche se sont très nettement amplifiées en 10 ans puisqu’en 2012, l’UBS n’était tutelle que de 5 laboratoires. Si les organismes de recherche sont encore peu impliqués dans ses unités de recherche, le partenariat avec l’Université de Bretagne Occidentale s’est densifié et structuré, avec la constitution d’unités mixtes multisites qui permettent de coordonner les activités de recherche, de mutualiser les ressources, améliorer la visibilité des thèmes phares qu’il s’agisse de mathématiques au LMBA, en sciences humaines et sociales et bien sur en Sciences de la mer…

Ainsi par exemple UBS est devenue cotutelle du laboratoire Géosciences Océan – avec toutefois une participation encore modeste – un laboratoire mixte avec UBO, le CNRS et maintenant avec l’Ifremer, devenant ainsi le plus gros laboratoire français en géosciences marines et qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Notons que l’activité de ce laboratoire bénéficie d’un parc instrumental de très haut niveau et d’un accès à la Flotte océanographique française (Très Grande Infrastructure de Recherches opérée par l’Ifremer). La trajectoire scientifique de l’UBS très positive repose donc sur une politique de partenariats clairs, notamment avec l’UBO, une stratégie scientifique qui concentre les activités sur certaines disciplines (mathématiques, sciences de la mer au sens large, droit/économie/gestion) tout en préservant sa mission d’université bien implantée dans son territoire, grâce au développement de laboratoires multisites.

Les Sciences de la Mer, un pôle international en Bretagne Ouest et Sud piloté conjointement par Universités et Organismes

Les Universités UBO, et dans une moindre mesure UBS, en étroite coopération avec les organismes de recherche CNRS, Ifremer, IRD – sans oublier Rennes 2, IMT Atlantique, Enib, Ensta Bretagne, avec des implications plus modestes – ont su allier leurs forces pour que la façade atlantique de la Bretagne devienne un pôle majeur, très visible internationalement de recherche en sciences de la Mer, un champ de recherche transversal qui couvre les trois grands domaines SHS, ST, SVE ; la 11ème place de l’UBO dans le classement ARWU 2022 en océanographie en atteste tout comme la participation de l’UBO à l’université européenne Sea-EU. La structuration s’est effectuée non seulement grâce la collaboration entre laboratoires dont la plupart sont organisés au sein de l’Institut universitaire de la Mer mais aussi autour d’outils du PIA et d’infrastructures. En particulier le Labex « l’Océan dans le changement » a été intégré dans l’EUR Isblue (Interdisciplinary Graduate School For The Blue Planet), portée par 15 laboratoires pour relever « au travers de ses activités de recherche et de formation, les défis auxquels sont confrontés les écosystèmes océaniques et côtiers, en particulier dans le contexte des changements globaux » comme mentionné par le Hcéres.

Outre la flotte océanique française mentionnée précédemment, les unités de recherche peuvent s’appuyer sur ARGO France pour l’observation des Océans (cette infrastructure déploie des milliers de flotteurs dédiés aux mesures et suivis de paramètres physiques -température, salinité, oxygène..- des océans), EMSO France pour les observatoires marins pluridisciplinaires distribués en milieu profond ou encore ILICO dédiée à l’observation et à la compréhension des évolutions à long-terme des milieux marins côtiers et littoraux.

Si toutes ces entités sont bien mentionnées dans les synthèses du Hcéres, la méthodologie par université exclut de fait la station marine de Roscoff, ses laboratoires, son rôle dans l’infrastructure de recherche en Biologie Santé EMBRC France dédiée aux écosystèmes et ressources biologiques marines puisque Roscoff, comme toutes les stations marines, est pilotée par Sorbonne Université.

Ne serait-il pas intéressant, pour mieux éclairer universités, organismes mais aussi collectivités territoriales d’analyser l’activité de recherche, l’intégration des disciplines, l’impact et la structuration du « Pôle Mer » de Bretagne et de le comparer avec le « pôle Mer » de Méditerranée (de Marseille à Villefranche-sur-Mer) ?

Écologie, environnement, agronomie, un champ thématique piloté par universités et organismes de façon différenciée (ou écoles) et donc sous-estimé dans les synthèses actuelles

 Au contraire des sciences de la Mer, concentrées sur la façade Atlantique, les recherches en écologie, environnement et agronomie sont essentiellement développées à Rennes avec trois acteurs majeurs : l’Université Rennes 1, l’Inrae et l’Institut Agro Rennes-Angers. Là encore, le choix du Hcéres en 2020 de centrer les synthèses Recherche sur les universités et non sur les sites ne permet pas de donner au lecteur une vision intégrée puisqu’une majorité des unités rennaises de l’Inrae et de l’Institut Agro Rennes-Angers dans ces domaines ne sont pas associées à l’université et donc pas prises en compte dans les synthèses, notamment en ce qui concerne les systèmes de production animale et végétale ou encore les recherches sur l’alimentation.

En écologie, les deux unités de recherche mentionnées (ECOBIO et IGEPP) sur lesquelles Rennes 1 exerce une tutelle sont d’un excellent niveau mais, là encore, une partie des forces rennaises pilotées par Inrae et Institut Agro Rennes-Angers sont oubliées au vu de la méthodologie employée. Compte-tenu du débat actuel sur les rôles respectifs des universités et des organismes de recherche, ne serait-ce pas plus éclairant de produire des synthèses concernant tous les acteurs au sein d’un périmètre géographique défini afin de mieux comprendre leurs articulations, leur complémentarité, leurs spécificités sur la base d’éléments et de résultats concrets ?

Dans ce contexte, il est important de noter que le Hcéres développe également des synthèses thématiques très complètes (à ce jour l’archéologie et les mathématiques ont été traitées). Comment coordonner l’articulation des dimensions thématiques, géographiques et institutionnelles afin de tirer parti au mieux de la richesse des données et évaluations collectées par le Hcéres au cours du temps et de conférer à ces synthèses une valeur ajoutée incontestable ?

Et donc ?

Ces quelques exemples mentionnés de façon très sommaire incitent à s’interroger sur l’intérêt et la valeur de ces synthèses pour les parties prenantes. La première question étant d’ailleurs, quelles sont les parties prenantes auxquelles ces synthèses d’évaluation de la recherche sont destinées et pour répondre à quel besoin ? Autrement dit, quelle est la question et qui se la pose ? A en croire la communication du Hcéres, il s’agirait de la gouvernance des universités et des organismes de recherche. S’il ne fait nul doute que ces synthèses dressent un portrait fidèle des recherches menées au sein des universités concernées, l’évolution des universités au cours des 20 dernières années (et leur capacité indéniable à mener une stratégie scientifique éclairée), l’utilisation récurrente des appels à projets et l’évaluation de toutes les unités de recherche par le Hcéres sont telles, que les universités connaissent maintenant parfaitement leurs laboratoires, leurs forces et leurs faiblesses sans avoir un besoin criant de « reader’s digest ». De même pour les organismes de recherche qui mènent une politique partenariale éclairée par leur implantation nationale et d’autant que les collaborations entre organismes et universités en termes de pilotage de projets communs (et non simplement de structures) comme les PEPR ne sont pas abordés ; sans doute pour une question de calendrier puisque les PEPR sont récents.

En revanche, « au-delà, aussi bien pour les autorités publiques territoriales que pour les acteurs économiques et sociaux », le Hcéres souligne que ces synthèses de recherche « identifient les forces scientifiques particulières des universités et fournissent des éléments de positionnement de l’établissement à l’échelle française et internationale ». Pour répondre à ce besoin présumé, il serait très intéressant que le Hcéres informe sur les attentes précises de ces acteurs afin de s’assurer d’y répondre. En particulier, l’échelle de la synthèse au niveau d’une université est-elle pertinente? Par exemple, comment les synthèses des universités bretonnes peuvent-elles alimenter (en amont et en aval) la réflexion autour de la stratégie de recherche et d’innovation du Conseil régional de Bretagne ? Les éléments de positionnement nationaux et internationaux sont certes indispensables mais les indicateurs utilisés correspondent-ils aux attentes ? Une réflexion sur la complémentarité entre ces synthèses et les diagnostics territoriaux Strater élaborés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est-elle pas nécessaire ?

Enfin, nul doute que le Hcéres vise à éclairer le dit-ministère et en particulier la Dgesip, pour l’élaboration des Contrats d’objectifs, de moyens et de performance afin que « l’évaluation soit suivie d’effets ». Cet objectif est légitime, et c’est bien le rôle de Hcéres que de produire des évaluations qui éclairent le processus de décisions des tutelles ministérielles. Mais s’adresser ainsi à toutes les parties prenantes (établissement, collectivités territoriales et ministère) dans un même document et sans répondre à des questionnements prédéfinis, n’est-ce pas prendre le risque d’un effort vain ?

  • Les premières « synthèses recherche » concernent les universités des régions Bretagne et Normandie. Elles sont disponibles en ligne sur le site internet du Hcéres.
Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Aujourd’hui directrice de missions au sin du cabinet HEADway Advisory, Catherine Dargemont a été directrice de recherches au CNRS en Sciences Biologiques tout en exerçant pendant 15 ans en parallèle des fonctions de direction scientifique, d’administration et management de la recherche (chargée de mission stratégie et relations internationales du CNRS, directrice adjointe du département Sciences du Vivant du CNRS, directrice du département Biologie Santé de l’Agence Nationale de la Recherche, conseiller scientifique au Hcéres).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend