UNIVERSITES

Les universités françaises seront-elles un jour vraiment autonomes?

Régulièrement l’Association européenne des universités le constate dans son étude sur L’autonomie des universités en Europe : la France se classe dans le dernier quartier des systèmes d’enseignement supérieur de l’Union européenne pour l’autonomie conférée à ses université (20ème en 2017). C’est justement à ce sujet que le colloque annuel de la Conférence des présidents d’université se consacrait la semaine dernière dans les locaux de l’Université de Bretagne Sud. « Il n’y a pas d’autre voie que de franchir une autre étape dans cette marche vers l’autonomie d’universités qui ne s’administrent pas depuis Paris », résume la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal. Également présente la mère de cette autonomie, la présidente de la région Ile-de-France et ancienne ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse se souvient qu’à l’époque de la mise en place de la LRU « on ne pensait pas que toutes les universités pouvaient y parvenir » : « Ce sont les présidents d’université qui nous ont convaincu que toutes les universités devaient y aller et, dix ans après, les progrès sont spectaculaires ! ». Et me président de la CPU et de l’université Marne-La-Vallée, Gilles Roussel, d’abonder en son sens : « Nous sommes aujourd’hui pleinement responsables de la vie de nos établissements tout en conduisant une politique de service public ». Citant Kant, le président de Paris-Nanterre et philosophe, Jean-François Balaudé, ne s’en interroge pas moins sur la réalité de cette autonomie : « Bénéficions-nous d’une autonomie meilleure que celle de la liberté d’un tournebroche ? ».

De nouveaux outils d’autonomisation et… de contrôle. En 2018 de nouveaux outils ont été créés par le MESRI dans le cadre notamment de l’ordonnance publiée en décembre pour notamment « transcendant la rupture historique entre universités et Grande écoles » selon les mots de la ministre. En quelques mois des projets originaux ont pu arriver à maturité comme celui de l’Université de Paris (fusion de Paris-Descartes et Paris-Diderot) dont l’acte originel de création a été publié au Journal officiel le 21 mars.

Alors que Frédérique Vidal appelle aujourd’hui à un « acte 2 de l’autonomie des universités » celui-ci passe aussi – et là on retrouve le fameux « en même temps » macronien – pas la création de postes de « vice recteurs délégués à l’enseignement supérieur et à l’innovation » et par un renforcement du rôle du HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Ce dernier doit devenir une agence de mesure et d’évaluation des résultats obtenus par les universités dans tous les domaines : formation et recherche, stratégies, gouvernance… « Voilà tout ce qui doit être évalué et, surtout, être dit clairement », insiste une ministre échaudée par les analyses à l’eau tiède que produit le HCERES depuis qu’il n’est plus l’AERES. « Améliorons nos contrôles internes si nous voulons convaincre la tutelle », avance de son côté Jean-François Balaudé.

Autonomie et responsabilités allaient en effet de pair dès le début du processus comme l’établissait clairement l’intitulé de la loi LRU sur la « responsabilité et l’autonomie des universités ». Cela devrait être le sens du « dialogue de gestion annuel » que la ministre est en train de développer avec les établissements : « Nous en sommes arrivés au point où la subvention d’Etat n’est plus là que pour couvrir – parfois plus, parfois moins – les charges financières, là où les appels à projet, lorsqu’ils existent, permettent de prendre en compte vos ambitions spécifiques. » Et de conclure : « L’autonomie de nos universités ne réalisera son plein potentiel que dans cet effort constant d’évaluation des résultats et de transparence, corollaire essentiel de l’exercice plein et entier des libertés qui leurs sont garanties ».

Les freins de l’autonomie. Les universités sont constamment en prise avec des mouvements contraires d’autonomisation / concentration. Tout récemment le MESRI a ainsi produit une circulaire précisant sur dix-huit pages très documentées – à défaut d’être contraignantes – sur comment devaient fonctionner les services médicaux des universités. « La tension est forcément forte car nous sommes également des opérateurs du service public. Dix ans après la LRU nous sommes encore au milieu du gué », analyse Emmanuelle Garnier, présidente de l’une des universités les plus sensibles sur le sujet de leur autonomie : Toulouse Jean-Jaurès. « Rien n’a plus évolué dans l’enseignement supérieur depuis 10 ans que les universités grâce à la loi de 2007 et aux programmes d’investissement d’avenir », n’en insiste pas moins le président de Aix-Marseille Université, Yvon Berland, qui ne « veut pas retourner en arrière comme avec cette loi sur l’apprentissage qui ne nous prend pas en compte ». Et Mathieu Gallou, président de l’université de Bretagne Occidentale, de se féliciter d’être passés d’une « logique d’habilitation tatillonne de la part du MESRI à une accréditation plus douce » tout en reconnaissant également qu’elle était aussi le corollaire d’un « désinvestissement de l’Etat ».

Les résistances au développement de l’autonomie sont certes le fait d’un MESRI, pas toujours clair dans ses exigences, mais aussi des universités elles-mêmes. « Nous en avons assez de recevoir des circulaires pour tout et n’importe quoi. Mais nous sommes parfois aussi demandeurs. Prenons-nous la marge d’autonomie qu’on nous donne ou sommes-nous toujours en demande de réponses venues du haut ? », s’interroge le président de l’université de Cergy-Pontoise, François Germinet, qui espère que dans « dans 10 ans, il n’y ait plus qu’une seule conférence réunissant la CPU, la Cdefi et la CGE ». « La liberté académique se confronte parfois à l’autonomie des universités. C’est un élément de résistance culturelle que nous devons gérer », considère quant à elle Emmanuelle Garnier. Et Frédérique Vidal d’enfoncer le clou : « L’autonomie s’apprend, a ses exigences et que les universités sont parfois elles-mêmes en recherche d’instructions de l’Etat ».

« Mais peut-on être autonome quand ses financements viennent à 95% de l’Etat ? », se demande le président de l’université Grenoble-Alpes, Patrick Lévy. D’autant que l’encadrement de l’endettement des universités est très rigide. « Financièrement l’autonomie reste incertaine et ceux qui ont été tentés de recourir à l’emprunt ont pu constater à quel point c’était difficile contrairement à beaucoup d’autre administrations de l’Etat », rappelle Christophe Strassel, qui fut directeur de cabinet de Geneviève Fioraso puis de Thierry Mandon lorsqu’ils étaient ministre de l’Enseignement supérieur. Les résistances face à l’autonomisation des universités viennent d’ailleurs aussi du grand public. « Nous ne sommes pas encore capables de prouver que le virage vers une université autonome ne risque pas de nous amener à une université au coût prohibitif », déplore Emmanuelle Garnier.

A quand l’autonomie dans le recrutement ? Qu’est-ce que l’autonomie quand on ne peut pas recruter librement ses principaux personnels que sont les enseignants-chercheurs ? « Ne pas exercer ses prérogatives en termes de ressources humaines ce n’est pas exercer pleinement sa fonction », établit Christophe Strassel. Un sujet sur lequel le rejoint le président du CNRS, Antoine Petit, trop heureux de faire oublier les dissensions qu’il entretient avec les universités : « Comment peut-on se dire autonomes quand on doit passer par la CNU. Au CNRS nous recrutons les chercheurs que nous voulons. On ne nous les impose pas ». « Nous avons eu peur du localisme en 2007 et n’avons pas poursuivi sur le sujet. Aujourd’hui tout a changé », abonde Valérie Pécresse.

Ce que ne peuvent que confirmer les présidents d’université. Même s’ils savent que le rôle du CNU (Conseil national des universités) reste plébiscité par la plupart de leurs professeurs. « Nos grands freins restent notre peu d’autonomie en termes de ressources humaines. Aujourd’hui nous sommes à la pèche de profils sans savoir si ceux que nous allons recruter sont les bons  », insiste le président de l’université de Lorraine, Pierre Mutzenhardt quand le président de l’université de Lyon, Khaled Bouabdallah, demande même qu’« on laisse aux universités qui le souhaitent la possibilité d’expérimenter la possibilité à se passer du CNU ». La question de l’autonomie de leurs recrutements sera sans nul doute au cœur des questions que vous se poser les universités sur leur autonomie dans les années à venir…

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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