ORIENTATION / CONCOURS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« La loi « Orientation et réussite des étudiants » crée de nouveaux problème juridiques »

Il reste l’un des plus fins connaisseurs du monde de l’éducation. Conseiller en charge des questions d’éducation, d’enseignement et de recherche de François Fillon en 2007 puis directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle (DGESIP) de 2008 à 2012, élu député du bas Rhin cette même année et réélu en 2017, aujourd’hui président de l’EM Strasbourg, Patrick Hetzel s’interroge avec nous sur les dernières évolutions législatives et notamment la loi « Orientation et réussite des étudiants ».

Olivier Rollot : Alors directeur de l’enseignement supérieur au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, vous avez fait partie de ceux qui ont assuré le développement d’admission-postbac. Quel regard jetez-vous sur la façon dont est mise en place du nouveau système d’orientation des élèves de terminale, Parcoursup ?

Patrick Hetzel : Je garde un goût amer de la façon dont on a utilisé un problème réel, le tirage au sort, pour légiférer dans la précipitation. S’il s’agissait seulement de résoudre le problème du tirage au sort la publication d’un décret provisoire aurait suffi pour la prochaine rentrée. Aujourd’hui nous sommes dans la situation où la plateforme a été lancée alors que la loi qui est censée l’encadrer n’a toujours pas été publiée. Quant aux délais de recours d’un mois après cette publication ils ne sont évidemment pas éteints. Mais c’est même depuis le mois de novembre qu’une note a été communiquée aux recteurs alors que le débat n’avait même pas commencé au Sénat et donc le texte loin d’être adopté ! Quel mépris pour le Parlement.

Ce contexte n’a pas permis de réaliser les analyses nécessaires face à une ministre qui n’a pas toujours utilisé des arguments scientifiques pour justifier ses choix. Par exemple on a décidé de passer de 24 choix hiérarchisés à 10 non hiérarchisés sous prétexte que peu de lycéens utilisaient tous leurs choix. Mais ce « peu de lycéens » en représentait quand même 20%. C’est cela qu’on appelle être « marginal » ?

O. R : Pour vous la plateforme APB n’était pas en cause ?

P. H : Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur APB a démontré que les algorithmes n’étaient pas en cause. Le vrai problème d’APB c’était la décision du gouvernement précédent d’inclure dans la procédure les bacheliers des années précédentes en réorientation. On a déséquilibré le système mais cela n’a rien à voir avec l’outil.

O. R : Fin 2018 vous étiez très inquiet des conditions de déploiement de Parcoursup. Êtes-vous plus rassuré aujourd’hui ?

P. H : J’étais très inquiet en novembre-décembre mais depuis je constate que les capacités d’accueil, notamment dans les filières « en tension », ont grimpé. Il n’en restera pas moins des tensions. Notamment avec un système de choix des bacheliers « au fil de l’eau » qui risque de créer un goulot d’étranglement source de crispations.

Le deuxième sujet sur lequel j’étais très remonté était la question du financement des bourses au mérite. Le gouvernement a élargi la volumétrie en considérant qu’il fallait récompenser les meilleurs bacheliers de chaque lycée. Mais sociologiquement cela ne change rien. Les CSP qu’on favorise sont toujours les mêmes. Si on voulait faire de la justice sociale il fallait privilégier les bacheliers qui sont les premiers à l’être dans leur famille. Or un lycéen qui obtient une mention très bien au bac sans que ses parents soient bacheliers ne va pas forcément être dans les 10% des meilleurs. Mais sur ce point aussi, au nom de l’urgence, nous n’avons pas été capables de mener un débat serein

O. R : Un point de la loi risque de provoquer des tensions : le pouvoir donné aux recteurs d’imposer aux universités de recevoir des jeunes sans affectation. Une garantie donnée aux organisations étudiantes qui n’est pas du goût des présidents on l’imagine.

P. H : Cette année le tribunal administratif de Paris a considéré – dans un arrêt invalidant une ponction faite par le précédent gouvernement sur les fonds de roulement de l’université Panthéon-Assas -, que la loi d’autonomie des universités réservait ces prérogatives aux seuls présidents d’université. Par manque de courage politique la loi crée un conflit de droit entre les recteurs et les présidents d’université qui risque d’être résolue pas les tribunaux. Le gouvernement n’a pas su trancher entre revenir sur les principes d’autonomie ou ne rien demander aux recteurs. En tant que législateur je ne peux pas m’en satisfaire. Alors que l’un des grands arguments de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, pour faire passer sa loi était qu’elle allait permettre de résoudre des problèmes juridiques, elle en crée d’autres.

O. R : Vous êtes rapporteur du budget de la justice. Que pensez-vous de la façon dont celui de l’enseignement supérieur est présenté ?

P. H : La justice va bientôt bénéficier d’une loi de programmation pluriannuelle et c’est une excellente idée. L’enseignement supérieur mériterait qu’on se pose la question d’en faire autant. J’y vois deux intérêts majeurs. D’abord mettre tout le monde face à ses responsabilités dans le cadre d’un vrai débat. Ensuite donner une vision d’avenir à des acteurs qui ne savent pas aujourd’hui à quelle sauce ils vont être mangés en 2019. Alors les spécialistes me répondront que la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) est censée donner ces trois exercices. Mais elle n’a pas le même poids !

Une loi de programmation permettrait de sortir le sujet des fourches caudines du ministère des Finances et de remonter la hauteur du débat grâce à la solennité d’un débat programmatif.

O. R : Nous parlons finance. Pensez-vous qu’il faille un jour augmenter les droits de scolarité universitaires ?

P. H : Cela mérite au moins qu’on s’intéresse au sujet. Un exemple : les autorités espagnoles, à l’époque des socialistes, ont considéré qu’on pouvait à la fois maintenir des droits modestes jusqu’à la fin de la licence et les moduler ensuite en fonction de l’insertion professionnelle pour les masters. Chaque année on y fixe un plafond et un plancher de montant des droits que les universités peuvent ensuite choisir. La Cour des comptes va bientôt s’emparer du sujet alors que la commission des finances de l’Assemblée va, de son côté, s’intéresser au financement de la recherche.

  • Patrick Hetzel fait partie de la « Mission d’évaluation et de contrôle sur le financement de la recherche dans les universités » de l’Assemblée nationale dont les auditions ont commencé cette semaine.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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