UNIVERSITES

« Le Mans Université est une université de recherche et de formation »

Comme toutes les universités celle du Mans s’attend à être quelque peu débordée par la nouvelle procédure d’inscription Parcoursup. Pour autant son président, Rachid El Guerjouma, espère bien pouvoir accepter tous les candidats. Le regard sur les évolutions de l’enseignement supérieur d’un président qui réaffirme qu’être une « petite » université ne signifie pas par autant renoncer à faire de la recherche.

Olivier Rollot : C’est le sujet de l’année pour les universités. Comment l’université du Mans va-t-elle mettre en place la « sélection » – je ne sais pas si on peut employer ce nom – dans le cadre de Parcoursup ?

Rachid El Guerjouma : Faute de moyens, je crains in fine que cela ne traduise dans certaines universités par une forme de sélection. Parcoursup comme le « plan étudiants » sont de bonnes idées. Hélas sans les moyens nécessaires pour les mettre en œuvre. Résultat : un certain nombre d’étudiants risquent d’être mis sur des voies de garage. Songez qu’on ne nous a accordé que 38 000€ pour examiner les dossiers des 18 000 bacheliers qui veulent chaque année s’inscrire dans notre université (chiffres 2017) et mettre en place des dispositifs d’accompagnement non seulement aux bacs professionnels et technologiques mal orientés et aux bacs généraux en difficultés… Comment donner un avis sur chaque dossier sans moyens supplémentaires quand, de surcroit, on est une université sous dotée. Sans parler de l’accompagnement que nous sommes censés apporter ensuite sur tout le cycle licence à ceux dont la situation est difficile et qui, pour une bonne partie d’entre eux, viennent des filières générales.

J’en profite d’ailleurs pour rappeler que si le taux de réussite moyen des étudiants en première année de licence est si bas – autour de 42% – ce n’est pas à cause des quelques dizaines de bacheliers professionnels qui s’inscrivent chez nous chaque année (7% de bacs pro à Le Mans Université et 13 % de bacs technologiques). Non ce taux d’échec concerne avant tout les bacheliers généraux qui constituent le gros des troupes et dont la plupart sont en attente d’orientation plutôt qu’en échec….

O. R : Vous n’allez donc pas pouvoir recevoir tous les étudiants qui postulent à l’Université du Mans ?

R. E-G : Au Mans, nous allons accueillir tout le monde. Ce que nous sommes toujours parvenus à faire même en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) sans avoir jamais recouru au tirage au sort. A la demande du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, nous avons d’ailleurs augmenté nos capacités d’accueil cette année en STAPS.

O. R : Concernant l’accompagnement, le MESRI vous incite à utiliser les dispositifs que la plupart des universités ont déjà créé.

R. E-G : Bien sûr qu’il existe déjà des dispositifs mais pas de l’ampleur dont on parle ici. Si le MESRI veut faire passer une réforme qui a pour ambition de changer en profondeurs les pratiques en remettant l’étudiant, son accueil, sa réussite, au centre du dispositif ce n’est pas en faisant la somme des dispositifs existants qu’on y arrivera. Cela ne doit pas reposer sur les seules universités. Quid d’une plus grande ouverture des BTS aux bacheliers professionnels et technologiques ?

Nous sommes imaginatifs et endurants mais l’Etat doit assumer ses responsabilités et mettre sur la table les moyens à hauteur des besoins et des ambitions qu’il affiche vis à vis des demandes légitimes des étudiants et de leurs parents. C’est ce que nous avons fait avec le projet « Thèlème » qui, sur la base de dispositifs existants au Mans et à Angers, propose de passer à la vitesse supérieure en termes d’accueils et d’orientation associant étroitement les lycées aux dispositifs.

O. R : Vous vous sentez effectivement d’autant plus concernés par la problématique de la réussite en licence que vous avez lancé ce dispositif innovant, Thélème (en référence à l’abbaye rabelaisienne et à sa devise « Fais ce que tu voudras »), avec l’université d’Angers pour amener plus d’étudiants au succès.

R. E-G : Le projet Thélème c’est Parcoursup pour les universités d’Angers et du Mans mais financé à hauteur 13,8 M€ sur… dix ans quand Parcoursup c’est 5,6 M€ pour toutes les universités avec une mise en œuvre dès la rentrée prochaine. Ce qu’il faudrait c’est un Thélème pour tous. Si les choses en reste en l’état, on risque de rater, au niveau national, une belle occasion de faire vraiment bouger les lignes en termes de pédagogie universitaires et de cursus adaptés aux profils différents des étudiants, de lien avec les lycées, de passerelles entre les filières notamment en 1er cycles, bref de gâcher une belle occasion pour un meilleur accueil et plus de réussite pour nos étudiants !

Le LAUM, laboratoire d’acoustique de l’Université du Mans, est particulièrement renommé (Photo Ad’Hoc)

O. R : Rappelez-nous les ambitions de Thélème.

R. E-G : Avec le concours de lycées partenaires de nos deux universités, nous voulons réaliser un véritable continuum du lycée à la licence qui permettre aux lycéens de réaliser une intégration progressive dans l’enseignement supérieur avec des parcours adaptés à chaque étudiant. Lancé en septembre 2018, ce nouveau format de licence concernera à terme plus de 13 000 étudiants de licence sur les 32 000 que comptent nos deux universités.

L’objectif est d’améliorer les taux de réussite en faisant progresser les étudiants à un rythme adapté, mêlant cours en présentiel et à distance, travail collaboratif ou encore scénarisation pour que chaque étudiant réussisse sa licence dans les meilleures conditions. La place de l’innovation pédagogique et du numérique seront importantes et nous souhaitons également mieux intégrer la Formation Tout au Long de la Vie (FTLV) dans le processus notamment via la modularisation de nos formations et l’évaluation des compétences de nos étudiants.

O. R : Thélème est né d’un financement dans le cadre des Plans d’investissement d’avenir. Votre université est également lauréate d’autres financements mais aucun d’une ampleur telle que celle dont peuvent se prévaloir quelques universités de grande taille. Au sein de l’Alliance des universités de recherche et de formation (AUREF) vous êtes très actif pour faire reconnaître les besoins spécifiques des universités de taille moyenne. Que craignez-vous que le fléchage de ces financements, que vous jugez déséquilibrés, provoque ?

R. E-G : En plus de Thélème et d’un autre projet NCU (Nouveaux cursus universitaires, Ecrit +), nous avons effectivement obtenu un certain nombre de financements dont celui de l’IRT Jules Verne, celui d’une école universitaire de recherche (EUR d’Acoustique), un projet de diffusion culture scientifique et Technique (PARCOURS), un autre au titre de la formation professionnelle (ECND Academy). Nous sommes une université qui ne se porte pas mal dans le paysage mais l’avenir s’annonce difficile si le gouvernement ne reconnaît pas cette excellence et ne nous aide pas à la maintenir, voire à la développer.

Aujourd’hui ce que dit le gouvernement clairement, c’est sa volonté de favoriser dix très grandes universités, dites de « grandes universités de recherche ». Au-delà du fait que cela ne peut pas être le seul objectif d’une politique nationale de l’Enseignement Supérieur et de Recherche, ce que nous souhaitons c’est que cela ne se fasse pas au détriment des autres universités, qui n’ont pas cet objectif mais qui sont très performantes en termes d’innovation pédagogique, d’accueil et de réussite des étudiants et qui abritent de véritables pépites en recherche.

Je comprends que nous voulions favoriser certaines universités qui souhaitent rivaliser avec Harvard, Cambridge ou le MIT mais cela ne doit pas se faire par un transfert des moyens, en réduisant nos financements récurrents et en ne soutenant pas nos projets. Agissant ainsi, on voit bien se dessiner « l’arc de l’excellence » tel qu’il a été façonné par les plans d’investissement d’avenir (PIA) et qui va de Paris à Bordeaux en passant par Strasbourg, Lyon-Grenoble, Marseille et Toulouse. C’est dangereux pour l’aménagement du territoire qui semble ne plus faire partie du vocabulaire gouvernementale en tous les cas pour ce qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche. Cette forme de « désaménagement » du territoire ne peut qu’accentuer les fractures territoriales et leur traduction électorale avec les risques que cela comporte pour les équilibres sociaux…

O. R : De Rennes à Lille en passant par Le Mans ou Rouen c’est tout le Grand Ouest au-dessus de Bordeaux qui a été très mal pourvu par le jury des investissements d’avenir. Comment l’expliquez-vous ?

R. E-G : Visiblement, le Grand Ouest ne fait partie de cet « arc de l’excellence », ni le nord pas plus que le centre… Pourtant, en ce qui concerne le Grand Ouest, les établissements qui se sont regroupés dans la Comue (communauté d’universités et d’établissements) Université Bretagne Loire sont issus de deux régions dont les développements démographiques, économiques et le potentiel scientifique sont parmi les plus importants de France. Pour autant ce sont des territoires qui n’ont obtenu aucun projet d’envergure, pas d’Idex et seulement un Isite à Nantes…

Visiblement le maillage territorial de l’ESR, plus propice à une organisation fédérale, ne correspond pas aux critères du jury international fixés par le Commissariat général à l’investissement favorisant les « grandes universités de recherche » métropolitaines. L’ESR dans le grand Ouest n’est pas concentré à Nantes ou à Rennes exclusivement. C’est le résultat de l’histoire s’il existe aussi des universités à Brest, au Mans, à Angers et à Lorient. C’est un modèle décentralisé qui maille le territoire et qui abrite néanmoins de nombreux centres d’excellence sur ces différents sites. Et si notre Comue est en difficulté, c’est essentiellement du fait des choix politiques de l’État.

Mais si la situation est difficile pour le Grand Ouest, nous ne nous résignons pas. Le temps long nous donnera raison. D’ailleurs, depuis que les PIA ont été lancés voilà plus de 10 ans, force est de constater que ces différents programmes fortement dotés n’ont en rien amélioré le score des universités françaises dans les classements internationaux, et notamment dans le plus emblématique qu’est celui de Shanghai. Au-delà du Grand Ouest, n’oublions pas que notre pays a reçu de nombreux Prix Nobel et Médailles Fields. Cette obsession du classement internationaux conçus pour les universités anglo-saxonnes va nous faire perdre notre âme. Notre système universitaire, public et ouvert, est certes améliorable, mais il manque surtout de moyens !

O. R : Vous en avez parlé, vous mettez en place des projets communs avec l’Université d’Angers. Cela pourrait-il aller un jour jusqu’à une fusion de vos deux universités ?

R. E-G : Pour ce qui concerne notre projet de rapprochement avec l’université d’Angers, ce que je peux vous dire c’est que ce projet se construit sur la durée. Il est d’abord basé sur les nombreux projets que nous avons en communs, nos complémentarités, notre proximité… Ce n’est pas un rapprochement de circonstance, un projet de fusion sans raison, fusion qui n’est pas à l’ordre du jour pour le moment…

Notre démarche est également originale. Au lieu de postuler une structure de rapprochement à priori (Comue, université fusionnée…), nous avons privilégié une approche par projet. Ces projets, c’est par exemple le projet Thélème, une composante Sport et Santé commune associant le CHU d’Angers et le CH du Mans, un institut d’administration des entreprises (IAE) commun, une école polytechnique universitaire commune, des laboratoires de recherche communs… Il s’agit d’abord de mettre en œuvre ces projets et ensuite de voir quelle est la structure est la plus appropriée pour les faire vivre et en favoriser d’autres. La question de la structure commune, qui n’exclut pas l’université fusionnée, sera posée le moment venu.

O. R : Vous vous êtes donnés une échéance ?

R. E-G : Nous travaillons sur ce projet depuis quelques mois. Nous nous faisons accompagner par une assistance à maîtrise d’ouvrage. Nous avançons dans un très bon esprit. A la fin de l’année universitaire nous y verrons plus clair, d’autant plus que nous serons fixés sur les expérimentations possibles que permettront les ordonnances qui, nous l’espérons, seront publiées bientôt.

O. R : Les réformes s’enchaînent à un train d’effort. Quel regard portez-vous sur celle du bac ?

R. E-G : Le gouvernement est en train de créer des universités à deux vitesses et j’ai bien peur que ce soit la même chose pour le bac. Jusqu’ici nous considérions que la valeur d’un bachelier S qui avait obtenu une mention bien était la même quel que soit son lycée. Quand ce même bac aura été obtenu avec 40% de contrôle continu cela risque de favoriser encore plus des clivages. Le bac sera en quelque sorte « coloré » par l’environnement de chaque lycée, de son quartier, de se famille, etc. C’est un choix de société qui peut être inquiétant.

O. R : Vous n’attendez pas de ce « nouveau bac » qu’il permette une meilleure transition entre le lycée et l’enseignement supérieur ?

R. E-G : Le bac est pour le moment la porte d’entrée pour accéder à l’enseignement supérieur et doit le rester. Il faut maintenir sa portée nationale et éviter de trop mettre en avant les spécificités locales que pourraient introduire par exemple une part trop importante de contrôle continu fortement dépendante du lycée où est scolarisé l’élève. Si après la mise en place d’université à deux vitesses est mis en place un bac à deux vitesses, la boucle sera bouclée… Ce risque est fort. Ce qu’il faut, c’est avant tout mieux faire travailler ensemble les lycées et les universités dans le but de fluidifier la transition secondaire/supérieur comme nous nous proposons de le faire dans le cadre de Thélème.

O. R : D’autres réformes sont en cours dans le cadre de la formation professionnelle. Que représente pour l’université du Mans l’apprentissage et la formation continue ?

R. E-G : Nous avons beaucoup travaillé à la professionnalisation de nos formations. Ainsi, un tiers de celles-ci sont accessibles en apprentissage et Le Mans Université se positionne parmi les universités qui ont l’un des meilleurs taux d’insertion professionnelle. En ce qui concerne la formation continue, nous l’avons réformée il y a bientôt sept ans. Ce secteur est aujourd’hui excédentaire et nous permet de très bien nous positionner sur ce marché.

O. R : Comment pourriez-vous définir ce qu’est aujourd’hui l’université du Mans ?

R. E-G : Nous sommes une université de recherche et de formation qui se reconnait dans l’importance équivalente portée à ces deux missions ainsi que dans la nécessité de leur articulation. De ce fait Le Mans Université a les caractéristiques d’une université de recherche avec, par exemple, le plus grand laboratoire d’acoustique d’Europe, unité mixte de recherche avec le CNRS, une autre UMR CNRS sur les matériaux et molécules parmi les plus importantes du Grand Ouest, un Institut du risque et de l’assurance unique en France, un laboratoire sur le traitement automatique de la parole, une UMR CNRS en géographie, deux en Histoire… A côté de cela, nous revendiquons comme université de proximité, au même titre que celles de Lyon ou celle de Bordeaux vis à vis des étudiants lyonnais ou bordelais.

Notre université est de fait confrontée à un défi crucial, dans un environnement complexe et en mutation : être une université de proximité qui favorise la réussite des étudiants et leur insertion professionnelle dans une mission de promotion sociale, et dans le même temps être une université d’excellence sur des secteurs bien identifiés et économiquement porteurs. En d’autres termes, être une université efficiente. Une université qui possède un très beau campus dans une très belle ville. Une université qui a beaucoup d’ambition pour les jeunes comme le proclame dans notre slogan vis à vis de nos étudiants et nos partenaires : « Notre ambition c’est vous ! »

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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