ECOLE D’INGÉNIEURS

« Mon travail de directeur c’est avant tout de créer les conditions positives au développement de la recherche »

S’il n’en reste qu’une… Un peu à l’étroit à Paris Chimie ParisTech n’en reste pas moins au cœur de la capitale quand beaucoup de ses consœurs partent pour Paris-Saclay. Directeur de l’école et président du réseau ParisTech Christian Lerminiaux trace le portrait d’une école leader qui vient d’annoncer que les élèves en classe préparatoire MP et PC qui veulent l’intégrer en 2019 passeront les épreuves au travers par le Concours Commun Mines Ponts (CCMP).

Olivier Rollot : Créée en 1896, Chimie Paris est la plus prestigieuse école d’ingénieur chimiste française. Avez-vous aujourd’hui les ressources nécessaires pour tenir votre rang ?

Christian Lerminiaux : 65% de notre budget – 9 M sur 14 M€ – provient de subventions de l’État (mais en fait encore plus car la comptabilité publique considère que les amortissements sur nos investissements est une ressource !). Bloqués à 610€ par an – nous sommes à la limite du système – nos frais d’inscription ne représentent que 1% de nos revenus. Pour les augmenter nous avons commencé à développer les contrats de professionnalisation – nous ne sommes absolument pas convaincus pas les contrats d’apprentissage – en dernière année de cycle ingénieur. Avec seulement 8 à 10 élèves nous avons augmenté nos revenus de cette année de 50%. Et tout le monde est satisfait : l’école qui augmente ses revenus, les étudiants qui sont rémunérés, les entreprises qui les testent pendant 1 an. En fait l’idéal serait que les entreprises payent la scolarité des étudiants.

O. R : 14 M€ pour 350 étudiants cela fait quand même 40 000€ par étudiant et par an… Mais vous êtes aussi, peut-être surtout, une école connue pour la qualité d’une recherche à laquelle vous consacrez la plus grande partie de vos moyens ?

C. L : En fait ces 14 M€ ne constituent que le budget non consolidé. Sans les 80 personnels CNRS qui se joignent à nos 125 permanents. Des personnels CNRS qui font le même travail que les autres – avec moins d’enseignement – et sont aussi impliqués dans son fonctionnement. Ils occupent d’ailleurs deux des trois postes de direction adjointe : la direction scientifique et celle des relations internationales. En fait sur les trois postes clef seule la direction pédagogique revient à un personnel issu de Chimie Paris. Pour avoir une vraie gestion fine de nos établissements il faudrait pouvoir les agréger mais on préfère privilégier la gestion du budget de l’Etat…

Notre budget est en fait plus proche de 20 ou 21 M€ dont la 75%, soit de 14 à 15 M€, est effectivement consacrée à la recherche. Et forcément mon travail de directeur c’est avant tout de créer les conditions positives à son développement. Ce qui n’est pas la vision qu’on a généralement du directeur d’une école d’ingénieurs.

O. R : Chimie Paris est membre de la Comue (communauté d’universités et d’établissements) Paris Sciences et Lettres (PSL). On sait que la signature des articles de recherche provoque souvent des tensions entre ceux qui se considèrent davantage comme des personnels CNRS que de leur établissement. S’ajoute la signature de PSL. Comment vos enseignants-chercheurs signent-ils ?

C. L : Ici tout le monde joue le jeu de la Comue en signant de son nom suivi de Chimie Paris, Paris Sciences et Lettres et l’UMR (unité mixte de recherche) CNRS. Il règne chez nous un vrai sentiment d’affiliation à PSL. Nous y faisons également remonter une partie de nos actions de valorisation de la recherche, qu’il s’agisse de maturation ou de gestion de la propriété intellectuelle. Nous bénéficions pour cela d’un fond de valorisation de 1,4 M€ par an géré par PSL. Mais nous avons également passé des accords avec des sociétés de capital risque pour que nos start up aient accès à leurs fonds. En revanche les mais aussi la signature de contrats industriels, avec des entreprises comme Solvay, restent gérés par l’école ou le CNRS.

O. R : Vous pourriez aller plus loin dans l’intégration des trois écoles d’ingénieur – Chimie Paris, Mines ParisTech et l’Espci – au sein de PSL ?

C. L : Nous réfléchissons à ce que pourrait être une « School of Engineering » commune qui regrouperait nos masters. A ses côtés pourrait voir le jour une « School of Chemistry » avec des masters dispensés par l’ENS ou Sorbonne Université. Et une « School of Physics » pourrait regrouper d’autres masters. Comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons PSL a un prisme pluridisciplinaire qui a, par exemple, rapproché Mines Paris, les Arts Déco et Paris Dauphine pour créer en 2017 l’École nationale de mode et matière.

O. R : Dans vos investissements vous privilégiez l’essor de start up ?

C. L : C’est le modèle de PSL. Nos écoles sont à Paris et vous n’y trouverez pas de grands laboratoires industriels pour nous soutenir comme à Saclay. Par contre c’est bien plus facile pour y établir des contacts et des contrats. Nous privilégions donc la valorisation de nos start up avec un centre Pépite et en hébergeant déjà trois start up, bientôt dix.

O. R : Pourquoi Chimie Paris n’a pas pris le parti de déménager à Saclay comme Agro ParisTech ou Télécom ParisTech ?

C. L : C’est une décision prise depuis longtemps. Ce qu’il faut aujourd’hui c’est que la mairie de Paris prenne conscience du surcoût qu’il y a à rester à Paris pour nous comme pour Mines Paris, Arts et Métiers ou encore l’ENS. Pour trouver les moyens de s’installer à Saclay, où le prix du m2 est sans commune mesure, Agro ParisTech vend son immeuble mais n’en dégage aucune ressource supplémentaire. Ou alors il faut que nous délocalisions notre recherche – c’est ce qu’ont fait les Mines ParisTech – mais c’est vraiment dommage de séparer les enseignants-chercheurs des étudiants.

O. R : Le niveau de la recherche de Chimie Paris ne souffre-t-il pas de votre localisation ?

C. L : Heureusement non. Alors que nous représentons 2,5% du chiffre d’affaires de PSL nous en représentons 6,5% des publications. Nous avons également obtenu une reconnaissance du jury des investissements d’avenir en obtenant la labellisation de deux « Ecoles universitaires de recherche » sur les 35 qui l’ont été.

O. R : Parlons un peu de vos étudiants. Qu’en attendez-vous aujourd’hui ?

C. L : Nous formons les meilleurs chimistes de France mais un chimiste peut-il aujourd’hui ne pas être très bon en maths et en physique ? Dans l’avenir nous voudrions être certains qu’ils sont ouverts à la biologie, au Big Data, à l’informatique… Sur notre concours spécifique en chimie (CCP Chimie) ne prenons nous pas le risque d’attirer uniquement des profils qui ne veulent plus entendre parler de maths et de physique ? En 30 ans la chimie a considérablement évolué, la chimie organique (aujourd’hui on dit moléculaire) ne fournit plus beaucoup d’emplois qui se trouvent aujourd’hui du côté de la chimie théorique. Cette évolution doit se retrouver dans notre mode de recrutement. Mais pour autant nous entendons bien rester une école de chimie.

O. R : Vos étudiants sont-ils destinés à devenir tous des chercheurs ?

C. L : Nous formons naturellement des chercheurs. Des profils au fait des dernières nouveautés de la recherche en chimie mais qui doivent également posséder des compétences en management, en gestion de projet ou en Big Data. C’est une vertu de l’entrepreneuriat de permettre d’acquérir ces compétences. D’autant que seulement 5% de nos diplômés pourront intégrer un laboratoire de recherche d’une université ou du CNRS. 5% quand c’est l’ambition de plus de la moitié quand ils intègrent l’école.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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