«Nos 150 ans nous permettent de renforcer le sentiment d’appartenance à la Catho»: Patrick Scauflaire, président-recteur de l’Université Catholique de Lille

by Olivier Rollot

Patrick Scauflaire préside l’Université Catholique de Lille depuis la rentrée 2020

 L’Université Catholique de Lille fête cette année ses 150 ans. L’occasion de revenir avec son président-recteur, Patrick Scauflaire, sur tout ce qui fait sa spécificité et sa force.

Olivier Rollot : L’Université Catholique de Lille fête ses 150 ans. Pouvez-vous nous en faire un rapide portrait ?

Patrick Scauflaire : Créée en 1875 l’Université Catholique de Lille est une fédération depuis 1973 qui compte une vingtaine d’établissements d’enseignement supérieur et 42 000 étudiants. Parmi eux, 15 000 sont directement rattachés à l’Institut Catholique, quand les autres font partie d’écoles comme l’EDHEC, l’IESEG, Junia ou l’Icam… Tous ces établissements ont le statut d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général, EESPIG.

Ces 150 ans sont pour nous l’occasion de prendre un peu de recul sur les événements marquants de notre histoire. La « Catho » comme on l’appelle a été créée par des patrons chrétiens du Nord et ce lien au monde socio-économique fait partie de notre ADN. Le Nord est une terre de christianisme social propice à l’émergence d’une université catholique. Nos 150 ans nous permettent de renforcer le sentiment d’appartenance à la Catho avec des établissements qui ont de très belles marques tout en étant fiers de notre aventure commune. Faire partie d’une université est aussi très important pour le positionnement d’un établissement au niveau international.

Notre mode de gouvernance allie autonomie des établissements et axes stratégiques communs, ce qui nous permet d’être réactifs tout en assurant de la stabilité. Les axes stratégiques communs concernent les principes éducatifs, les actions concernant la transition écologique et environnementale, le lien au territoire, les actions de plaidoyer, etc.

Nous avons également un poids local très important avec nos 30 000 étudiants dans la métropole lilloise. L’arrêt de bus « Université catholique de Lille » est ainsi le deuxième le plus fréquenté après celui de la gare Lille Flandres. L’ancrage sur notre territoire fait partie de nos grandes valeurs.

Les bâtiments du boulevard Vauban à Lille

O. R : Au-delà des implantations de vos écoles en dehors de Lille, l’Institut catholique de Lille est lui-aussi implanté en dehors de ce qu’on appelle sa « diète », son ressort, pourquoi ?

P. S : Notre diète comprend les trois diocèses de Lille, Arras et Cambrai. Notre Faculté de Droit a installé une antenne en région parisienne, à Issy-les-Moulineaux, pour être plus proche des candidats mais cela reste une exception.

O. R : Comment organisez-vous leur gouvernance commune ?

P. S : L’Université Catholique de Lille est une fédération d’établissements dans laquelle je suis à la fois le recteur de l’Institut catholique de Lille et le président de l’Université Catholique de Lille. Dans ce premier poste j’occupe alors un poste proche de celui d’un directeur général avec une responsabilité directe sur les facultés, certaines écoles internes et le secteur santé/social. En tant que président j’ai la responsabilité de garantir l’unité et d’assurer la représentation d’un ensemble qui compte des Grandes écoles de management triple accréditées, l’IESEG et l’EDHEC, deux écoles d’ingénieurs, JUNIA et l’Icam, des écoles dans le domaine de la communication, (ISTC, IJTM), du management international (ESPAS-ESTICE), du soin (IKPO), de la pédagogie (IFP).

O. R : L’Institut catholique de Lille est-elle une université comme une autre ?

P. S : Au sein de l’ICL nous couvrons à la fois des facultés universitaires classiques en théologie, droit, lettres et sciences humaines, gestion, économie et même médecine. Nous sommes d’ailleurs la seule université privée associative française à posséder une faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé.

Notre autre spécificité est de posséder des hôpitaux et des EHPAD. Nous avons donc un double statut : établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) pour l’enseignement supérieur et ESPIC (établissement de santé privé d’intérêt collectif) pour le soin.

Dans les deux cas, nous contribuons à des missions d’intérêt général en tant qu’acteurs privés portant des missions publiques. Un modèle privé associatif non lucratif qui mériterait d’être mieux connu.

O. R : Vous-même êtes laïc alors que plusieurs recteurs d’universités catholiques sont prêtres. Il n’y a pas de règles en la matière ?

P. S : Les recteurs des universités catholiques de Lyon et Paris sont aujourd’hui prêtres alors que ce sont des laïcs qui dirigent les universités de Toulouse et Angers. Moi-même je suis diacre permanent sans être prêtre. Il n’y a pas de règle autre que celle d’obtenir du Saint Siège un « Nihil Obstat » (« rien ne s’y oppose ») à sa nomination.

O. R : Qu’est-ce qui vous lie aux autres universités catholiques ?

P. S : Des valeurs et une représentation commune au sein de l’UDESCA, elle-même membre de l’UPES (organisation patronale créée en 2024 pour représenter et défendre les intérêts des établissements d’enseignement supérieur privé). Ensemble nous participons à de multiples groupes de travail pour représenter les spécificités de nos établissements. Une préoccupation actuelle est le développement anarchique de l’enseignement supérieur privé lucratif et le risque qu’il porte d’une confusion par rapport à notre modèle. Nous insistons beaucoup sur la valeur du label EESPIG et ce qu’il apporte de preuve de sérieux et de garantie d’affectation des ressources au projet que nous portons, puisque nous n’avons pas d’actionnaire à rémunérer.

Il y a bien-sûr des établissements lucratifs très sérieux mais il y a aussi beaucoup d’abus comme l’a montré la publication du livre « Le Cube ». Que ce soient les dérives dénoncées dans cet ouvrage, ou celles qui ont été mises en évidence dans l’affaire Orpéa, pour les EHPAD, c’est le même mécanisme d’une recherche de la performance financière au détriment de la qualité du service de l’intérêt général qui est observé.

O. R : Le gouvernement baisse régulièrement les financements de l’apprentissage. Est-ce un problème majeur pour vous ?

P. S : La dérégulation de l’apprentissage, comme les ressources importantes qui ont été allouées à ce secteur ont créé un effet d’aubaine pour nombre d’établissements privés lucratifs. On a parlé de l’apparition d’écoles « champignon ».

Aujourd’hui il faut continuer à soutenir l’apprentissage qui est une très belle voie de formation et répond à la barrière aux freins d’entrée dans le supérieur que sont encore trop souvent les frais de scolarité.

Pour autant il faut que ce soutien soit contrôlé et réponde à un certain nombre de règles. Or certains n’ont pas développé des formations de qualité ni répondu aux besoins des apprentis, visant plutôt la rémunération et les ressources affectées à l’apprentissage. La baisse probable des financements doit donc porter principalement sur les entreprises comme sur les établissements qui ont développé l’apprentissage principalement pour profiter de cette manne.

O. R : Au sein de la fédération d’établissements qu’est l’Université catholique de Lille l’un, JUNIA, a vécu des années difficiles financièrement. Où en est-on aujourd’hui ?

P. S : JUNIA remonte la pente après effectivement une phase de difficultés. Décidé il y a sept-huit ans, son ambitieux plan stratégique de développement a été confronté au revirement des flux internationaux, au Covid et à l’inflation. Aujourd’hui la Commission des titres d’ingénieur (CTI) comme le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) confirment sa remontée.

O. R : Pouvez-vous nous donner des premières appréciations sur vos résultats sur Parcoursup cette année ?

P. S : Les premiers chiffres de vœux que nous avons collectés sont très contrastés entre des filières qui ont de forts taux de progression, comme le droit, les sciences politiques ou le management, et d’autres plus classiques comme les sciences humaines et sociales plutôt moins demandées. L’expérience nous a prouvé qu’il fallait attendre la rentrée pour se faire une opinion définitive car le comportement des candidats évolue chaque année. Aujourd’hui, par exemple, la phase complémentaire devient une véritable seconde phase d’inscription.

Sur Monmaster la progression des candidatures est assez nette et générale mais cela peut aussi s’expliquer par une augmentation du nombre de candidatures par candidat.

O. R : Portez-vous une attention particulière aux grands classements français ou internationaux des universités ?

P. S : Nous ne regardons pas vraiment les classements au niveau de l’Université. A la différence de nos écoles.

O. R : Quel regard jetez-vous sur l’évolution de la politique américaine vis-à-vis de ses universités ? Cela peut-il accroitre l’accueil des étudiants internationaux en France ?

P. S : Nous sommes très préoccupés. Nous pourrions recevoir des professeurs, doctorants ou post doctorants sans financement aux Etats-Unis. La question se pose aussi sur l’accueil des étudiants internationaux. Alors que le nombre d’étudiants français va diminuer d’ici quelques années l’accueil de plus d’étudiants internationaux – quelle que soit la politique américaine – est un enjeu majeur mais délicat car la situation géopolitique est en rapide évolution.

Nous ne pouvons pas faire reposer notre avenir sur l’accueil d’étudiants internationaux qui représentent aujourd’hui presque 20% de nos effectifs. Nous sommes une université très internationale à seulement cinq kilomètres de la frontière belge, proche de l’Angleterre, tournée vers l’Europe et favorable à la construction européenne. Dans le cadre de notre alliance stratégique avec l’université de Valenciennes, nous sommes en cours d’adhésion à l’université européenne EUNICE.

O. R : Quels sont les freins à l’accueil d’étudiants internationaux en France ?

P. S : La délivrance et le renouvellement des visas pour les étudiants internationaux est un vrai sujet. Heureusement, les bons rapports avec la préfecture et la culture de proximité du Nord aide à trouver des solutions assez efficaces pour nos étudiants internationaux.

O. R : La vie étudiante est un sujet de plus en plus important dans les établissements d’enseignement supérieur. Quelles sont vos actions en la matière ?

P. S : L’expérience de vie de nos étudiants est un sujet très important pour nous. Si les familles nous font confiance c’est qu’elles imaginent que nous proposons un climat porteur pour une expérience étudiante optimale. Elles attendent une qualité d’accompagnement particulière des étudiants.

Nous avons également une forte activité associative avec de nombreuses possibilités d’engagement, solidaire, citoyen, sportif, artistique, culturel ou spirituel… Nos étudiants montent par exemple chaque année une comédie musicale de A à Z. Notre mission éducative ne se résume pas à donner des cours !

O. R : La santé mentale des étudiants est la thématique de l’année en matière de santé. Comment la prenez-vous en compte ?

P. S : Comme tous les établissements nous avons adopté un schéma directeur de la vie étudiante qui prend en compte leur santé mentale. Je pensais, que l’épisode Covid serait dépassé après quelques années. Je me suis trompé. Nous sommes face à une génération post Covid qui a vraiment vécu une rupture. Les consultations de nos psychologues ont ainsi doublé depuis 2019 avec des problèmes d’angoisse, de dépression, voire de tendance suicidaires de plus en plus prégnants. Notre Centre Polyvalent de Santé Universitaire (CPSU) essaye de proposer un accueil social comme psychologique mais nous sommes frappés par l’augmentation des cas.

Au niveau local nous nous sommes en contact avec le conseil de santé mental de la ville de Lille. Nous sommes en train de finaliser notre entrée dans ce conseil pour former nos salariés à ces questions et trouver des possibilités de prise en charge pour les cas les plus graves. Nous nous posons également la question de créer des postes de « vigie santé » avec des étudiants mais nous devons bien prendre garde aussi à la charge psychique que cela fait peser sur eux.

Nous faisons face à un sujet de fond pour lequel il faut trouver des idées nouvelles. Cela correspond à notre vision éducative de nous adapter en permanence aux nouvelles générations avec leurs potentialités et aussi leurs problèmes. Nous sommes là pour permettre à nos étudiants de développer leur personnalité. Mais nous devons aussi avoir l’humilité d’admettre que nous ne sommes pas tous puissants ni seuls intervenants.

O. R : Comment apportez-vous à vos étudiants le sens de ces valeurs humanistes que vous défendez ?

P. S : Les principes qui ont guidé notre création au XIXème siècle restent d’actualité avec des jeunes du XXIème siècle. Nous cultivons notre ancrage dans une certaine vision de la personne qui n’est pas l’apanage des seuls chrétiens. Nous devons développer chez nos étudiants la capacité d’être en relation avec les autres comme avec l’ensemble de l’écosystème. Le développement de la connaissance de soi aide à trouver sa place dans la société comme c’était déjà le cas en 1875. Notre projet stratégique s’appelle d’ailleurs « Humanistes du XXIème siècle ». C’est un bon résumé de ce que nous voulons continuer à vivre avec nos salariés comme avec nos étudiants.

O. R : Vous organisez cette année de nombreux événements pour célébrer vos 150 ans. Vous pouvez nous en citer quelques-uns ?P. S : Nous réhabilitons l’Observatoire qui se situe au sommet de notre Hôtel Académique. Un signal fort alors que la science doit être remise à l’honneur dans l’esprit des actions Stand up for Science. Nous y avons inauguré le 13 mars un lieu de co-working. Le même jour nous avions organisé une course de chars qui a mobilisé tous les établissements sur un mode ludique.

En octobre prochain nous organiserons un événement, Ecoposs, qui sera une forme d’université populaire. Nous souhaitons ouvrir nos portes à un public très large. Pendant trois jours nous nous intéresserons aux grands défis de notre temps, la transition énergétique et sociétale, l’impact du numérique et de l’IA, la situation géopolitique, le vivre ensemble, les futurs désirables, etc. Autant de défis sur lesquels nous allons mobiliser des experts autour de tables rondes, d’ateliers, mais aussi d’un salon du livre et d’événements artistiques.

  • L’impact de l’Université Catholique de Lille sur son territoire. À l’occasion de son 150ᵉ anniversaire, l’Université Catholique de Lille s’est associée à l’Agence de Développement et d’Urbanisme de Lille Métropole (ADULM) pour réaliser une étude approfondie de son impact sur le territoire. Elle compte ainsi 6100 emplois équivalent. temps plein et 7 000 collaborateurs soit le 4e employeur privé du Nord-Pas-de-Calais (dont 3 800 ETP dédiés au « prendre soin »). Côté étudiants avec une multiplication par deux de ses effectifs en 13 ans elle représente 30 000 inscrits au sein de la métropole lilloise soit 1 étudiant sur 5. Le taux de réussite de ses étudiants est supérieur à 88% en licence. Le taux d’insertion professionnelle de ses écoles est de 90%, 6 mois après l’obtention du diplôme.  Elle compte par ailleurs 8 800 étudiants internationaux provenant de 50 pays différents (10% des étudiants indiens en France sont inscrits à l’UCL).

 

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