ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« Nous avons sans cesse à faire reconnaitre les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) »

Il préside la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) et dirige UniLaSalle. Contre certaines dérives qu’il dénonce, Philippe Choquet défend inlassablement un modèle d’écoles associatives à but non lucratif, celui des établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG). Il jette avec nous un regard acéré sur les évolutions d’un enseignement supérieur dans lequel les établissements qu’ils représentent ne se sentent pas assez bien reconnus par la puissance publique.

Olivier Rollot : En tant que président de la Fesic quel grands objectifs vous donnez-vous en ce début d’année 2023 ?

Philippe Choquet : Nous avons sans cesse à faire reconnaitre les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG), notamment face à un enseignement supérieur privé à but lucratif qui s’est engouffré dans le financement de l’apprentissage avec peu de contrôles académiques. Nous faisons face à des acteurs qui ont des exigences très variables en termes de formation. Nous employons des enseignants-chercheurs qui sont à moitié chercheurs quand beaucoup d’écoles privées à but lucratif ne travaillent qu’avec des vacataires.

O. R : Avoir le contrat d’EESPIG donne quand même à vos écoles des moyens dédiés de la part de l’Etat.

P. C : Oui mais notre subvention a été divisée par deux depuis 10 ans. Depuis 2010 son montant total est de 75 millions d’euros alors que, dans le même temps, le nombre d’étudiants dans des écoles sous contrat EESPIG a été multiplié par deux. Que ce soit avec l’augmentation des effectifs des établissements déjà sous contrat EESPIG ou avec l’intégration de nouveaux établissements.

Etre EESPIG c’est s’engager à être évalué comme les établissements publics par le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et à contractualiser avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Autant de contraintes qui ont aussi un coût quand les établissements privés lucratifs ne sont contraints en rien.

Les charges consécutives aux missions de service public que nous rendons doivent être compensée par l’Etat. Il faut revenir à ce qu’était le financement des étudiants en 2010, soit 1200€ par an et par étudiant avec les mêmes taux d’augmentation que les établissements publics. 1200€ c’est seulement 10% de ce qui est donné à ces établissements publics pour chaque étudiant qu’ils reçoivent. Aujourd’hui les conventions d’EESPIG que nous signons renforcent nos missions mais aussi nos contraintes sans la reconnaissance correspondante.

O. R : La qualité des EESPIG on ne la retrouve pas dans les établissements lucratifs ?

P. C : Nous sommes les premiers à mettre en garde contre des établissements d’enseignement supérieur dont la qualité de formation ne répond pas aux standards qu’on peut exiger d’eux. Si on s’abstenait de les financer, cela résoudrait largement le problème du financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Il faut vraiment différencier les diplômes dont la qualité est reconnue académiquement de ceux qui sont seulement des titres du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles).

Le système d’évaluation est à revoir. Aujourd’hui ce sont les familles les plus fragiles qui se font berner faute de bien maîtriser tous les codes. C’est aussi pour cela que nous voulons montrer la force du contrat EESPIG dont le rôle est reconnu par la Loi de programmation de la recherche (opérateur de la recherche publique – art. L 112-2 du code de la recherche Ndlr).

O. R : Au sein de la branche de l’enseignement privé indépendant (EPI), dont les écoles de la Fesic font partie, a été créé fin 2022 une organisation professionnelle d’employeurs par la FESIC, l’UGEI, l’UDESCA et l’UNFL : l’Union professionnelle de l’enseignement supérieur privé (UPES), qui réunit déjà près de 70 établissements et 30 000 salariés. Quelles vont être ses missions ?

P. C : La baisse du nombre des conventions collectives a conduit à un regroupement de la quasi-totalité des établissements du supérieur au sein d’une même convention collective (l’enseignement privé indépendant). L’enseignement supérieur est actuellement mal représenté au sein de la fédération patronale existante (FNEP), notamment dans ses spécificités que sont la recherche, l’évolution des métiers ou le droit de propriété intellectuelle. 80% des membres de la FNEP sont des collèges ou des lycées : ce sont souvent de très petits acteurs quand ceux de l’enseignement supérieur ont des périmètres beaucoup plus importants.

Aujourd’hui il ne s’agit pas pour nous de nous opposer à la FNEP mais de créer un espace de dialogue avec les parties prenantes de la branche, FNEP comme syndicats, afin de porter les spécificités du supérieur, notamment la gestion sociale de nos enseignants-chercheurs. Un certain nombre d’établissements consulaires sous statut EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire), sous tutelle des chambres de commerce et d’industrie, nous rejoignent d’ailleurs. EESPIG, EESC mais aussi établissements privés à but lucratifs vont ainsi se retrouver dans un lieu d’échange commun pour la défense des intérêts sociaux des établissements du supérieur.

O. R : L’UPES a-t-elle l’intention d’être demain reconnue comme un interlocuteur par l’Etat ?

P. C : Il faut un certain temps pour être reconnu comme représentatif auprès des instances gouvernementales. Nous y penserons en 2024 lors de la prochaine campagne de représentativité professionnelle.

Les enjeux sont importants. Aujourd’hui par exemple, le statut d’enseignant-chercheur n’est pas pris en compte dans la convention collective générique dont nous dépendons. C’est pourtant essentiel pour notre recrutement alors que nous sommes en concurrence avec des établissements privés classiques pour beaucoup de postes.

O. R : Parlez-nous un peu d’UniLaSalle, l’institut polytechnique que vous dirigez et qui compte notamment cinq diplômes d’ingénieurs et, depuis 2022, une école vétérinaire Tout le monde ne le sait pas mais elle fait partie d’un des plus importants réseaux d’enseignement au monde.

P. C : Jean-Baptiste de La Salle a créé les premières écoles gratuites en France au XVIIème siècle. Auparavant seuls les précepteurs enseignaient aux plus riches. Sa pédagogie a permis à des classes entières de se constituer et s’est ensuite répandue dans le monde entier. En 2007 notre école a changé de nom pour être adossée à un réseau mondial.

Aujourd’hui UniLaSalle est la première ONG mondiale d’éducation. Elle est présente dans 82 pays et possède des universités dans une trentaine. Elle ouvre une université chaque semestre dans les pays émergents. Un exemple : en Ethiopie seulement 2% d’une classe d’âge accède aujourd’hui à l’enseignement supérieur et le challenge est de passer à 10 % – on est aujourd’hui à 20 % en Chine – alors que l’Etat n’en a pas les moyens. C’est là qu’UniLaSalle intervient avec de nombreux projets en Afrique comme en Amérique latine. Nous sommes pour notre part impliqués dans des projets aux Philippines comme au Cameroun.

O. R : Une question d’orientation. Comment la réforme du bac vous a-t-elle impacté ?

P. C : Les écoles d’ingénieur industrielles recrutent essentiellement des élèves qui ont choisi les spécialités mathématiques et physique-chimie en terminale. Parmi nos étudiants, beaucoup ont abandonné la spécialité physique-chimie et nous devons les remettre à niveau. Une réforme de notre pédagogie nous a justement permis de constituer des sous-groupes en première année. Pour les constituer nous faisons passer des entretiens à tous nos futurs étudiants. Parce que nous voulons les garder cinq ans !

O. R : La qualité de l’expérience étudiante est très importante pour vous ?

P. C : Être une école EESPIG c’est être attaché à la dimension éducative par vocation. Les familles, les collectivités comme les entreprises sont parties prenantes et nous sommes à leur écoute.

O. R : Quel regard jetez-vous sur les classements des écoles d’ingénieurs ?

P. C : Quand on compare les écoles de commerce ce sont des écoles très comparables. En revanche, les écoles d’ingénieurs sont toutes très différentes. Prenons une école d’agronomie comme UniLaSalle. Forcément les salaires de sortie de nos diplômés sont moins élevés pour des étudiants qui travaillent en province. Nous avons aussi peu de diplômés à l’étranger. Et comment garantit-on les chiffres que publient les classeurs ? Alors que tout est basé sur la différenciation dans les écoles d’ingénieurs, les classements contribuent à une disparition de cette différenciation.

O. R : C’est un des grands enjeux actuels : comment introduire la transition écologique dans les enseignements ?

P. C : La recherche de sens de nos étudiants est de plus en plus présente. Ils sont très sensibilisés aux enjeux de la transition écologique. Nous effectuons un travail important avec nos professeurs pour que les indicateurs de transition soient présents dans toutes les activités.

O. R : En 2022 vous avez créé la première école vétérinaire privée. Quels sont ses objectifs ?

P. C : Aujourd’hui 55% des vétérinaires inscrits à l’ordre ont obtenu leur diplôme à l’étranger. Il y a par exemple 18 écoles vétérinaires en Espagne pour seulement quatre en France. Nous militons donc depuis longtemps pour en créer une cinquième. Ce n’était plus tenable mais l’Etat n’avait pas les moyens de créer cette école. En tant qu’EESPIG nous sommes capables de former à coûts complets des élèves vétérinaires pour 25K€ par an quand c’est le double dans une école publique. Nous avons ainsi pu contractualiser cette formation avec le ministère de l’Agriculture pour flécher une part des subventions tout en étant aidé par les collectivités et par la taxe d’apprentissage.

Nous espérons que beaucoup des jeunes que nous allons former travaillerons plus tard dans des zones agricoles. Être un établissement postbac nous permet justement de recruter des jeunes dans des lycées ruraux, ce qui est difficile pour les classes préparatoires.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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