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Comment se forge un destin ? : Alexandre de Navailles, directeur général de Kedge BS

Il a inauguré le 1er février 2023 le nouveau campus de Paris de Kedge BS. Mais qui est Alexandre de Navailles, quelle trajectoire l’a conduit à prendre en 2020 la direction de Kedge BS ? D’abord un tournant décisif pris en 2007. Cadre chez Hertz depuis 1997 il prend la décision de repartir à Londres, où il avait déjà travaillé pour Hertz de 1997 à 2000 : « Je suis arrivé au siège européen de Hertz à un moment où l’entreprise était en pleine transformation. Nous venions d’être rachetés par un fonds qui souhaitait une organisation plus matricielle que par pays et cela faisait émerger de nouveaux métiers ».

Nommé directeur Pricing et Yield Management (fixation des prix et gestion de la flotte) de la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique à 34 ans, Alexandre de Navailles y découvre vraiment la culture d’un pays qu’il ne connaissait encore que de façon très partielle : « J’aime beaucoup la vie londonienne, j’ai même un temps envisagé de prendre la nationalité britannique ». Aux côtés d’une femme rencontrée sur les bancs de Dauphine, qui « le comprend et accepte qu’il travaille et voyage beaucoup », et de leurs deux enfants – d’alors 4 ans et 2 ans -, il va surtout devoir affronter l’extrême turbulence d’années de crise. Six mois après son arrivée à Londres, survient en effet le krach de 2008, la faillite de Lehman Brothers et « dans ce cas-là quels budgets coupe-t-on en premier dans les entreprises ? La formation et les voyages ». Extrêmement endetté, Hertz va affronter des années très difficiles. Ce qui ne déplait pas forcément à « l’éternel optimiste » qu’est Alexandre de Navailles: « Pendant deux ans et demi nous avons eu un boulot monstre. Mais j’aime les situations complexes. Sinon je m’ennuie. Sans être fataliste j’ai tendance à voir le bon côté des choses. Un peu à l’image des anglo-saxons, qui pensent toujours qu’ils vont s’en sortir, je suis toujours optimiste ! ».

Sa jeunesse à Paris et… Rio

Mais revenons en arrière. Aux années de formation. Et même d’enfance. Né à Pau, Alexandre de Navailles se sent d’abord béarnais – « J’aime bien faire la fête, être en bonne compagnie. Cela tient sans doute à mes racines familiales du Sud-Ouest » –, même s’il va vivre ses premières années essentiellement à Paris. Mais à l’âge de deux ans et demi tout est bouleversé : son père accepte la direction de Peugeot pour l’Amérique latine. Le voici pendant cinq ans à Rio ! « L’après-midi il n’y a pas d’école au Brésil. Je passais donc une grande partie de la journée à la plage, à Copacabana, en maillot de bain et en tongs. Toujours bronzé » Un passage dont il garde toujours une certaine nostalgie : « Cela ne m’a pas vraiment posé de problème de rentrer à Paris. Pour autant je suis très attaché à la culture brésilienne et au portugais, qui était ma langue quasiment maternelle. Même si je l’ai largement oubliée, elle me revient vite quand je voyage au Brésil ou au Portugal ».

A Paris ce sont des années très « protégées » que passe Alexandre de Navailles entre le lycée Saint-Jean de Passy, un bac C (scientifique) puis Paris-Dauphine. « Au lycée le préfet m’a dit « vous ne ferez pas de prépa ! » Et effectivement je n’étais pas assez motivé à l’époque contrairement à tous mes amis. » Bon élève quand même le voilà en MASS (mathématiques appliquées aux sciences sociales) à Dauphine. Il y découvre une appétence pour les mathématiques un peu limitée pour y poursuivre dans la même voie. Après son DEUG il s’inscrit donc en gestion et y obtiendra son master en 1997.

23 ans chez Hertz

Une fois diplômé de Dauphine, Alexandre de Navailles rejoint pendant un an l’Union des Banques Suisses, à Paris, au trading sur les obligations. Ce qui ne lui convient absolument pas : « Je gagnais bien ma vie mais je ne comprenais pas l’intérêt de mon travail. Au bout d’un an j’arrête. Décidément je ne veux pas être banquier ! » C’est là qu’il entre chez Hertz et découvre une vie londonienne marquée par la mort récente de Lady Di. Il y retrouve également bon nombre de ses coreligionnaires de Dauphine : « Nous étions une cinquantaine de ma promotion et l’ambiance était fantastique avec des amis de fac qui se retrouvaient tous les jours.».

Mais pourquoi Hertz ? Par atavisme alors que son père travaillait chez Peugeot ? « Non je ne suis pas amateur de voitures. Cela a même été assez gênant toutes ces années de se voir présenter les derniers modèles, d’aller sur des circuits, au Mans ou au Castellet, sans grand intérêt. Non je crois que j’ai choisi de travailler pour Hertz pour le côté voyages. » Après avoir passé une partie de son enfance à Rio, fait beaucoup de voyages avec ses parents dans le monde entier toute son enfance, Alexandre de Navailles en garde une vraie passion : « J’ai toujours adoré les aéroports et les gares. Et qu’est-ce qu’on voit en premier dans un aéroport ou une gare ? Une agence de location de voitures. C’est peut-être pour cela que j’ai accepté l’offre de cette superbe marque, parmi les plus connues dans le monde, qu’est Hertz de me lancer dans un métier que je ne connaissais absolument pas ».

Alexandre de Navailles passera en tout 23 ans dans une entreprise qu’il juge toujours aussi « passionnante » et dont il sera in fine président pour la France : « Un job auquel je pensais depuis longtemps. De plus j’avais envie de revenir à Paris pour ma femme et mes enfants après huit années à Londres ».

De nouveaux défis chez Kedge

Alexandre de Navailles garde des souvenirs magiques de ses années à Dauphine. Ambassadeur de la fondation, il est même grand donateur de l’université : « J’ai adoré cette école qui n’en est pas une, cette fac qui n’en est pas une ». C’est sans doute pour cela qu’il accepte vite de rejoindre Kedge après une une proposition « plutôt inattendue » d’un chasseur de têtes : « Je n’ai pas trop hésité car j’avais tout de suite accroché avec l’école, son côté challenger, et ceux que j’ai rencontrés comme la présidente de l’époque, Agnès Grangé, et les deux chambres de commerce et d’industrie de Bordeaux et Marseille. » Il rejoint Kedge à l’été 2020 en plein Covid après avoir dû mettre une grande partie de ses équipes d’Hertz au chômage partiel : « Le jour où on me propose la direction de Kedge, Emmanuel Macron annonce le confinement du pays. J’ai bien indiqué aux recruteurs que j’allais mettre à plat l’organisation de Hertz avant de rejoindre l’école ».

Ce qui l’a motivé également à rejoindre Kedge c’est un goût certain pour les nouveaux défis et les organisations complexes : « L’organisation bicéphale, avec la double tutelle des chambres de commerce et d’industrie, les associations, la nécessité d’aligner tous les administrateurs sur mes décisions dans une école qui a encore besoin de se structurer, tout cela me passionne ». S’il est présent chaque semaine sur les quatre campus de l’école – Bordeaux, Marseille, Toulon (quand il le peut) et Paris -, il habite la capitale parce que c’est « plus pratique pour se déplacer ».

Le tout dans un enseignement supérieur français « très complexe et en pleine transformation, bousculé par des groupes d’écoles qui n’ont pas le même fonctionnement que les Grandes Ecoles, ne cherchent pas les mêmes accréditations. Or j’aime bien être bousculé ». De ses 23 années passées chez Hertz, Alexandre de Navailles retient justement trois grandes périodes : celle où Hertz, Avis et Europcar sa partageaient le marché, celle où il a fallu compter avec de grands intermédiaires comme Expedia et celle enfin, actuelle, où des acteurs différents tel Blablacar se sont imposés en mettant en contact des particuliers entre eux : « A chaque fois nous avons dû redoubler de travail pour rendre de meilleurs services. A chaque fois nous nous sommes remis en question et nous avons progressé. Il ne faut pas se battre contre les disrupteurs mais s’adapter dans le sens de la demande qu’ils incarnent ».

Former, une passion qui s’impose

Un peu plus de deux ans après sa nomination à la direction de Kedge, Alexandre de Navailles dit « commencer à comprendre les subtilités d’un monde extraordinaire » : « Je reste le fruit d’une entreprise très axée sur le business tout en appréciant la chance d’avoir aujourd’hui la mission de former des jeunes. Ils se révèlent chez nous pendant les deux, trois ou cinq ans qu’ils y passent. Ils ont 17 ou 19 ans quand ils arrivent et en repartent à 22 totalement transformés ». Le tout avec une vraie « complicité intellectuelle » avec ses équipes sur des sujets pédagogiques qu’il juge « passionnants ». Mais attention : il ne se substituera jamais aux experts : « J’ai toute une équipe dédiée et une entière confiance en eux ! »

S’il ne peut évidemment pas connaître tous ses 15 000 étudiants, Alexandre de Navailles se veut proche des présidents des associations. Et son bureau est toujours ouvert à ceux qui veulent lui parler. C’est dire s’il se projette dans l’avenir dans un poste où il se verrait bien passer les 20 années de vie professionnelle qu’il lui reste à effectuer : « Aussi longtemps qu’on voudra que je reste je resterai. Je ne me vois absolument pas quitter Kedge pour aller dans une autre école ».

Alors qu’il voyage aujourd’hui beaucoup moins à l’étranger que lorsqu’il était chez Hertz – « A Londres, je passais trois jours à l’étranger par semaine. Ici c’est une fois par mois. Je vais notamment à Dakar où nous avons un campus » – son expérience britannique lui sert beaucoup dans un environnement aussi multiculturel que Kedge dont 45% des professeurs et un quart des étudiants sont étrangers: « A Londres ce que j’appréciais le plus c’était de travailler dans une entreprise internationale avec des Américains, des Anglais, des Suisses, etc., chacun avec leurs qualités. Et en anglais 24 heures sur 24 ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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