ECOLES DE MANAGEMENT

« Nous avons vécu, nous vivons, une disruption accélérée »: Alexandre de Navailles, directeur général de Kedge

Les bientôt cinq mois qu’il a passés à la direction générale de Kedge ont été très particuliers en pleine crise de la Covid-19. Alexandre de Navailles fait le point avec nous sur sa découverte de Kedge et trace les grandes lignes de la stratégie qu’il dévoilera début 2021.

Olivier Rollot : Il y a maintenant près de cinq mois que vous avez été nommé à la direction de Kedge BS. Au-delà de la gestion de la pandémie de la Covid-19 quel est aujourd’hui votre principal chantier ?

Alexandre de Navailles : Nous travaillons sur notre nouveau plan stratégique pour les années 2021-2025 en embarquant les collaborateurs de l’école dans cet exercice. Nous le communiquerons en janvier. Ce plan sera construit à partir de l’histoire de deux écoles plus que centenaires viscéralement attachées à leurs territoires et qui doivent le rester. Il sera également fondé sur les bases de ce qui a déjà été construit. Pas question de faire un virage à 180° pour une belle histoire commencée en 2013 et qui a permis de faire que 1+1 soit égale à trois en nombre d’étudiants qui passent par l’école.

Délivrer ensuite ce plan sera le vrai challenge. Je m’inscris dans cette perspective de cinq, de dix ans. Je ne veux pas entrer dans le jeu du mercato. Je suis un dirigeant loyal et fidèle comme je l’ai prouvé tout au long de mes 23 années passées chez Hertz. 23 années passionnantes qui m’ont permis de réaliser toutes sortes d’objectifs.O

O. R : Quels sont les points forts sur lesquels Kedge peut aujourd’hui s’appuyer ?

de N : Il y en a beaucoup à commencer par une recherche très développée et efficace qui sert le développement de notre pédagogie et donc nos étudiants et bien entendu les entreprises avec lesquelles nous collaborons sur nos domaines d’expertise et d’excellence. Que ce soit en santé, supply chain, RSE, marketing, management de la culture, ou encore alimentation vin & hospitalité. J’arrive dans un environnement solide qui offre beaucoup d’opportunités et auquel j’apporte une touche de business et de leadership. Ainsi qu’un réseau.

KEDGE est une des dix « Écoles de Commerce Championnes de l’Entrepreneuriat » selon le magazine Forbes et la première selon Le Parisien. Reconnue pour son action et pour l’ensemble de son dispositif entrepreneurial auprès de ses étudiants et de ses diplômés, KEDGE innove et intensifie régulièrement son accompagnement auprès des start-ups.

O. R : Le challenge c’est aussi aujourd’hui pour vous de faire évoluer une école qui a été très bien gérée jusqu’ici.

A. de N : Kedge est effectivement bien gérée, sans dettes ni subventions ce qui en fait l’une des rares totalement autonome financièrement. Elle présente malgré tout encore des opportunités, nous pouvons apporter des touches de management que l’on pourrait retrouver dans les entreprises, comme le leadership, le développement des équipes, l’allocation des ressources. Pour autant nous devons aussi travailler à nous rappeler que nous sommes avant tout une école qui pose des questions et trouve des solutions, qui cherche, qui enseigne et qui développe les compétences de ses étudiants.

O. R : Si vous deviez faire un « rapport d’étonnement » après ces quatre mois à la tête de Kedge que retiendriez-vous ?

A. de N : Avec la Covid-19 j’ai vécu mon arrivée dans des conditions un peu spéciales. J’ai découvert des campus merveilleux mais vides de leurs étudiants. J’ai repris contact avec un monde dans lequel les professeurs ont un savoir-faire que j’avais totalement perdu de vue depuis mon diplôme à Paris-Dauphine. Quand on vient de l’extérieur on ne mesure pas bien le poids de la recherche dans les écoles de management pour créer la pédagogie et développer les connaissances.

Je découvre également un monde hyper-concurrentiel dans lequel la marque revêt une importance fondamentale. La méthode, la qualité de la pédagogie, le service apporté aux étudiants c’est ce qui fait la différence alors que les écoles « vendent finalement le même service ». Le poids de cette concurrence effrénée je crois même que les écoles ne s’en rendent pas compte. Quand je vois comment elles affichent certaines de leurs données les plus confidentielles cela m’étonne un peu…

En résumé j’ai eu quatre mois pour découvrir un monde passionnant et très attachant au-delà même de Kedge. Mais un monde dans lequel on avance je trouve, un peu en ordre dispersé. Entre le Chapitre des écoles de management de la Conférence des Grandes écoles (CGE), les banques d’épreuves, la Fesic, on ne parle pas toujours d’une seule voix.

O. R : Vous découvrez également un monde fait d’accréditations et de classement à ne plus savoir qu’en faire…

A. de N : Effectivement cette multitude d’accréditations est déroutante, elles requièrent beaucoup d’énergie pour les renouveler, avec des règles qui diffèrent de l’une à l’autre, alors que dans le fond, ce que recherchent les entreprises ce sont avant tout des jeunes bien formés. De même pour les classements : il y en a tant que l’on s’y perd un peu.

O. R : La Covid-19 a profondément bouleversé l’univers de l’enseignement supérieur. Jusqu’où faut-il aller dans la généralisation de l’enseignement à distance ?

A. de N : Nous avons vécu, nous vivons, une disruption accélérée avec, avant le confinement, des cours dispensés à 50% en distanciel. Nous ne serons en tout cas jamais des « livreurs de MOOC ». Nous resterons profondément marqués par la pédagogie, le tutorat, l’accompagnement, le réseau, les alumni car c’est tout ce qui fait la force d’une école. Etre diplômé de Kedge c’est avoir 97% de chances de trouver un travail dans les six mois.

O. R : L’international est un élément majeur du modèle des business schools. Lors de votre première conférence de presse vous avez évoqué la création de campus à l’étranger. Où en êtes-vous de votre réflexion et, plus largement, comment Kedge se comporte-t-elle en ce domaine alors que les possibilités de déplacement sont obérées par la pandémie ?

A. de N : J’ai été un peu surpris de l’absence de Kedge dans d’autres pays européens. Nous sommes en revanche très solidement ancrés à Dakar et désormais à Abidjan ainsi qu’en Chine avec notre MBA et nos deux instituts franco-chinois. Mais je n’ai aujourd’hui pas de projet précis de nouveaux développements. Quant aux étudiants internationaux ceux qui devaient nous rejoindre l’ont fait. Ils sont même un peu plus nombreux qu’en 2019.

Pour nos étudiants qui doivent partir en échange au deuxième semestre, nous avons assuré des back-ups avec nos universités partenaires en Europe, mais nous ne sommes pour l’heure sûrs de rien. Au premier semestre nous avons maintenu la plupart de nos partenariats et utilisé le plus possible les capacités que nous avions de placer nos étudiants en Europe plutôt qu’en Asie ou ailleurs.

O. R : Kedge a doublé cette année le nombre de ces étudiants en apprentissage. Vous avez pu placer tous vos étudiants ?

A. de N : Les aides financière mises en place par le gouvernement et la nouvelle loi sur la formation et l’apprentissage nous ont facilité la tâche. Cela s’est très bien passé grâce au soutien de nos 300 entreprises partenaires et de nos diplômés, et nous avons augmenté de 50% de nombre de nos apprentis dans le programme Grande école.

O. R : Comment s’établit l’équilibre entre vos campus de Bordeaux et Marseille ?

A. de N : Par des programmes spécialisés ou des majeures différents selon les spécificités historiques de nos campus. Et s’il y a aujourd’hui un peu plus d’étudiants en programme Grande école à Bordeaux, l’équilibre va être rétabli à Marseille avec l’inauguration prochaine d’un nouveau bâtiment qui s’insère parfaitement dans son environnement.

Marseille c’est un potentiel unique d’ouverture sur le monde et un campus au sein duquel les questions de RSE et d’environnement ont un écho particulier. Nous devons trouver un juste équilibre entre deux villes du sud où il fait bon vivre, deux ports ouverts sur le monde, des villes-marques mondiales reconnues partout. A Paris également nous devons poursuivre le développement de nos activités tout en gardant l’ancrage territorial fort de nos autres campus principaux.

O. R : Mais avez-vous en tête une sorte de taille critique à atteindre ?

A. de N : Grossir n’est pas une fin en soi. Si des opportunités de développement existent nous les suivrons.

O. R : Quel regard jetez-vous sur des jeunes dont on sait combien ils ont été critiqués ces dernières semaines pour leur relâchement face à la pandémie ?

A. de N : A 20 ans on est sérieux. A 20 ans on est responsable. Tous nos étudiants sont venus masqués sur les campus et ont respecté les gestes barrière. Je suis toujours choqué d’entendre dire qu’ils sont des « gamins », pas très responsables, alors qu’ils vivent dans un état de pression qui démontre leur sens de la raison. Ce qui doit aussi changer du fait de la crise c’est d’ouvrir les yeux sur le public que nous recevons. Des jeunes qui créent des start up ou seront bientôt directeurs de filiale.

O. R : Ces jeunes sont également très conscients de la nécessité de protéger leur environnement et la société. Un domaine dans lequel Kedge s’est beaucoup investi.

A. de N : La RSE (responsabilité sociétale des entreprises) est un sujet majeur pour Kedge avec un centre de recherche excellent et un test dédié, le Sulitest, que passent tous nos étudiants. Ils sont éco-conscients mais également désireux de découvrir le monde. Et pas tous ensemble au même endroit en restant entre eux !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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