CLASSES PREPAS

Conjuguer l’hybridation au pluriel, en grande école de management et en classes préparatoires économiques (1)

  • Un entretien avec Léon Laulusa, Executive Vice-President de l’ESCP, Directeur général adjoint, Dean for Academic and International Affairs, par Véronique Bonnet, vice-présidente de l’APHEC pour la voie S et représentante pour la culture générale-philosophie.

Cet article en prolonge et complète un autre, également proposé par Christine Pires et Véronique Bonnet, publié le 13 mars 2020, intitulé Oser l’hybridation : de la théorie à la pratique : https://blog.headway-advisory.com/oser-lhybridation-de-la-theorie-a-la-pratique/

 

ENTRETIEN AVEC LE PROFESSEUR LEON LAULUSA, EXECUTIVE VICE-PRESIDENT DE ESCP, DIRECTEUR GENERAL ADJOINT, DEAN FOR ACADEMIC AND INTERNATIONAL AFFAIRS.

Quelle serait votre définition de l’hybridation ?

Ce terme fut d’abord utilisé en biologie animale et végétale puis en linguistique et dans le registre éducatif. Pour moi, la définition du terme “hybridation” en management signifie le croisement, la combinaison de disciplines, une interaction inclusive et décloisonnée pour aboutir à des compétences nouvelles.

Le terme d’hybridation recouvre plusieurs notions qui vont aujourd’hui de pair avec :

  • la double compétence
  • la multidisciplinarité
  • l’interdisciplinarité
  • la transdisciplinarité
  • la transversalité

L’hybridation n’est pas une finalité; elle est un moyen pour mieux appréhender un environnement VICA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu).

Le concept d’hybridation en management n’est pas récent. On trouve des exemples qui s’apparentent au concept de double compétence dès le 19ème siècle, avec par exemple des combinaisons entre l’expertise managériale et l’ingénierie. Dans les années 90 on évoquait l’hybridation des modes de management dans un environnement multiculturaliste ou bien encore entre les secteurs public et privé.

En quoi ESCP a-t-elle récemment revu dans ses cursus la place de l’hybridation ? Par la création de nouveaux cours et nouveaux savoirs ? Par la reconfiguration et l’infléchissement de cours déjà existants ?

Nous avions commencé avec l’hybridation culturelle grâce à notre modèle singulier de mobilité européenne inter-campus. Il s’agissait pour les étudiants de mieux développer leur intelligence interculturelle et mieux se mouvoir entre les cultures. Puis nous avons développé l’hybridation des connaissances, leur permettant d’avoir une meilleure grille de lecture et de compréhension du monde sous différentes perspectives. Nous développons maintenant celle des compétences pour une meilleure agilité créative, opérationnelle et de résolution de problèmes. Pour ESCP, c’est l’hybridation des 3C :  Cultures, Connaissances et Compétences.

La réforme du programme programme Grande Ecole MiM mise en œuvre depuis la rentrée de septembre 2020 est axée sur cette hybridation. Dans ce contexte, nous avons intégré cinq dimensions combinées dont tout diplômé devra acquérir à minima en termes d’état d’esprit (mindset):

  • les critère ESG : environnementaux, sociaux et de gouvernance incluant l’éthique (1),
  • la dimension digitale (2),
  • la dimension entrepreneuriale (3),
  • la dimension multiculturelle (4),
  • l’hybridation des expertises (5).

Par exemple, pour la première dimension (1), nous avons introduit un séminaire obligatoire en première année du programme Grande École (PGE), un cours fondamental sur le développement durable. Cette problématique est également diffusée de manière transdisciplinaire.

Pour la deuxième dimension (2), nous avons créé depuis septembre 2020 pour les élèves en deuxième année PGE un séminaire Digital Spark pour appréhender les problématiques numériques.

Vue de manière transdisciplinaire, la dimension entrepreneuriale (3) est également proposée dans les cours de spécialisations.

La dimension multiculturelle (4) est expérimentée notamment à travers les groupes de travail internationaux, les cours de management interculturel et les six approches pédagogiques différentes au sein de nos 6 campus.

Pour l’hybridation des expertises (5), nous offrons à nos étudiants la possibilité d’acquérir la multi-compétence grâce aux spécialisations et les accords de double diplôme en France et à l’international, selon la stratégie ABCDE (Art, Business, Cultures, Diplomacy, Engineering). Nos élèves peuvent désormais choisir une spécialisation sur les 59 proposées au second semestre de leur deuxième année du PGE (M1) et poursuivre jusqu’à deux autres nouvelles en année M2. Ils peuvent effectuer 3 spécialisations différentes au total consécutivement durant leur cursus. Durant la période du premier confinement, nous avons créé 28 nouvelles spécialisations.

L’hybridation fait-elle partie des demandes des entreprises ? Essentiellement pour quelles carrières ?

L’hybridation en entreprise n’est pas récente. On parlait de profil double compétence comme l’ingénieur commercial, le juriste financier ou le financier juriste, le business développer dans l’art. A titre personnel, dans ma vie antérieure de dirigeant dans une société internationale de conseil en 2003 avant de rejoindre ESCP, je parlais et proposais déjà des consultants hybrides pour accompagner des projets stratégiques dans des entreprises. Par exemple, ces consultants maîtrisaient à la fois la finance et l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMOA) pour accompagner le projet de global reporting au sein d’une société d’assurance allemande leader européen. A l’époque, c’était vu comme innovant car nous étions parmi les premiers à proposer des consultants disposant des deux expertises. Alors que traditionnellement, les autres sociétés de conseil proposaient des profils consultants soit financiers soit AMOA, et non la combinaison des deux expertises.

Aujourd’hui, les entreprises recherchent davantage des profils qui peuvent à la fois avoir une vision stratégique, globale et d’hélicoptère, et maîtriser des compétences pointues pour délivrer des résultats et initier des solutions. Nous observons cela dans tous les secteurs d’activité. Les profils hybrides permettent d’assurer des mobilités fonctionnelles et internationales grâce à leur adaptation et agilité. Ils peuvent ainsi progresser plus rapidement dans leur carrière en interne et externe et accéder très tôt à des postes à forte responsabilité.

Quelques profils hybrides de ESCP :

  • MIM / Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (Défense)
  • MIM / Institut français de la mode (Mode)
  • MiM / Sotheby’s Institute of Art – NYC(Art)
  • MiM / Ferrandi Paris (Art Culinaire/ Hospitalité)
  • MIM / CentraleSupélec (ingénierie)
  • MIM / Mines Paristech (ingénierie)
  • MiM / ENSAE (Statistiques)
  • MiM / Centre de formation des journalistes de Paris (Journalisme)
  • MiM / Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Droit,….)

Dans quelle proportion des cursus de ESCP l’hybridation intervient-elle ? Et à quelle proportion souhaitez-vous l’étendre ?

L’hybridation est présente dès la première année (Pré-Master) du Master in Management – Programme Grande école, avec l’intégration des thématiques liées, notamment aux ESG, dans les cours fondamentaux et les séminaires (transdisciplinarité). Elle est renforcée en deuxième puis en troisième année (M1 et M2), durant lesquelles les étudiants peuvent choisir jusqu’à trois spécialisations parmi une soixantaine, sur des sujets très variés mais toujours stratégiques et actuels, comme la finance de marché ou l’intelligence artificielle. Voir également point 2.

Avez-vous le sentiment que la notion d’hybridation a « fait école » ? Percevez-vous, dans les entreprises, ainsi que chez les institutions partenaires  nationales et internationales, ce même mouvement de fond ?

Le terme d’hybridation n’est pas nécessairement employé par les entreprises, mais la notion est bien présente, et très recherchée. De plus en plus de personnes exercent une multitude de métier au cours de leur vie professionnelle. L’évolution constante des métiers, notamment du fait des outils numériques, nécessite de s’adapter, voire d’acquérir de nouvelles compétences de manière incrémentale ou disruptive. On parle souvent d’apprendre à apprendre. Je pense que dans le monde d’aujourd’hui et de demain, il faut “apprendre à réapprendre”, grâce à l’hybridation. C’est le principe de la formation augmentée tout au long de la vie, pour continuer de se former dans différents domaines d’expertise. On observe que de plus en plus d’entreprises s’insèrent dans cette démarche de formation des collaborateurs.

Les institutions académiques s’emparent aussi du sujet de l’hybridation des compétences.  Nous sommes approchés par des institutions académiques de prestige, en France ou à l’international, pour mettre en place des partenariats hybrides et complémentaires. Si le phénomène n’est pas récent, il est intéressant de noter que les partenariats portent sur des domaines d’expertise de plus en plus large. Nous avons depuis de nombreuses années des accords de double diplôme avec des écoles d’ingénieur, ou encore des facultés de droit au sein d’universités. Dans le cadre de la stratégie ABCDE (Art, Business, Culture, Diplomacy, Engineering) de l’Ecole initiée en 2015, nous avons développé et renforcé les partenariats dans ces domaines. Quelques exemples récents sont le partenariat de double diplôme avec le Sotheby’s Institute of Art, à New York, les Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, le Centre de formation des journalistes de Paris, le MGIMO (prestigieux institut de sciences politiques) à Moscou. Toutes ces institutions cherchent à apporter une dimension business à leurs cursus académiques à travers les programmes de ESCP, et inversement, dans les domaines d’expertise de chacune des institutions.

 

TEMOIGNAGE

Félicie Griller étudiante en échange MiM-Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan

« J’ai participé au Partenariat Grande École (PGE) organisé entre les écoles de commerce et l’Armée de Terre, en février 2020. Après un processus de recrutement très sélectif, car il n’y a que 30 places, (lettre de motivation, entretiens, tests psychotechniques, tests sportifs), j’ai passé 2 mois à Saint Cyr Coëtquidan (maison mère des officiers) pour devenir officier de l’Armée de Terre. J’ai ensuite été projetée au 1er Régiment d’Infanterie (nous avons été projetés dans 30 régiments différents en France (Artillerie, Cavalerie, Génie et Infanterie).

Au 1er Régiment d’Infanterie, j’ai été doublée à un lieutenant chef de section (30 personnes sous ses ordres) lors de ses missions (formation des hommes en grande partie). J’ai eu la chance de participer à beaucoup de séances de tir, des terrains d’entraînements à différents endroits de France et également une mission Sentinelle dans les rues de Paris. A la fin de ces 4 mois, je suis retournée 2 semaines à Saint Cyr pour participer à la cérémonie des officiers « Le Triomphe ».

Je suis désormais chef de section de réserve au 1er Régiment d’Infanterie (1er RI) où je me rends une fois par mois et ai donc 30 hommes sous mes ordres.

Le PGE m’a beaucoup apporté. Il m’a permis de trouver le stage que j’effectue actuellement chez DCI (Défense Conseil International), entreprise visant à faire rayonner le savoir-faire de l’Armée Française à l’international. De plus, je suis convaincue qu’apprendre à gérer ses émotions dans des situations de stress, faim, froid … est très bénéfique quand on retourne en entreprise. Enfin, j’ai vraiment découvert un milieu qui jusque-là me paraissait très fermé au public et que je connaissais très mal. »

 

TEMOIGNAGE

Clara Brabet étudiante en double diplôme MiM-IFM (Institut français de la mode)

« Après une classe préparatoire ECS au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, j’ai intégré ESCP BS (ESCP Europe en ce temps-là) en 2017. J’ai commencé mon cursus de Master in Management de manière classique par une année de Pré-Master, et ai opté pour l’électif « Stratégie de marque » l’année suivante.

Ayant toujours eu un intérêt pour le secteur du luxe, j’ai profité de mon année de césure pour m’immerger dans ce milieu et découvrir sa réalité. J’ai donc réalisé l’intégralité de mon année de césure au sein de la Maison CHANEL, où j’ai passé 6 mois dans la division Parfums-Beauté au sein de l’équipe E-commerce et 6 mois dans la division Mode au sein de l’équipe Formation. A cette occasion, j’ai découvert plus en détail le monde de la mode et du luxe et ai été fascinée par les produits, leur savoir-faire et leur marketing.

Ces deux expériences m’ont convaincue que je voulais poursuivre dans cette voie et j’avais à cœur de spécialiser ma formation, pour en apprendre davantage sur les différentes catégories de produits et parfaire ma culture du secteur de la mode et du luxe. Cela a donc été pour moi une véritable chance d’avoir l’opportunité d’intégrer à la rentrée 2020 le double-diplôme avec l’Institut Français de la Mode, dans le MSc in International Fashion & Luxury Management.

L’enseignement généraliste et pluridisciplinaire de ESCP m’a permis de construire des bases solides et d’avoir une vue d’ensemble du monde de l’entreprise, de ses opportunités et de ses défis, quand l’enseignement spécialisé de l’Institut Français de la Mode m’offre une connaissance plus approfondie du secteur du luxe et de la mode, de ses acteurs, de son histoire et de son fonctionnement. J’ai à l’IFM une partie de mes cours sur la dimension « business » du secteur de la mode et du luxe, mais dans une approche plus spécifique aux enjeux de ce milieu. Les connaissances accumulées lors de mon parcours à ESCP BS permettent ainsi de mettre en perspective ces enseignements.

Ce double-diplôme avec l’IFM m’a également permis de rencontrer de nouveaux étudiants aux parcours extrêmement variés (design, histoire de l’art, hôtellerie…) et aux nationalités diverses. De plus, je réalise la chance que j’ai d’être dans un programme qui me passionne et suis ravie d’apprendre chaque jour.

Ce cursus hybride m’a permis de donner une dimension supplémentaire à mon profil et à l’heure actuelle, je suis convaincue que je veux construire mon parcours professionnel dans ce secteur, forte de ce double-diplôme dans deux écoles d’excellence, chacune reconnue dans son milieu. Dans un futur proche, j’ai l’intention de préparer un doctorat en sciences de gestion en axant ma recherche sur le secteur du luxe, preuve encore une fois que cette hybridation fut essentielle à la construction de mon parcours. »

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend