EMPLOI / SOCIETE

Plébiscité mais sous-financé : le paradoxe de l’enseignement supérieur français

C’est de peu devant les Britanniques mais, selon le Classement mondial de l’employabilité (Global Employability University Ranking and Survey), les établissements d’enseignement supérieur français se placent à la deuxième place du podium des diplômés les plus apprécies par les entreprises du monde entier. Les 11 000 managers de 22 pays qui ont participé à l’enquête, réalisée chaque année depuis 2011 par le cabinet HR consultancy Emerging, ont en effet placé la France deuxième (7,32 % des votes) tout juste devant la Grande-Bretagne (7,29 %) mais bien loin des universités américaines qui écrasent le classement avec 25,41% des suffrages. L’occasion de réaffirmer l’excellence du modèle universitaire français aux yeux des entreprises. « Notre réputation est bien entendue connue des recruteurs. A HEC nous recevons ainsi des entreprises présentes sur de nombreux continents qui viennent recruter des étudiants qu’elles emploieront ensuite dans le monde entier. Prenons un exemple : Bain & Company, l’un des cabinets de conseil les plus renommés au monde, vient ainsi recruter sur le campus avec une grande partie de ses bureaux dans le monde, qu’il s’agisse de New York, Dubai, Hong Kong ou Londres. C’est une chance inouïe pour nos élèves, quelle que soit leur nationalité », établit le directeur général de HEC Paris, Eloïc Peyrache. Oui mais cette réussite s’appuie sur des moyens qui restent sans commune mesure avec ceux des établissements concurrents.

Large domination américaine. En plaçant six universités dans le top 10 (MIT, Caltech, Harvard, Stanford, Yale et Princeton) les États-Unis s’imposent de très loin dans ce classement. Les Britanniques placent quant à eux leurs deux championnes, Cambridge et Oxford, alors que l’université de Tokyo et la National University of Singapore viennent compléter ce top 10. Certes il faut remonter à la 22ème place pour trouver le premier établissement français classé, CentraleSupélec, à la 25ème pour trouver la première école de management (HEC bien sûr) et à la 55ème la première université avec Sorbonne Université, mais beaucoup plus d’établissements français sont classés que de britanniques. « Notre capacité d’attraction des meilleurs étudiants est excellente. Nous regardons par exemple de près quelle est la proportion, parmi les étudiants qui sont admis chez nous et dans d’autres institutions de premier plan, de ceux qui nous choisissent ou qui démissionnent. Le taux de confirmation est excellent », explique encore Eloïc Peyrache.

L’outil développé par HR consultancy Emerging permet de faire des comparaisons entre les établissements. Par exemple ici entre le MIT (Massachusetts Institute of Technology), HEC Paris, l’École polytechnique, Sorbonne Université et Mines Paris depuis 2011.

Un criant manque de moyens. Si l’excellence de l’enseignement supérieur à la française n’est plus à démontrer, il n’en reste pas moins qu’elle repose sur un faible investissement public. Les dépenses annuelles par étudiant de la France sont certes au-dessus de la moyenne de l’OCDE mais, avec 16 962$ par étudiant et par an, quasiment inférieure de moitié aux Etats-Unis et loin des 18 486$ que leur consacre l’Allemagne. Mais comment trouver plus de moyens ? Le Programme d’investissements d’avenir (PIA), et ses multiples actions, a permis de dégager des moyens et fait émerger des universités mieux dotées. S’il se réjouit de l’augmentation des moyens des universités dans le budget 2022, Gilles Roussel, président de l’Université Gustave-Eiffel et ancien président de la Conférence des présidents d’université (CPU) qui a bien suivi tous ces dossiers, n’en reste pas moins prudent : « Les moyens qu’on nous accorde restent très fléchés. Beaucoup sont accordés dans le cadre d’appels à projet chronophages alors que nous avons besoin de moyens récurrents ».

Notamment pour la recherche, la France reste ainsi bien loin des standards européens. « Lorsque les Français vont à la recherche de financements auprès de l’European Research Council leurs financements sont ridicules. L’Agence nationale de la recherche (ANR) finance les projets à hauteur de 200 ou 300 000€ quand les Allemands ou les Britanniques présentent des projets déjà financés en millions d’euros. Avoir aussi pu obtenu en France pour son projet pose un vrai problème de crédibilité », stigmatise ainsi le directeur de l’Espci, Vincent Croquette.

Une note du Conseil d’analyse économique (CAE), think tank du Premier ministre, invite justement à « repenser la stratégie d’investissement dans l’enseignement supérieur pour gagner en efficience et en équité ». Il paraît notamment crucial pour le CAE de diminuer les disparités entre formations en augmentant l’investissement en licence et en master, « ce qui permettrait d’augmenter le taux d’encadrement et les taux de réussite dans ces filières ». Le CAE propose également d’agir en amont sur l’orientation des élèves pour mieux guider les choix, par la publication des niveaux de salaire à la sortie des formations, de leur taux d’insertion professionnelles et de leur coût, en luttant contre les mécanismes d’autocensure.

Pour améliorer l’accès à l’enseignement supérieur des élèves les plus modestes, le CAE recommande de « créer des places supplémentaires, de revaloriser et d’étendre les bourses, d’accroître l’offre de logements conventionnés, et de mettre en place de quotas dans les filières sélectives ». Enfin, « d’orienter les postes et moyens supplémentaires vers les filières qui présentent le rendement relatif le plus élevé, à savoir les filières scientifiques et technique ».

Augmenter les frais de scolarité ? L’augmentation des frais de scolarité, à l’image de ce qui s’est déjà produit à CentraleSupélec ou aux Mines pour les écoles d’ingénieurs publiques, semble s’imposer pour beaucoup comme le moyen le plus efficace d’augmenter durablement les ressources de l’enseignement supérieur. Mais voilà c’est la mesure la plus difficile à prendre pour un gouvernement. En 2021 alors que Arts et Métiers avait émis l’idée d’augmenter les frais de scolarité de ses étudiants, la mesure a finalement été retoquée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation comme le raconte son directeur général, Laurent Champaney : « Nous envisagions une augmentation de 1900€ par an pour les 80% de nos élèves qui ne sont pas boursiers – pas plus qu’aux étudiants déjà dans l’école – soit un total de 2500€ par an qui nous aurait permis de dégager chaque année deux millions d’euros supplémentaires sur un budget total de 120 millions. Une hausse qui nous aurait mis au même niveau que la plupart des écoles qui nous précèdent dans les classements. Mais nous avons rencontré l’opposition d’un certain nombre d’étudiants et d’alumni qui mettaient en avant des questions d’ascenseur social ».

Or les frais de scolarité sont une ressource prévisible, contrairement aux contrats sur projet, et une ressource versée tout de suite à la différence des financement des régions ou de l’Europe, qui ne sont versés qu’à la fin de travaux. « Elles requièrent donc de notre part de dégager de la trésorerie. Si les établissements privés parviennent à si bien emprunter c’est qu’ils peuvent le faire sur des effectifs prévisibles. Aujourd’hui nous, établissements publics, nous ne pouvons pas emprunter pour financer l’achat d’équipements ou rénover nos locaux », analyse encore Laurent Champaney, qui espère que, si la réponse du ministère a été négative « c’est avant tout parce que la crise sanitaire nous impactait ». L’année présidentielle qui commence ne le permettra sans doute pas non plus…

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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