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« Les deux piliers de Dauphine-PSL sont la recherche pluridisciplinaire de haut niveau et la formation des décideurs »

Dauphine-PSL se rénove, Dauphine-PSL s’étend avec la pose cette semaine de la première pierre de ses travaux. L’occasion de discuter avec son président depuis bientôt un an, El Mouhoub Mouhoud, de l’identité de son université et de ses projets.

Olivier Rollot : Cette semaine vous lancez officiellement les travaux de construction d’un nouveau bâtiment de près de 5 700 m2, au cœur de votre campus historique, et de la rénovation des 60 000 m2 que vous possédez déjà. Qu’attendez-vous de ce processus d’extension et de rénovation ?

El Mouhoub Mouhoud : C’est un projet qui date de près dix ans et qui voit enfin le jour après la découverte fin 2020, quelques jours avant mon élection en tant que Président, d’un surcoût budgétaire de dizaines de millions d’euros, en raison de la tension sur le marché de  la construction avec le Grand Paris et les jeux Olympiques. A mon arrivée à la présidence de l’université ce fut même ma première tâche de combler ce surcoût de 40 millions d’euros. Paris Dauphine – PSL  a finalement contribué à hauteur de 20% des sommes en jeu et l’État a apporté les 80% restant, comme pour tout le projet.

Il nous a aussi fallu repenser certains aspects incrémentaux du projet pour tenir compte des effets et de l’expérience de la crise sanitaire. Pas seulement en termes techniques mais aussi pédagogiques avec une vice-présidente nommée en charge du projet. Nos salles sont déjà équipées pour permettre un enseignement hybride, présentiel et distanciel mais le campus deviendra encore davantage performant au plan numérique.

Nous allons maintenant pouvoir assurer la sécurité dans les bâtiments existants qui vont être entièrement réinventés, espaces par espaces. Pour cela nous déménagerons petit à petit afin de pouvoir rester sur le site. Pour fluidifier les flux, nous avons d’ailleurs fait appel à des chercheurs de l’université.

Dans le nouveau bâtiment qui traversera la cour sur pilotis, nous gagnerons 5 700 m2, nous mettrons l’accent sur les innovations pédagogiques (3 000 m2 seront consacrés au Learning center) avec des espaces de travail collaboratifs et un incubateur d’entreprises.

Une maquette de Paris-Dauphine après la construction du nouveau bâtiment

O. R : Pourquoi avoir décidé de vous étendre sur le même site plutôt que de vous implanter ailleurs dans Paris ou en Ile-de-France ?

E-M. M : Notre bâtiment est un facteur de création collatérale de la méthode Dauphine dans l’écosystème parisien. C’est aussi pour cela que PSL est un écosystème au sein duquel nous nous épanouissions dans Paris intra-muros. C’est le même modèle que développe à New York, la NYU : une multitude de sites dans la ville.

Notre campus de Dauphine doit donc rester le cœur de notre site originel tout en ne nous interdisant pas d’avoir une stratégie immobilière intra et extra muros. Notre nouveau campus entre dans une stratégie globale. L’arrivée de la ligne de tramway va d’ailleurs permettre à plus de jeunes de nous rejoindre facilement et va dynamiser le quartier.

Avec l’aide de la fondation Dauphine nous disposerons au total de deux immeubles d’habitation à Saint-Ouen pour permettre à nos étudiants de vivre une expérience globale. Nous sommes ainsi la seule université à posséder des logements en propre. Nos résidences de Saint-Ouen et de Nanterre permettent déjà de proposer à nos étudiants « égalité des chances » de loger avec des étudiants en mobilité internationale, venant d’Amérique du Nord et d’ailleurs, et avec d’autres étudiants dauphinois. Nous y avons en outre installé un incubateur pour aider les jeunes à s’acculturer à l’entrepreneuriat.

O. R : Pour autant vous n’avez pas souhaité que l’Etat procède à la dévolution de votre immobilier comme le permet la loi LRU (relative aux libertés et responsabilités des universités)?

E-M. M : Nous ne l’avons pas demandé et ce serait de toute façon dans le cadre d’une négociation que mènerait PSL avec les différentes tutelles de ses établissements membres.

O. R : Le distanciel ce n’est vraiment pas le modèle Dauphine !

E-M. M : Nous préférons bien sûr le présentiel en petits groupes avec toute la richesse des interactions. Avec un groupe devant soi on ne refait jamais deux fois le même cours. Le distanciel ne convient qu’à quelques cours standardisés qu’on peut dispenser dans un amphi. Notre modèle demande au contraire de la proximité. Mais la crise nous a forcément poussé à réfléchir autrement comme d’autres universités. Harvard a ainsi totalement repensé sa force de frappe numérique pour délivrer ses cours à distance selon une stratégie séquentielle.

Plus largement, on ne peut plus aujourd’hui se contenter d’un modèle où les étudiants viennent apprendre des connaissances de leurs enseignants et repartent chez eux. Nos étudiants ont d’autres aspirations : la lutte contre le changement climatique, les arts, la vie associative et la fidélité à leur université (« long life students ») au travers de leurs associations d’alumni.

O. R : Il y a très exactement un an que vous présidez l’université Paris Dauphine – PSL. Comment définiriez-vous aujourd’hui sa mission, au-delà de son image très forte dans la gestion ?

E-M. M : C’est à la fois une bonne et une mauvaise idée reçue. Elle cache en effet le pilier central de Paris Dauphine – PSL qui est la force de sa recherche, des mathématiques à l’informatique et l’intelligence artificielle en passant par la  finance, la gestion, l’économie, le droit ou encore les sciences sociales. Dauphine – PSL est une université de recherche hybride ouverte sur le monde socio-économique. Nous plaçons d’ailleurs nos étudiants de manière exceptionnelle : 96% de nos diplômés de master 2 sont en emploi un mois et demi après leurs fin d’études. Nous faisons aussi bien sinon mieux que certaines Grandes écoles !

Cette réussite nous la devons à notre innovation constante dans la recherche publique. Paris-Dauphine c’est six grands laboratoires de recherche, unités mixtes de recherche (UMR) avec le CNRS, qui construisent notre compétence globale en sciences des organisations et de la décision. Notre recherche de haut niveau nous permet de diffuser nos formations en osmose avec le milieu économique. Notre marque de fabrique est d’anticiper les besoins du marché du travail et de lui offrir les compétences dont il n’est pas encore conscient d’en avoir besoin.

De nouveaux espaces de travail vont être aménagés

O. R : Paris-Dauphine fait à la fois partie de la Conférence des présidents d’université (CPU) mais aussi de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Est-ce plus une université ou une Grande école ?

E-M. M : Les deux piliers de Dauphine-PSL sont la recherche pluridisciplinaire de haut niveau et la formation des décideurs. Nous choisissons nos étudiants et ils nous choisissent. Avec 1 000 étudiants qui intègrent l’université en première année, 2 000 en fin de licence, plus de 10 000 en tout, nous sommes capables de produire de l’excellence ouverte avec des effectifs significatifs visibles dans la mondialisation. Nos masters, sont très attractifs et concurrencent les meilleures écoles dans le domaine de la finance, des sciences des données et des sciences des organisations en général.

Nous possédons donc à la fois les caractéristiques d’une grande école, notamment avec l’importance de nos alumni, et les fondamentaux d’une université publique de recherche. Notre rôle est de répondre ainsi au défi majeur de la société qui est aujourd’hui de créer des richesses et de les redistribuer dans une phase qui doit être plus respectueuse de l’environnement. Nous devons être capables également d’anticiper les récurrences des chocs économiques, climatiques et sanitaires qui vont se multiplier à l’image de ce que nous vivons avec le Covid-19. Nous permettrons grâce à nos innovations en formation aux  entreprises de savoir anticiper ces chocs.

O. R : Mais comment former des jeunes à anticiper ces chocs ?

E-M. M : Nous devons proposer à nos étudiants des formations pas seulement pointues mais, de plus en plus, de doubles compétences. Nous venons par exemple de créer une double licence Intelligence artificielle et sciences des organisations en mariant deux licences qui verra le jour à la prochaine rentrée universitaire. Il ne s’agit pas d’une pluridisciplinarité diluée mais bien de deux compétences affirmées. Apprendre l’IA sans le management et sans l’éthique c’est en effet former des professionnels qui prendront des risques non calculés.

Nous proposons ainsi des doubles licences qui se concentrent sur la substance des deux disciplines. Ainsi deux années n’en font plus qu’une et demie que nous comprimons même en une seule. Même chose en master avec nos projets de double master ingénieur managers par exemple, où l’on réduit à sept semestres le temps de formation en se concentrant sur la substantifique moelle d’une majeure d’une autre majore dite contrastée.

O. R : Vous êtes vous-même un économiste réputé. Professeur invité à Princeton et la New School for Social Research de New York. Ces changements radicaux de vision du monde en entrainent-ils également dans l’essence même de la pensée économique.

E-M. M : C’est une question à laquelle je ne peux pas vous répondre en quelques mots. Ce qui est clair c’est que nous devons repenser les modèles économiques en intégrant des modèles de croissance différents. Nous devons y intégrer les mécanismes de lutte contre le changement climatique. Une augmentation du prix des gaz à effet de serre a-t-elle par exemple des effets suffisants ?

Je vous rappelle que Dauphine – PSL a été la première université française à mettre en place, il y a deux ans, un cours pluridisciplinaire consacré au changement climatique. Avec nos enseignants-chercheurs nous avons les compétences pour gérer ces évolutions.

La puissance de notre innovation, de notre recherche, nous permet d’anticiper les besoins du marché avant des entreprises. Vous en avez rêvé, Dauphine l’a fait !

O. R : La recherche est vraiment au cœur du projet de Paris Dauphine – PSL ?

E-M. M : La recherche est notre pilier fondamental et elle ruisselle partout jusqu’à atteindre le monde socio-économique. C’est notre marque de fabrique. Et c’est aussi une recherche au service de l’action. Un exemple : avec la crise sanitaire il fallait mieux gérer nos flux sans bien sûr exiger un passe sanitaire, non autorisé par la loi. Avec certains chercheur(e)s en mathématiques  et recherches opérationnelles nous avons pu fluidifier les flux au moment de la restauration et aussi la circulation étudiante en fonction de la dangerosité pandémique des espaces. Nous avons ainsi pu estimer des seuils d’alerte.

O. R : Au sein de PSL, Paris Dauphine – PSL représente l’essentiel des étudiants de premier cycle. Quel rôle particulier a-t-elle à y jouer ? 

E-M. M : Grâce à notre association à PSL, notre recherche est encore plus visible. Faire partie de PSL c’est faire partie des 50 meilleures universités dans le monde du Classement de Shanghai et des trois meilleures jeunes universités du monde selon le Times Higher Education. PSL nous permet aussi d’améliorer encore notre modèle grâce à l’Idex que nous avons obtenue. Aux côtés de très grandes écoles d’ingénieur mais aussi d’art, nous en représentons la moitié des effectifs et la majorité des effectifs de premier cycle.

Une position pivot qui nous permet de déployer notre stratégie d’offre de formations en  doubles compétences. Bien innover c’est construire une stratégie sans se disperser. Nous nous concentrons pour notre part sur les sciences de l’organisation et de la décision qui sont complémentaires des activité des autres établissements de PSL. Nous proposerons bientôt des doubles masters avec Mines Paris, l’Espci et même avec le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Être à la fois excellent en mathématiques et en arts c’est formidable. Pourquoi devoir abandonner l’un des deux ?

O. R : Cette double compétence s’arrête aux portes du doctorat !

E-M. M : Un doctorant qui souhaiterait une double compétence se met aujourd’hui en dehors des critères académiques de réussite. Mais justement nous avons eu l’idée de ne pas faire porteer le risque sur les doctorants mais de financer des thèses dites binômées grâce à une codirection de deux thèses de disciplines complémentaires sur le même sujet. Il est ainsi possible par exemple de conjuguer l’économie de la santé avec les sciences des données, les mathématiques tout en restant dans le sillon de sa spécialisation. Nous sommes parmi les tout premiers à le faire.

O. R : Vous construisez de nouveaux locaux à Paris mais qu’en est-il de vos campus à l’international ? Comment vivent-ils la crise sanitaire ?

E-M. M : La crise a également été un vecteur d’opportunités. A Londres cela s’est doublé du Brexit et il nous a fallu imaginer comment attirer des étudiants internationaux, et plus seulement envoyer nos propres étudiants, sur un campus sur lequel nous dupliquons notre modèle d’enseignement des sciences des organisations. Nous nous sommes donc tournés vers le monde asiatique, qui a une nette préférence pour les institutions anglo-saxonnes tout en faisant de l’indicateur prix un critère de qualité. Nous voulons dans un avenir proche  recruter, à partir de notre campus de Londres, nos étudiants directement à l’international, en compétition avec les universités londoniennes, pour y proposer une formation d’excellence au tarif londonien couplée à une summer school à Paris.

En Tunisie nous avons un rôle à jouer en tant qu’institution francophone dans une région fragmentée qui veut favoriser la mobilité régionale. Nous voulons faire de notre implantation à Tunis un hub régional. Nos étudiants parisiens peuvent également venir y suivre des cours qui sont exactement de la même qualité. A Madrid nous délivrons également des cursus de premier cycle, en partenariat avec l’université Carlos III, afin d’assurer la mobilité multi-campus de nos étudiants.

O. R : La question de l’égalité des chances est aujourd’hui prégnante dans le discours politique vis-à-vis de l’enseignement supérieur. Dauphine – PSL a eu longtemps une image d’université peu ouverte à la diversité sociale. Qu’en est-il aujourd’hui ?

E-M. M : Notre fondation nous soutient pour produire, depuis plus de dix ans, une excellence ouverte à tous. Nous recevons aujourd’hui 25% de boursiers et l’université, qui fut effectivement longtemps très homogène dans son recrutement, a changé sans faire de bruit. Nous travaillons notamment pour cela avec soixante lycées dans le cadre des Cordées de la Réussite.

Il faut en effet s’attaquer aux phénomènes d’auto-sélection et d’inhibition sociale comme à des inégalités d’accès fondamentales. Ne pas avoir fait de stage ou de séjour d’études à l’étranger est un vrai facteur d’inégalités. Pour soutenir nos étudiants, qui partent pour 75 % d’entre eux en mobilité internationale en troisième année de licence, nous voulons mettre en place une politique proactive de réduction des inégalités d’accès. Nous voulons que 20 étudiants égalité des chances puissent passer au moins un semestre à Londres en L3 en prenant totalement en charge à l’aide de la Fondation Dauphine leur séjour, logements et frais d’inscription.  Cela représente chaque année pour 20 étudiants un coût minimal de 200 000 euros, un million sur cinq ans, que la fondation nous aide à financer. Les logements étudiants que j’ai déjà évoqués entrent également dans notre politique d’inclusion.

O. R : Cette politique d’inclusion répond à une nécessité sociale ?

E-M. M : Elle répond à une motivation sociale mais aussi d’efficacité économique. La société se passe encore trop souvent aujourd’hui de compétences remarquables à cause d’inégalités économiques et sociales. De plus il ne suffit pas de recevoir des étudiants sélectionnés parce qu’ils sont très bons en maths. Il faut ensuite savoir les accompagner.

J’ajoute que dans une société comme la société française qui souffre d’un vrai phénomène de défiance comme d’une aversion au risque, la diversité est un réducteur de défiance et d’aversion au risque. En vivant dans la diversité nos étudiants sont en effet moins soumis à des inhibitions ou au mimétisme social.

Or cette aversion au risque est un vrai problème pour la société française. C’est ce que montre l’exemple de la start up BioNTech . La société a besoin de ces talents pour avancer.

O. R : Justement comment Paris Dauphine – PSL se finance-t-elle ? Avec quelle part de ressources propres ?

E-M. M : La donation publique représente 56% de notre budget que nous complétons par des ressources propres liées à la formation continue, à l’apprentissage et à la recherche. Dans le nouveau bâtiment certains aspects, comme les terrasses que nous voulons végétaliser, vont être financés par notre Fondation qui est presque aujourd’hui un troisième pilier pour Dauphine. Nous proposons de cibler les dons des donateurs sur des opérations précises qui leur permettront de laisser leurs traces.

Avec la connaissance que nous apporte la recherche nous avons vraiment les moyens d’agir.

 

La transformation du campus parisien en chiffres :

  • 5 700 mètres carrés supplémentaires pour le nouveau campus dont une nouvelle aile de 4 000 mètres carrés
  • 60 000 mètres carrés existants entièrement rénovés
  • 650 mètres carrés : nouveaux espaces extérieurs créés
  • 300 mètres carrés : le « Learning Center » enrichi et innovant
  • 154,7 millions d’euros : Budget global
    Dont :
    123,9 millions d’euros financé part l’état,
    29,6 millions d’euros par Dauphine – PSL,
    1,2 millions d’euros par la région Île-de-France.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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