POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Précarité étudiante : le dossier

Un étudiant de l’université Lumière-Lyon 2 s’est immolé par le feu le 8 novembre devant le CROUS de Lyon. Il protestait contre ses conditions de vie après après avoir perdu sa bourse et son logement suite à son triplement en licence 3. Brulé à 90% il est toujours entre la vie et la mort alors que des manifestations de soutien ont eu lieu le 12 novembre dans toute la France.

Les faits. Etudiant stéphanois âgé de 22 ans inscrit en sciences politiques à Lyon 2 depuis cinq ans Anas K. avait, avant de tenter de se suicider en s’aspergeant d’essence, prévenu sa compagne et publié un message sur Facebook dans lequel il évoquait ses difficultés financières : « Cette année, faisant une troisième L2, je n’avais pas de bourse, et même quand j’en avais, 450 euros par mois, est-ce suffisant pour vivre ? ». Secrétaire fédéral de Solidaires Etudiant-e-s, se revendiquant de la lutte contre le fascisme et le libéralisme, Anas disait aussi dans son message : « Si je vise le bâtiment du Crous à Lyon, ce n’est pas par hasard, je vise un lieu politique, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et par extension, le gouvernement ».

Le message d’Anas K. tel que son syndicat l’a reproduit sur son compte Facebook

L’une des manifestations de soutien à Anas K. a d’ailleurs particulièrement dégénéré devant le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation dont l’une des portes d’entrée a été défoncée. A Lille l’intrusion de manifestants dans un amphithéâtre de l’Université Lille II a entrainé l’annulation de la conférence que devait y tenir François Hollande. « Le geste tragique commis par un jeune homme vendredi dernier suscite une émotion légitime, mais la violence ne peut pas avoir de place à l’université. Les appels à la violence et les menaces de mort adressés aux responsables des CROUS qui se sont multipliés tout au long de la journée sont inadmissibles », a réagi Frédérique Vidal qui s’était rendue à Lyon dès samedi matin. La précarité étudiante est un vrai problème mais y a-t-il vraiment des solutions ?

Du côté de l’université Lyon 2 sa présidente, Nathalie Dompnier, constate dans un communiqué paru le 13 janvier que « l’Université dans son ensemble, probablement pas plus que d’autres institutions ou organisations, n’a su détecter cette fragilité chez Anas. Certes, il est en difficulté dans son cursus. Mais les équipes pédagogiques et la Présidence le connaissent comme un étudiant calme, posé, ouvert à la discussion et constructif dans les échanges ». Mais surtout un étudiant très engagé analyse la présidente alors que si « l’action syndicale et politique peut être source de cohésion et de solidarité, elle est aussi parfois être extrêmement éprouvante ». Et de constater : « Elle l’a été sans doute pour celles et ceux qui n’ont pas vu aboutir les combats engagés ces dernières années ». Et de s’interroger : « Comment faire en sorte que cette implication ne soit pas – les mots ont ici leur sens premier – un engagement à corps perdu ? Comment faire en sorte que cette implication se fasse de manière plus équilibrée ? »

Les règles. Selon la circulaire en vigueur un étudiant peut utiliser jusqu’à 7 droits à bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux, durant la totalité de ses études supérieures. Le troisième droit à bourse ne peut être accordé que si l’étudiant a validé au moins 60 crédits ECTS  2. Les 4ème et 5ème droit ne que si l’étudiant a validé au moins 120 crédits ECTS, 4 semestres ou 2 années, etc. Le cursus licence ainsi que tout autre cursus d’une durée inférieure ou égale à celle de la licence ne peuvent donner lieu à plus de 5 droits à bourse.

Pour autant des droits supplémentaires à bourse peuvent être attribués aux étudiants en situation d’échec due à la situation familiale (décès notamment) ou personnelle (maternité, raisons graves de santé) « attestée par un avis des services médicaux et sociaux de l’établissement ainsi que pour les étudiants n’ayant pas validé leur année d’études à la suite d’une période de service civique ou de volontariat ». Ce n’était pas semble-t-il le cas d’Anas auquel le Crous aurait refusé une aide d’urgence.

Précarité étudiante : les données. L’Observatoire de la vue étudiante réalise régulièrement une enquête de sur les conditions de vie des étudiants. Dans son édition 2016 la part moyenne des ressources due aux aides publiques est estimée à 349€. Elle monte à 363€ pour les étudiants d’origine sociale « populaire ».

 Par ailleurs ce sont 50,8% des étudiants qui disent « avoir dû se retreindre au moins une fois depuis le début de l’année ». Un chiffre qui monte à 54,2% pour les étudiants d’origine sociale « populaire » et même 56,9% chez les boursiers. Selon le baromètre Egalité des chances dans l’éducation supérieure en France que vient de publier l’entreprise de financement des études Unly un étudiant sur cinq a déjà envisagé d’arrêter ses études pour des raisons financières. Les étudiants issus de familles modestes ont un budget mensuel inférieur d’au moins 10% à celui des autres étudiants. L’écart entre leurs ressources mensuelles et celles des étudiants dont les parents sont cadres monte à plus de 20%. Au total un enfant d’ouvrier dispose en moyenne de 225€ de moins de budget par mois qu’un enfant de cadre. La précarité financière est directement ressentie par 1 étudiant sur 2, qui s’estime non suffisant financièrement. Parmi les étudiants de CSP modestes, 2 sur 3 n’ont pas de quoi vivre sans se priver. Selon l’étude d’Unly le montant mensuel moyen manquant pour atteindre la suffisance serait de 310,90€.

Durant les études, l’argent pèse également sur les conditions d’apprentissage. Qutre étudiants sur dix issus de CSP modestes se privent d’une activité en lien avec les études, ou d’activités en lien avec leur intégration dans l’établissement (stage intéressant mais peu rémunéré, départ à l’étranger, participation aux évènements du bureau des élèves…). Plus d’un étudiant sur quatre (28%) estime avoir rencontré des difficultés à financer ses études. C’est plus d’un sur trois (35%) chez les CSP les plus modestes. Alors que 13% des étudiants sont endettés le pourcentage de demandes de prêts refusés par les banques serait de 31,6% selon Unly. Pour les familles les plus modestes, c’est même 40% des demandes de prêts qui sont refusées.

Pour contribuer au financement de leurs études, 51% des étudiants disposent d’une activité rémunérée (stage, contrat d’apprentissage, mais emploi salarié). Plus d’un étudiant sur trois occupe un poste salarié : un sur quatre travaille pendant l’année scolaire, les soirs et weekends. En parallèle, un étudiant sur cinq est salarié pendant l’intégralité des vacances scolaires. 51% des étudiants qui ont un emploi déclarent qu’il leur est “indispensable pour vivre”. Les autres évoquent des motivations telles que l’indépendance à l’égard de la famille,

Suicide : des étudiants très exposés. « Les populations les plus jeunes sont les plus à risque », rappelle le psychologue clinicien Yannick Morvan, membre de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) dans Le Monde. Selon les dernières données de l’OVE, les « idées suicidaires » touchent 8,4 % des étudiants, contre 4,7 % dans la population générale. Toujours selon l’OVE ces fragilités psychologiques se traduisent d’abord par de l’épuisement puis par du stress. Les femmes se disent largement plus atteintes par ces fragilités que les hommes.

Les étudiants des classes sociales populaires se disent beaucoup plus épuisés et stressés que ceux des classes supérieures et moyennes.

En tout 89% des étudiants disent avoir vécu une période de stress pendant l’année selon une étude menée en 2019 par Opinion Way pour la mutuelle étudiante HEYME. Si les problèmes affectifs en sont la première cause (67% et même 72% chez les femmes) les problèmes financiers arrivent en deuxième (52% et jusqu’à 73% après 24 ans). 75% des étudiants disent également avoir subi des violences verbales et 54% des violences psychologiques, 1 étudiant sur 4 indique avoir déjà subi des violences sur les réseaux sociaux, sous forme de moqueries ou encore d’injures.

Et maintenant que faire ? C’est surtout le côté politique de l’acte d’Anas qui a retenu l’attention de Nathalie Dompnier qui est aussi et avant tout professeur de science politique : « De manière revendiquée, l’acte d’Anas a une dimension politique forte. Le message qu’il laisse pose un certain nombre de questions sur la précarité, sur la condition étudiante et sur le niveau de vie des étudiants ». Alors que, outre le recrutement d’une assistante sociale, l’Université Lumière Lyon 2 a mis en place des dispositifs spécifiques d’aides d’urgence pour les étudiants les plus précaires et a récemment ouvert une épicerie solidaire, la présidente veut aller plus loin : « Il est urgent que la question de la précarité soit appréhendée de manière plus globale et que, au niveau national, les acteurs de l’enseignement supérieur travaillent collectivement à sa meilleure prise en charge, avec les financements adaptés. Cela relève de choix de société quant aux moyens que nous allouons à la jeunesse et notamment à sa frange la plus pauvre ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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