UNIVERSITES

« A Toulouse il n’y a pas eu d’accord entre les universités pour une restructuration du site »: Bernard Belloc, président honoraire de l’université Toulouse 1

A peine un document présentait fin 2021 les contours d’une future Comue expérimentale à Toulouse qu’un projet concurrent voyait le jour le 8 janvier. Sous l’impulsion du président de l’Université Toulouse 3, Jean-Marc Broto, son université, la Toulouse School of Economics (TSE) et l’ISAE-SUPAERO proposent en effet de créer la Toulouse Tech University (TTU). Ancien président de l’université Toulouse 1, dont il est toujours président honoraire, puis passé par toutes les arcanes universitaires, Bernard Belloc tente avec nous de percer les mystères de l’imbroglio universitaire toulousain.

Olivier Rollot : Vous avez présidé aux destinées de l’université Toulouse 1 Capitole et présidé la Conférence des présidents d’université (CPU) avant de devenir conseiller enseignement supérieur de la présidence de la République sous le mandat de Nicolas Sarkozy. On vous doit notamment toute la politique de rapprochement des universités. Comment analysez-vous la situation à Toulouse où les universités n’en finissent pas de se déchirer ?

Bernard Belloc : Aux dernières nouvelles, et sous l’impulsion de l’université Toulouse 1, les universités tenteraient de trouver un accord entre les deux projets, celui de Comue expérimentale emmené par les universités Toulouse 1 et 2 et Toulouse INP d’un côté, l’établissement public expérimental que veulent développer Toulouse 3, l’Isae-Supaero et la Toulouse School of Economics de l’autre. Le tout avant le 1er février date limite de réponse aux Appels à projets d’excellence du PIA 4.

Cela parait difficilement envisageable parce qu’il faut comprendre que les divisions qui se manifestent aujourd’hui sont anciennes. Déjà en 1998, quand je prends la présidence de Toulouse 1, se pose la question de la création d’une nouvelle université afin de recevoir des étudiants toulousains dont le nombre explose. Finalement cette « cinquième » université – après Toulouse 1, 2 et 3 et Toulouse INP – se fera sous forme de campus délocalisés, dont certains fonctionnent très bien comme à Albi. Mais il n’y a pas eu véritablement d’accord entre les universités pour une restructuration en profondeur du site.

  • Après que le conseil d’administration de Toulouse 1 a interdit le 18 janvier à TSE, à une écrasante majorité (26 contre, 2 pour et 4 refus de participer au vote), de rejoindre le projet TTU, les présidences et directions des établissements de l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées ont souhaité que soient étudiées les possibilités de faire converger les deux projets. Cette mission, assurée par des représentants de chacun des projets, n’est pas « parvenue à déboucher sur une convergence ». Le président de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier a donc décidé de présenter à ses administrateurs les deux projets lors d’un « pré-CA » le 20 janvier. Les présidences et directions des universités Toulouse Capitole et Toulouse – Jean Jaurès, de Toulouse INP et de l’Insa Toulouse, de même que le président de l’Université fédérale, présenteront quant à eux aux instances de leur établissement respectif le projet TIRIS.

O. R : A partir de 2008 tout un mouvement de rapprochement des universités est lancé dans lequel les universités toulousaines semblent d’abord bien s’intégrer ?

B. B : A tel point qu’elles obtiennent en 2012 un Idex accompagné d’une dotation de 750 millions d’euros, c’est-à-dire 15 à 20 millions d’euros utilisables chaque année. Mais peu après les présidents de deux des universités changent et décident de ne pas respecter les engagements de leurs prédécesseurs. Résultat en 2016 l’Idex est d’abord suspendu puis définitivement arrêtée en 2018.

O. R : Ce qui n’empêche pas l’ancien président de l’université Grenoble Alpes, Patrick Lévy, de relancer l’idée d’une « Comue expérimentale » fin 2021.

B. B : Il a sans doute estimé qu’un consensus allait s’établir dans la mesure où, dans son projet, tous les établissements conservaient leur personnalité morale et que seules les écoles doctorales étaient transférées à la Comue. Mais il se révèle finalement difficile de convaincre les établissements d’adhérer à un établissement dont les processus de décision ne sont pas limpides et qui se substituerait, dans une prière étape, aux universités pour la responsabilité des écoles doctorales. Cela n’aurait pas grand sens. Les grands laboratoires toulousains considèrent notamment qu’il est impossible de construire une grande université de recherche en mêlant autant d’acteurs.

C’est d’ailleurs également dommage que les forces politiques locales ne s’intéressent pas à la façon dont les choses se passent à l’étranger. Elles semblent considérer qu’il suffit de mettre tous les établissements dans le même moule pour que Toulouse rayonne. Et de toute façon pourquoi se précipiter pour répondre à tout prix à un PIA4 qui n’apportera pas grand-chose en termes de moyens, environ 5 fois moins que ce qu’apportait l’IDEX, et ne permettra donc pas vraiment de réorganiser le site toulousain.

O. R : En fait Patrick Lévy a voulu reproduire à Toulouse ce qu’il avait si bien réussi à construire à Grenoble ?

B. B : Oui mais l’université de Grenoble s’est construite sur un Idex existant tout en voulant à tout prix se préserver d’une absorption par Lyon. Cela a été un aiguillon très fort qui a permis de ramener Grenoble INP dans le giron de la nouvelle université. Le tout sous le leadership de personnalités comme Lise Dumasy et Patrick Lévy lui-même, qui ont exercé un véritable leadership en local .

O. R : La décision de Toulouse 3, l’Isae et TSE ressemble quand même à un coup de Trafalgar ?

B. B : Mais il y a des mois qu’ils lancent des avertissements. Songez qu’il fut un temps prévu que la Comue devait donner son accord pour qu’un laboratoire demande un financement européen. Vous pensez qu’on peut demander cela à Jean Tirole ou aux leaders scientifiques du site ? Cela a finalement été abandonné, mais comment demander à de grands laboratoires et à des écoles doctorales qui rayonnent à l’international, de déléguer leurs moyens à une Comue locale qui a perdu l’Idex ?

O. R : A ces oppositions entre établissements s’ajoute maintenant un conflit entre TSE et sa maison mère, Toulouse 1, qu’elle voudrait finalement quitter pour développer son projet concurrent…

B. B : Toulouse 1 a toujours soutenu TSE mais aujourd’hui TSE demande plus d’autonomie pour se développer. A la fois fondation, labex, UMR, école interne de Toulouse 1, TSE ne peut pas accepter, pas plus que d’autres grandes entités toulousaines, de passer sous les fourches caudines d’une Comue expérimentale à la gouvernance très floue. Cela se télescope aujourd’hui avec son besoin d’autonomie vis-à-vis de Toulouse 1.

O. R : Tout cela semble quand même un immense gâchis ?

B B : Oui. Comment dire à l’international qu’on est un site de premier plan quand on n’a pas les labels national obtenus par nos voisins : Bordeaux a son Idex, Montpellier et Pau leurs I-site, Toulouse rien. C’est d’ailleurs la même situation à Lyon, où l’imbroglio est aussi complet. Deux des plus grandes villes françaises, qui ont des potentiels scientifique et industriel essentiels pour notre pays, dotées de centres de recherche et d’entreprises essentiels pour notre pays n’ont pas de projets majeurs en ce qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche.

Il faut absolument les y aider mais pour cela définir des projets ambitieux et valorisants pour les territoires. Encore une fois il est inutile de se précipiter pour un financement dont on dit, pour faire pression, qu’il sera peut-être le dernier pour restructurer le site universitaire toulousain. Penser cela est une erreur : dans quel pays serions-nous si nous ne parvenions pas à trouver les moyens de créer de grands systèmes universitaires à Toulouse et à Lyon ? L’exemple de l’université Paris-Saclay es aussi là pour nous montrer qu’on peut conjuguer excellence et démocratisation. Et il a connu bien des péripéties avant d’émerger !

O. R : C’est un peu un conflit dans le conflit mais pourquoi selon vous Toulouse INP choisit-il ce moment-là pour demander à devenir une Ecole Centrale, au grand dam des autres INP ?

B. B :  Toulouse INP est un EPSCP (établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) non dérogatoire. Il n’est pas un grand établissement au sens administratif et a exactement le statut d’université. De ce fait, s’il entre dans un projet d’EPE, il perd sa personnalité morale, ce qui n’arrivera pas s’il y rentre après être devenu Ecole centrale avec un statut de grand établissement. Toulouse INP veut donc sans doute se préserver de perdre sa personnalité morale dans un EPE où l’Université Paul Sabatier, dont on sait les relations historiquement tendues avec l’INP, aura tout de même un poids prépondérant !

Mais il est également vrai que pour Toulouse INP, se transformer en école plus généraliste qu’il ne l’est actuellement correspond sans aucun doute aux besoins de formation actuels des ingénieurs ainsi qu’aux nécessités de la recherche technologique.

O. R : Aujourd’hui on semble donc bien dans l’impasse ?

B. B : Oui, mais enfin, est-il sérieux de croire à un projet présenté au PIA4 dont seraient absents 80% des chercheurs CNRS toulousains, TSE et le potentiel scientifique de l’université Paul-Sabatier? On nous parle constamment d’union sans jamais avancer sur le pourquoi de cette union et encore moins sur le comment !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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