Le rapport du comité « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur », présidé par Martin Hirsch, directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et président de l’Institut de l’Engagement, a été remis le 8 décembre à Frédérique Vidal. Il fait suite à la remise des trois rapports sur la diversité sociale de l’Ecole Polytechnique, des ENS et des écoles de commerce (ESSEC, HEC, ESCP) en octobre 2019. Maintenant des actes concrets doivent voir le jour. Essentiellement dans les Grande écoles selon Gilles Roussel, le président de la Conférence des présidents d’université (CPU) : « Ce rapport est clairement orienté vers les problématiques des Grande écoles. Les universités font réussir et tous les étudiants ne doivent pas forcément pouvoir aller dans les Grande écoles. Leur problème est celui de la reconduction sociale et le sujet doit être traité ». Ce à quoi le comité répond que « ce serait une erreur de ne conduire qu’une politique d’égalité des chances volontariste dans les grandes écoles sans la conduire également dans les universités ». Du côté des Grandes écoles la méfiance est forte pour tout ce qui concerne l’évolution des concours. « Il n’y aura pas de bonus de points pour les boursiers. Ils le refusent. La solution est en amont », demande Alice Guilhon, la présidente du Chapitre des Grande écoles de management.
Tout se décide bien avant le bac. Tout se décide bien avant l’enseignement supérieur. Lorsqu’ils quittent l’enseignement secondaire diplômés, 86% des enfants d’enseignants et de cadres détiennent un baccalauréat général ou technologique contre seulement un tiers des enfants d’ouvriers non qualifiés et moins d’un enfant d’inactifs sur quatre. À l’opposé, les enfants d’ouvriers non qualifiés vont être quatre fois plus nombreux que les enfants d’enseignants à quitter l’enseignement secondaire avec un diplôme de l’enseignement professionnel (40% contre 10%). « Nous ne méconnaissons pas ces facteurs structurels profonds. Une première stratégie pourrait être de considérer que ce sont uniquement sur eux qu’il faut agir, par des transformations profondes et dans la durée, avec des objectifs de long terme », reconnaissent les experts du comité avant d’insister : « Le comité a considéré qu’il était légitime de pouvoir chercher d’autres leviers, ne posant pas comme préalable que tous les problèmes de fond soient résolus, mais permettant d’obtenir des résultats plus rapides et d’enclencher des dynamiques vertueuses ».
Bonifier les boursiers ? Puisqu’on ne peut pas attendre pour augmenter la diversité à l’entrée des formations sélectives le comité avance des pistes connues depuis longtemps comme des nouvelles. La modalité la plus simple est selon eux la bonification de points pour les boursiers et/ou pour les enfants dont les parents n’ont pas de diplôme de l’enseignement supérieur (question : comment prouve-t-on qu’on n’est pas diplômé ?). Mais le comité pointe deux inconvénients de principe. Le premier est que, « dans un concours, un candidat pourra être admissible avec de moins bonnes notes aux mêmes épreuves qu’un candidat refusé ». Mais cet inconvénient peut être atténué selon le comité en « augmentant, par rapport à la situation de référence, le nombre de places ».
Deuxième inconvénient : la « relative fragilité du critère boursier : la manière dont sont pris en compte les revenus ne fait pas de ce critère un critère incontestable et non manipulable ». La solution serait alors de recourir au critère « enfant de parents non diplômé de l’enseignement supérieur » mais il peut aussi « présenter des faiblesses et des risques de contournement ». C’est clair : comment prouve-t-on qu’on n’est pas diplômé ?
Toujours dans ce même concept de bonification le comité envisage également d’appliquer des bonifications « non plus par élève mais par établissement ». Dans ce cadre tous les élèves d’une classe préparatoire ayant un niveau de diversité élevé pourraient bénéficier de cette bonification.
Créer des accès différenciés. La voie la plus compliquée est de diversifier les voies d’entrées pour diversifier les profils. C’est ce qu’a fait Sciences Po en signant ses conventions avec des lycées. Son premier inconvénient est d’être moins facile à mettre en œuvre : il faut modifier l’organisation des concours, pas seulement la notation au concours. Le deuxième inconvénient que pointe le comité est le risque de « stigmatisation ». Une voie d’accès est considérée comme « moins noble qu’une autre, comme un «sous-concours». Il convient de noter que, si cet inconvénient est parfois mis en avant par certains établissements, il n’est jamais soulevé par les étudiants eux-mêmes, qu’ils soient issus des voies de recrutement traditionnelles ou de voies de recrutement « différenciés » ».
Mais à l’inverse, les accès différenciés ont le « grand avantage de pouvoir différencier les critères de recrutement et de sélection et de prendre en compte des qualités, des parcours ou des caractéristiques différents chez les candidats ». Dans certains cas, ils peuvent être complétés par un accompagnement permettant d’homogénéiser au plan académique une promotion et prévenir des échecs en fin de cycle
Ce que préconise le comité. Après « avoir beaucoup discuté ces avantages et ces inconvénients », le comité considère que ce « serait une erreur de faire reposer la politique d’égalité des chances uniquement sur un mécanisme de bonification des boursiers (ou des premières générations) », mécanisme qui ne recueille par exemple pas l’adhésion de la conférence des écoles d’ingénieurs, sans faire également jouer le levier des accès différenciés ou diversifiés. Il « recommande fortement d’utiliser les deux leviers, qui répondent à des logiques complémentaires ». Et le comité va jusqu’à considérer la question des 200 000 bacheliers professionnels (ire la note de la DEPP Le devenir des bacheliers professionnels qui poursuivent des études) arguant que, selon lui, il « serait logique d’organiser un accès vers les filières d’excellence aux grandes écoles et aux filières sélectives des universités pour les meilleurs élèves des filières professionnelles ». Des classes préparatoires spécifiques existent d’ailleurs déjà pour eux, mais elles sont très rares.
Mais le comité n’en oublie pas pour autant tout ce qui peut se faire en amont de l’enseignement supérieur. Il propose donc de « consolider, développer, étendre et garantir la qualité des initiatives de tutorat et de mentorat par un pacte entre la puissance publique et les opérateurs, qu’ils soient eux-mêmes privés –associations-ou publics ». Ce pacte pourrait prendre la forme de l’équivalent d’une délégation de service public.
Enfin le comité a envisagé différentes pistes de financement des cursus et notamment celle du « prêt contingent » dont Jean-Philippe Ammeux, le directeur général de l’IÉSEG, s’est fait un ardent défenseur ces dernières années. Rappelons son principe : il consiste à accorder aux étudiants un prêt à taux zéro, avec des conditions encadrées de remboursement, assorties d’un mécanisme de garantie, pour que les remboursements n’excèdent pas un pourcentage du revenu futur. « Plutôt que de laisser ce sujet non traité une décennie supplémentaire, il pourrait être intéressant de l’expérimenter auprès de quelques établissements ou pour certaines catégories de parcours », estime le comité.
Et maintenant que faire ? Le comité a avancé des pistes intéressantes mais on a surtout le sentiment que le MESRI lui avait passé la « patate chaude » et doit maintenant la reprendre sans que le dossier ait pour autant avancé d’un iota…