Sous la direction de Thomas Froehlicher depuis janvier 2018, Rennes School of Business poursuit la stratégie qui a fait sa force, l’ouverture sur le monde, tout en renforçant son impact régional. Entretien.
Olivier Rollot : Vous avez présenté fin 2018 un nouveau plan stratégique qui reste dans la continuité de ce qui a fait le succès de Rennes SB : une identité internationale très forte.
Thomas Froehlicher : L’une des complexités que nous avions à résoudre était de ne surtout pas quitter ce qui a fait la force de l’école – l’international – tout en la plaçant sur des territoires d’expansion qui permettent de mieux tirer parti des atouts de la région. Avec les élus de la région comme avec la chambre de commerce et d’industrie nous étions au clair sur le fait que l’école est l’ambassade internationale de nos territoires. C’est grâce à cette force que l’école se positionne dans le top 10 des écoles de management françaises et il ne fallait surtout pas laisser croire que nous allions y renoncer.
O. R : Quels sont ces points forts régionaux sur lesquels vous allez également vous appuyer ?
T. F: L’agroalimentaire va être l’archétype de notre stratégie. Autour de nous se trouvent les sièges d’entreprises régionales qui sont des leaders mondiaux de leur secteur, comme Lactalis. Nous avons donc conclu un partenariat avancé avec les économistes de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et Agrocampus Ouest pour créer et développer ensemble une équipe de recherche de niveau mondial en agri-finance. Les entreprises s’engagent de leur coté à signer des contrats Cifre (Conventions industrielle de formation par la recherche) avec nos doctorants (3 sont déjà soutenus financièrement par Triskalia et le Groupe Avril). Et nous avons créé ainsi une équipe de 10 enseignants-chercheurs de pointe. Nous élargirons nos activités dans nos masters et en executive education au plan international.
O. R : Votre internationalisation se déroule largement sur votre campus où vous allez accueillir des partenaires académiques internationaux.
T. F: Oui, l’établissement d’une plateforme partenariale stratégique globale et exclusive sur chaque continent ou sous-continu est au cœur de notre stratégie. Nous préparons déjà l’implantation dans nos locaux des chercheurs de l’université chinoise ZUEL, université installé à Wuhan, le « Detroit » chinois – la ville dans laquelle PSA et Renault ont implanté des usines – pour travailler ensemble sur le thème du « green, data- and demand-driven supply chain management et des usines du futur. Ce partenariat devrait nous permettre aussi à terme de délivrer pour la première fois un véritable Benke chinois en Europe (l’équivalent de la Licence en Chine). Ce qui est très important pour des cadres chinois expatriés en France avec leurs enfants. Et en Chine nous aurons l’équivalent.
Conclure un partenariat stratégique de ce type est crucial. Les Chinois ne nous attendent pas pour avancer aux quatre coins de la planète et il fallait aller plus loin que la seule création d’instituts Confucius. Se réinventer dans le partenariat international.
Le deuxième partenariat encore plus avancé que nous avons conclu est en Inde, avec une école d’ingénieurs, INSOFE, qui s’est spécialisée dans les data sciences. Elle possède deux campus, à Hyderabad et Bangalore, où nous avons déjà beaucoup d’activités et voulons élargir nos activités. A l’issue de 6 mois de travail, nous avons accueilli en janvier près de 25 étudiants indiens d’INSOFE dans le cadre de notre MSc DBAN Data Business Analytics. Ces étudiants pourront également jouer des rôles d’assistants de recherche, pour accompagner nos chercheurs dans des modélisations complexes ou des programmations en intelligence artificielle, et d’enseignement sur des cours délivrés en anglais sur l’intelligence artificielle (IA).
Nous signerons bientôt d’autres partenariats en Eurasie, en Afrique (anglophone plutôt) et en Amérique latine. Il nous restera encore à réfléchir à des accords en Amérique du Nord où nous avons identifié deux ou trois centres spécialisés dans l’agro-business notamment.
O. R : A côté de l’agro-alimentaire quels autres grands sujets avez-vs identifié comme prioritaires pour Rennes SB ?
T. F: Nos trois autres axes prioritaires de recherche sont la supply chain management (Green, Demand and Data-driven Supply Chain Management – G2D SCM), l’irruption massive de l’intelligence artificielle dans tous les domaines du management (IA-driven Economy) et la complexité dans le monde des affaires (Thriving Through Complexity). Des sujets qui se rejoignent souvent comme par exemple quand on réagit à l’impact du développement des batteries électriques dans le secteur automobile. Autant de sujets sur lesquels nous seront partenaires avec IMT Atlantique une école d’ingénieurs de taille mondiale implantées fortement en région grand ouest (Rennes, Brest et Nantes).
A travers ces 4 territoires d’excellence, nous mettons en résonance la ressource naturelle, la plus rare aujourd’hui, au cœur du développement durable dont dépend l’avenir alimentaire et énergétique de notre planète avec l’explosion des data et de leur intégration à nos vies quotidiennes, ressource surabondante en développement exponentielle, tout en affirmant que l’avenir de nos industries passe par un renouvellement de la supply chain dans les usines du futur et en faisant de la complexité une opportunité. Nous affirmons ainsi une vision du monde originale.
O. R : Et quels rapports entretenez-vous avec les universités rennaises ?
T. F: Nous sommes affiliés à la Comue UBL. Nous réfléchissons à des actions communes avec les deux universités de Rennes et les Grandes écoles rennaises (nos partenaires actuels, INSA Rennes et Agrocampus Ouest en font partie) à et qui se rapprochent pour fonder l’Université de Rennes, et j’ai commencé à discuter avec mon homologue de l’IGR-IAE de Rennes et des professeurs qui connaissent bien notre Ecole. Il faut d’abord trouver des projets concrets. ISEN Ouest, EME (UniLaSalle) et l’Ecole Européenne Supérieur des Arts et de Design de Bretagne (ENSAAB) sont aussi nos partenaires depuis de nombreuses années.
O. R : La question du financement des écoles de management françaises revient constamment aujourd’hui. Votre gouvernance externe a pris la décision de constituer une sorte de cagnotte pour prévenir d’éventuels coups durs. Comment va-t-elle fonctionner ?
T. F : Rennes SB a été créée sous la forme d’une association Loi 1901. Depuis 2015 et l’arrêt des subventions données par la CCI35 notamment, le modèle de financement a évolué pour anticiper la nouvelle donne du financement consulaire et l’Ecole a décidé de constituer un Fonds de garantie, inscrit dans ses comptes et son patrimoine, aujourd’hui à hauteur de 2 M€. Sauf accord de l’assemblée générale de l’école autorisant un recours à des fonds, cela constitue une sorte de capital auquel nous de touchons pas. Il s’agit de gérer par anticipation un outil pour gérer un risque qui mettrait l’Ecole en difficulté majeure. Nous avons déjà placé deux millions d’euros dans ce Fond et nous poursuivrons son abondement en accord avec le Directoire et le Conseil de Surveillance qui constituent notre gouvernance externe. Nous devons garantir la soutenabilité financière de l’Ecole à long terme et sa capacité à financer son développement à long terme.
O. R : Rennes SB restera une association ? Est-ce la bonne structure aujourd’hui pour continuer à se développer dans un environnement de plus en plus concurrentiel ?
T. F : C’est son statut depuis sa création. On peut conserver une structure non lucrative et être un acteur académique tout en générant des ressources. Il faut juste être aussi professionnel que les meilleures entreprises.
Depuis 2015 nous nous sommes dotés d’une nouvelle structure sous la forme d’un conseil de surveillance et d’un directoire non exécutif. L’Ecole est présidée par François Chatel. Nous travaillons régulièrement ensemble et notamment pour fixer le cap stratégique qui doit nous permettre d’augmenter de 50% nos effectifs d’étudiants – ils sont 4000 aujourd’hui – d’ici à 2022-2023.
Les étudiants étrangers représenteront alors les deux tiers de nos effectifs. D’abord au sein de nos MSc mais aussi dans des bachelors qui sont maintenant dispensés à 100% en anglais. Nous recevons aujourd’hui 240 étudiants par promotion et nous souhaiterions passer à 500 avec la création d’un BSc et l’accueil de plus en plus d’étudiants étrangers. Nous développons aussi au plan international notre offre en executive education EMBA et Global DBA.
O. R : Quels dispositifs mettez-vous en œuvre pour recruter ces étudiants étrangers ?
T. F : Jusqu’alors, l’école s’est développée très rapidement avec une équipe « développement » et un réseau d’agents à l’étranger. Avec l’arrivé de Santiago Garcia en avril 2018, nous complétons notre présence à l’étranger en ouvrant des bureaux de représentation qui coordonnent le travail des agents, et apportent également leurs relations les entreprises, les alumni et les autorités des pays et des représentations françaises à l’étranger, en premier lieu les ambassades, consulat général et les bureaux de Campus France. Notre bureau en Inde fonctionne très bien avec des effectifs d’étudiants indiens qui ont été multipliés par 2,5 en 1 an. Nous ouvrons un nouveau bureau au Liban qui offre de belles perspectives et en Chine nous serons représentés de matière permanente. Nous sommes aussi depuis peu enfin représentés en Colombie dans une logique de couverture de l’ensemble de la planète.
O. R : Vos droits de scolarité sont-ils amenés à augmenter dans les années à venir ?
T. F : De façon modérée et continue pour ne pas faire supporter un jour une augmentation massive à une génération d’étudiants. Pour passer d’un budget de 35 M€ à 70 M€ d’ici 2022-23 nous comptons d’abord sur nos recrutements à l’étranger et le développement de l’executive education et des levées de fonds. La première année du plan a été marquée par une augmentation de 10% de nos revenus.
Nous voudrions également donner une meilleure visibilité aux titres et diplômes que nous proposons avec, pourquoi pas, l’apparition d’un label au plan national qui montrerait ce qu’apportent les diplômes visés et gradés (en général aussi accrédités au plan international) et les autres. Une différenciation qui devrait idéalement se traduire également dans les espaces de salons d’orientation. Ce serait salutaire pour la lisibilité de notre de formation en France et nous militons avec d’autres, par exemple l’APHEC, pour faire apparaître un tel dispositif.
O. R : En 2019 vous stabilisez le nombre d’étudiants recrutés en première année de votre programme Grande école (PGE) dans les classes préparatoires à 300. Pourquoi ne pas augmenter comme d’autres le font ?
T. F: J’augmenterai notre recrutement quand je pourrai également augmenter la barre d’admissibilité. Aujourd’hui nous voulons également maintenir le recrutement en admissions sur titre au même niveau pour répondre au message de l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) et recruter toujours principalement en classes préparatoires en première année (65% de nos étudiants sont issus des CPGE). Par ailleurs nous généralisons l’entrée dans nos MSc de tous les étudiants du PGE.
O. R : Comment agissez-vous pour promouvoir le continuum classes préparatoires / Grande école ?
T. F: Nous sommes particulièrement actifs avec le lycée Chateaubriand de Rennes dans lequel un de nos professeurs est parti enseigner en décembre alors que l’un des leurs est venu donner une conférence sur l’« éthique et le digital ». Nous voudrions également aider les étudiants de prépas à trouver une entreprise dans le cadre du stage de fin de première année qui voit le jour dans de plus en plus de lycées.
O. R : La réforme du bac pourrait amener la fin de la différenciation entre les classes préparatoires ECS et ECE. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
T. F: Je partage les inquiétudes de l’APHEC. Il est urgent de s’inquiéter des éventuelles conséquences de la réforme du bac alors que nous avons besoin de recruter deux profils différents, l’un très matheux, l’autre plus ouvert sur les sciences humaines. Cela étant, Les écoles de management ont plus que jamais besoin de recruter des jeunes qui ont les capacités d’abstraction apportées par les mathématiques ou les études très littéraires.
O. R : Parmi les décisions importantes que vous avez prises cette année il y a celle de passer du concours BCE à Ecricome en 2020. Pourquoi ce choix ?
T. F : Il y a différentes raisons qui vont de la possibilité de recruter sur une base plus élevée de candidatures à l’intérêt de travailler dans une structure resserrée. A quatre, avec l’EM Strasbourg, Kedge et Neoma, avec des écoles qui partagent notre goût de l’innovation, ce sera très facile de prendre des décisions rapides. Nous serons également mieux représentés auprès des classes préparatoires littéraires. Nous avons aussi en commun d’être mondial et de vouloir élargir nos recrutements internationaux.