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« Le Campus Condorcet ne doit pas se penser en vase clos »: entretien avec son président, Jean-François Balaudé

Les onze membres du Campus Condorcet représentent la majorité des forces de recherche en SHS (sciences humaines et sociales) d’Ile-de-France. Son président, Jean-François Balaudé, revient avec nous sur l’avancement d’un projet qui n’en est encore qu’à la mi-temps de son développement. (Photo : ©Raphaël de Bengy / Campus Condorcet)

Olivier Rollot : Peut-on dire du Campus Condorcet qu’il en est aujourd’hui à la moitié de sa réalisation ?

Jean-François Balaudé : Il nous reste encore deux bâtiments à achever pour que soit bouclée la première phase du programme sur le site
d’Aubervilliers. Il s’agit du bâtiment dédié à l’EHESS et du Grand équipement documentaire (GED) qui seront livrés en 2021. Ainsi aujourd’hui, 9 bâtiments sur les 11 prévus en première phase sont opérationnels et accueillent du public. Le chantier du site Porte de La Chapelle à Paris (un ensemble de 20 000m2) vient, quant à lui, de débuter et sera achevé en 2023.

A grands traits, on peut dire que les deux tiers des bâtiments de l’ensemble de la première phase sont à cet instant opérationnels. Il restera ensuite la phase 2 du programme, dont un premier jalon va se réaliser avec le bâtiment dédié à l’EPHE, entièrement financé (livraison en 2024)

O. R : Rappelez-nous dans quel esprit les onze membres du Campus Condorcet (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EPHE, EHESS, Paris-Nanterre, École des Chartes, CNRS, etc.) ont conçu ce projet après l’initiative initiale menée par l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et l’EPHE en 2008 ?

J-F. B : Au départ, les membres ont convenu de la pertinence qu’il y avait à rapprocher des équipes qui avaient des affinités pour créer des pôles scientifiques de premier plan dans les sciences de l’écrit, les sciences des populations et des territoires, les études boréales. En 2018, dans le cadre du projet Condorcet 2025, se sont ajoutées des propositions de nouveaux axes. Ce sont ainsi les migrations, la mémoire, la santé publique, les arts et le numérique, ou encore la laïcité et les faits religieux qui ont émergé, au regard des forces réunies et des initiatives de structuration poussées par les membres (GIS, plateformes scientifiques, Instituts Convergence…).

Maintenant commencent à émerger des projets qui impliquent plusieurs équipes réunies sur le Campus. Nous avons confiance dans les effets induits progressivement par ces rapprochements, qu’ils soient programmés ou imprévisibles. Quand un géographe échange avec un historien, un politiste, un américaniste, etc., ces voisinages et ces échanges conduisent à des perspectives de nouvelles recherches communes, et créent les meilleures conditions heuristiques et de sérendipité. Appuyées également par des appels à projets incitatifs, la pluri- et l’interdisciplinarité se développent par effet boule de neige.

O. R : Mais les sciences humaines et sociales suffisent-elles à les traiter ?

J-F. B : Vous avez raison, les grands défis sociétaux, environnementaux, la santé ou la transition écologique sont autant de domaines interdisciplinaires pour lesquels nous devons impérativement travailler avec des équipes de sciences fondamentales, de biologie, d’informatique, etc. Le fait nouveau, c’est que nous sommes prêts à en prendre l’initiative, à la façon dont l’INED l’illustre très bien pour ses recherches sur les populations. Alors que bien souvent cela se passe plutôt dans l’autre sens, les SHS sont sollicitées pour des projets, dans un rôle de complément presque accessoire.

Le Campus ne doit en tout cas pas se penser, ni être perçu comme évoluant en vase clos. Il ne s’agit pas de se contenter de stimuler les collaborations entre les forces scientifiques que les membres y ont installées, même si cela constitue le point de départ fondamental. Nous devons à la fois être interdisciplinaires au sein des SHS, et ouverts aux collaborations extérieures, ainsi qu’aux interfaces scientifiques.

O. R : On peut l’affirmer : le Campus Condorcet apporte beaucoup aux chercheurs en sciences humaines et sociales. Notamment de bureaux dont ils ne disposaient pas toujours à Paris…

J-F. B : Le Campus constitue un instrument essentiel. Certains chercheurs passent de quasiment aucun matériel ou bureau attitré – notamment quand ils travaillaient dans le centre de Paris – à un environnement très confortable qui va conditionner la qualité de leur recherche. Vous parlez de bureaux, mais il faut aussi signaler le Centre de colloques, la Maison des chercheurs et, bientôt, le « Grand équipement documentaire ».

O. R : Le Campus Condorcet ce sont des chercheurs mais aussi des étudiants…

J-F. B : Au début, le projet était surtout centré sur la recherche et très peu sur l’enseignement. Progressivement, il est devenu évident que l’activité de formation avait toute sa place. Aujourd’hui nous recevons uniquement des étudiants de niveaux master et doctorat à Aubervilliers, mais cela s’étendra au premier cycle, avec le site de la Porte de La Chapelle, que fréquenteront, dès 2023, près de 4000 étudiants de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

O. R : Existe-t-il des campus équivalents dans le monde qui accueillent ainsi un pan de recherche majeur en SHS ?

J-F. B : Pas à ma connaissance. En France même, il existe bien sûr des pôles de recherche importants en région, autour des MSH en particulier, mais le Campus Condorcet est à une autre échelle. Les onze membres du Campus Condorcet rassemblent la majorité des forces de recherche en SHS d’Ile-de-France, même si je n’oublie pas les équipes de l’ENS Ulm, de Sorbonne Université ou encore de Paris-Saclay.

Dans le détail, nos membres sont eux-mêmes physiquement présents sur le campus à des degrés divers : il en va très différemment de Paris Nanterre, qui n’a pas encore d’équipe accueillie en raison de son arrivée récente comme onzième membre, de la Sorbonne Nouvelle, de Sorbonne Paris Nord, de Paris 8, ou de l’École des chartes, qui ont quelques équipes, et de l’INED, entièrement installé d’ores et déjà,  de l’EPHE (École pratique des hautes études) qui sera entièrement sur le campus en 2023, de Paris 1, actuellement le plus gros établissement présent, ou bien sûr du CNRS, dont environ un tiers des forces de l’InSHS converge ici. S’agissant de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), la moitié de ses équipes aura rejoint le campus d’ici l’an prochain. Et à la faveur du financement de la phase 2, elle s’y rassemblera tout entière, ce qui est une grande chance pour le Campus.

O. R : A titre personnel de président d’université – à Paris Nanterre jusqu’à il y a peu – vous vous êtes en quelque sorte transformé en chef de chantier.

J-F. B : C’est effectivement une fonction assez originale que la mienne aujourd’hui avec cette conduite de projets immobiliers. Je dois par exemple porter une attention toute particulière, avec l’équipe de l’Établissement Public Campus Condorcet, aux problèmes de construction, mais aussi d’exploitation et de maintenance, de sûreté et de sécurité pour l’ensemble des sites. Cela amène tout naturellement des liens étroits et très réguliers avec le partenaire privé dans le cadre du PPP. Mais dans l’avenir, la dimension scientifique prendra, au fur et à mesure du devenir du Campus Condorcet, une importance croissante.

O. R : Mais avant cela il va vous falloir boucler le financement complet du projet/ Combien vous manque-t-il aujourd’hui ?

J-F. B : Il faut 250 millions d’euros pour boucler la deuxième phase, et nous avons porté la demande de financement dans le cadre du contrat de plan Etat-région (CPER). Si nous n’obtenons pas tout dans ce cadre – cela dépendra des arbitrages de l’Etat -, la vente du bâtiment qui accueille aujourd’hui la FMSH (Fondation Maison des sciences de l’Homme) et l’EHESS, situé 54, boulevard Raspail à Paris, pourrait être un moyen complémentaire pour permettre de boucler ce financement. L’EHESS est favorable à cette vente, la FMSH ne l’était pas jusqu’à une date récente, mais la situation désormais évolue. Nous sommes confiants dans le fait que ces différentes perspectives permettront d’aller jusqu’au bout du programme, ce qui est essentiel pour que le Campus Condorcet produise ses pleins effets.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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