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Trump vs. Education : les universités contre-attaquent, haro sur les accréditeurs

Ni les 2,2 milliards de dollars de subvention gelés, ni les menaces sur la possibilité de défiscaliser les dons n’aurons fait fléchir Harvard. La plus prestigieuse université dans le monde est entrée dans un combat incertain contre une administration Trump bien décidée à la faire plier. « Une bataille avec la plus ancienne, la plus riche et la plus élitiste des universités du pays est une bataille que le président Trump et son puissant assistant, Stephen Miller, veulent mener », analyse The New York Times. Dernier épisode : ce lundi Harvard a porté plainte contre l’administration Trump, pour mettre fin au gel fédéral de ses subventions. De même plus de 100 présidents d’universités américaines ont signé le 22 avril une déclaration dénonçant « l’ingérence politique et les abus gouvernementaux sans précédent qui mettent actuellement en péril l’enseignement supérieur américain». En Europe les initiatives se multiplient pour accueillir enseignants et chercheurs dont les financements se sont taris aux Etats-Unis faute d’être dans la ligne trumpiste.

Ce qu’exige l’administration Trump de Harvard

Une motivation – lutter contre l’antisémitisme latent au sein des universités américaines d’élite -, une exigence – démanteler les politique de diversité et d’inclusion (DEI) – un moyen : couper les financements fédéraux. L’administration Trump est entrée en guerre contre les grandes universités américaines et tout particulièrement contre leur fer de lance : Harvard. Et sans aucune possibilité de conciliation. Pour complaire à l’administration Trump, l’université devrait non seulement supprimer ses politiques DEI mais aussi pratiquer un audit de la diversité idéologique au sein du corps enseignant et des étudiants. « L’université devra demander à un organisme externe de procéder à un audit de la diversité des points de vue auprès des étudiants, des professeurs, du personnel et de la direction, de sorte que chaque département soit individuellement diversifié », exigel’administration Trump dans un courrier quand ce dernier considère sur son réseau social que « Harvard ne peut même plus être considéré comme un lieu d’apprentissage décent et ne devrait figurer sur aucune liste des grandes universités ou collèges du monde. Harvard est une blague, enseigne la haine et la stupidité, et ne devrait plus recevoir de fonds fédéraux ».

Face à cette tentative de mise sous tutelle le président de Harvard, Alan Garber, est entré en lutte. As Trump Freezes Billions in Funding, Harvard Steels Itself for a Fight titre ainsi The Chronicle of Higher Education après qu’Alan Garber ait écrit à sa communauté que « l’université ne renoncerait ni à son indépendance ni à ses droits constitutionnels. Ni Harvard ni aucune autre université privée ne peuvent se laisser mettre sous tutelle par le gouvernement fédéral ». Et d’insister : ces demandes « portent atteinte aux droits du premier amendement de l’université et dépassaient l’autorité du gouvernement fédéral. Aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne devrait dicter ce que les universités privées peuvent enseigner, qui elles peuvent admettre et embaucher et quels domaines d’études et de recherches elles peuvent poursuivre ».

Mais Harvard peut-elle puiser dans un fonds de dotation (endowment) record de plus de 53 milliards de dollars pour se financer ?  Pas si simple car ce serait se priver des revenus considérables que procurent les intérêts : 2,4 milliards de dollars en 2024. D’autant que Donald Trump menace de supprimer à l’avenir l’exemption d’impôts accordée à l’université. Des élus républicains du congrès américain ont de leur côté lancé une enquête sur l’université pour contrôler son «manque de conformité avec les lois sur les droits civiques», et en particulier les discriminations fondées sur les origines ». Dernier étage de l’offensive trumpiste. Harvard pourrait perdre le droit de recruter des étudiants étrangers (27,2% de ses effectifs en 2024-2025). Le ministère américain de la sécurité intérieure a menacé de retirer à l’université de Harvard la possibilité d’inscrire des étudiants étrangers si l’université ne remet pas avant le 30 avril « des dossiers détaillés sur les activités illégales et violentes des détenteurs de visas d’étudiants étrangers de Harvard ».

Les étudiants internationaux sont-ils encore les bienvenues aux Etats-Unis ?

Faut-il aujourd’hui partir étudier aux Etats-Unis ? Le 19 avril, l’administration Trump a ainsi mis fin au statut juridique de plus de 1 550 étudiants étrangers, selon un décompte du site Inside Higher Ed. Certaines ont visé des militants pro-palestiniens, mais d’autres ont touché des étudiants qui n’étaient pas impliqués dans des manifestations sur les campus. Depuis ces suppressions de visas ont été annulées par l’administration mais le mal est fait.

D’autant que, le plus souvent, l’administration n’a prévenu ni les étudiants ni leur établissement d’enseignement supérieur. Les administrateurs des campus doivent consulter une base de données gouvernementale pour déterminer qui, parmi leurs étudiants, a vu son statut modifié. Dans certains cas, des jeunes diplômés qui avaient prolongé leur séjour d’un an pour travailler aux États-Unis ont également vu leur statut modifié.

Par ailleurs, comme tant d’autres programmes fédéraux, le programme américain d’accueil d’étudiants internationaux Fulbright a été gelé sans qu’on sache quel sera son sort. Et chacun doit avoir conscience que l’ensemble des messages envoyés sur les réseaux peut-être saisi par la douane à son entrée aux Etats-Unis. Et vous valoir éventuellement un retour immédiat at home.

La science en danger

Au-delà de Harvard ce sont l’ensemble des très grandes universités américaines qui sont dans le collimateur de l’administration Trump. De même que l’ensemble des agences de recherche. Des pans entiers de recherches sont soumis à des coupes drastiques dans leurs financements pour peu qu’ils touchent à l’environnement, la santé et bien sur les questions de diversité. Dans leur communiqué commun la centaine de présidents d’université écrit encore : « Nous sommes ouverts à une réforme constructive et ne nous opposons pas à un contrôle gouvernemental légitime. Toutefois, nous devons nous opposer à toute intrusion indue du gouvernement dans la vie de ceux qui apprennent, vivent et travaillent sur nos campus. Nous rechercherons toujours des pratiques financières efficaces et équitables, mais nous devons rejeter l’utilisation coercitive du financement public de la recherche ».

Oui mais voilà, les coupes budgétaires fédérales mettent en péril les finances des universités relève l’agence de notation Standard & Poor’s (lire l’article de HigherEdDive). Et pas seulement aux Etats-Unis : les coupes dans les programmes américains ont un impact dans le monde entier. « La science mondiale est déjà très clairement en danger sur certains sujets, tels l’environnement et la santé. Les coupes dans les aides aux pays en développement vont entraîner une baisse de la prévention. Nous avons sous-estimé globalement notre dépendance envers les Etats-Unis. Mais soyons francs : qui pouvait prévoir, il y a un an, que l’ouragan Trump remettrait en cause les collaborations scientifiques internationales ? », regrette Antoine Petit, le P-DG du CNRS, dans Le Monde.  « Le tissu des interactions est profondément altéré, mais il n’est pas complètement rompu à ce stade », relève quant à lui François Houllier, P-DG de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), où 20 % des publications sont cosignées avec un partenaire américain, et en premier lieu avec l’Agence météorologique et océanographique américaine. « Le gouvernement fédéral s’attaque à des centres de recherche de réputation mondiale : soit pour des motifs purement idéologiques, tel le principe de non-discrimination hommes-femmes, soit en rognant sur les crédits jusqu’à présent alloués aux laboratoires, a fortiori sur ceux destinés aux contrats de recherche accordés à des chercheurs aux Etats-Unis et à l’étranger » stigmatisent dans une tribune au « Monde », le spécialiste en prospective Hugues de Jouvenel et le physicien Pierre Papon.

haro sur les accréditeurs

Décidément Donald Trump n’a pas supporté l’échec de l’université qu’il avait créée en 2004. La Trump Entrepreneur Initiative LLC aura vécu six ans avant de faire piteusement faillite et qu’un accord avec ses étudiants lésés se solde finalement par le versement de 25 millions de dollars. A l’époque aucun organisme d’accréditation n’avait voulu lui donner son blanc-seing. Quinze ans plus tard Trump’s Executive Order Bashes Accreditors, Blames DEI for Low Standards and Poor Outcomes écrit The Chronicle of Higher Education en établissant que Donald Trump a signé un décret exigeant spécifiquement que les accréditeurs demandent aux institutions d’utiliser les données des programmes sur les résultats des étudiants « sans référence à la race, à l’ethnicité ou au sexe ». Le prétexte habituel pour s’attaquer de nouveau au monde universitaire. « L’objectif de Trump est de manipuler les accréditeurs afin de forcer les collèges et les universités à faire ce qu’il veut et de les punir lorsqu’ils résistent. Il utilise le processus d’accréditation comme une arme pour obtenir l’effet de levier qu’il recherche » écrit Todd Wolfson, président de l’Association américaine des professeurs d’université (AAUP) (lire l’article de University World News).

Mais aujourd’hui les universités américaines relèvent le gant comme en fait état The New York Times (Emerging From a Collective Silence, Universities Organize to Fight Trump) face au défi majeur que Donald Trump pourrait avoir en tête : celui de leur prendre tout ou partie de leur endowment pour créer et financer un cursus d’enseignement supérieur non-progressiste. Le journal de l’université Stanford, The Stanford Dailly, revenait sur ce projet cataclysmique mi-janvier dans son article Trump’s ‘American Academy’ plans to tax private university endowments. Here’s what it means for Stanford. Dans une vidéo publiée en 2023 le futur président annonçait en effet son intention de « prendre les milliards et les milliards de dollars que nous collecterons en taxant, en imposant des amendes et en poursuivant en justice les dotations excessives des universités privées » pour créer l’American Academy ».

Seule bonne nouvelle dans cette guerre menée contre les universités, plus de 4 500 étudiants étrangers concernés par la révocation de leurs visas vont peut-être bénéficier de mesures assouplies suite à une décision annoncée ce vendredi 25 avril par le ministère de la Justice. La police de l’immigration a fait savoir lors de plusieurs audiences en justice, vendredi, que leurs documents seraient réactivés, en attendant… l’élaboration d’un cadre permettant les résiliations selon Le Monde.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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