Sébastien Vivier-Lirimont
Électrification des automobiles, énergie atomique, industries de défense, santé, les questions de réindustrialisation de la France sont au cœur des préoccupations depuis plusieurs années. Mais comment former les professionnels nécessaires alors que l’appétence des jeunes pour les formations scientifiques reste faible ? Une question à laquelle s’attaque le cabinet de conseil spécialisé dans l’enseignement supérieur et la recherche HEADway Advisory en lançant le 12 juin 2025 le Club Équipons la France en compétences. Entretien avec son président, Sébastien Vivier-Lirimont.
- Cet entretien a été publié le 2 juin sur le site Focus RH
Quel est le constat qui vous amène à créer ce nouveau club dont le premier numéro se déroulera à Paris le 12 juin prochain ?
Le rapport que vient de publier l’Institut Montaigne sur les besoins de la France en ingénieur illustre parfaitement le décrochage face auquel la France est confrontée faute de profils scientifiques en nombre suffisant. Face aux bouleversements induits par les transitions écologique, numérique, politique, sociétale et démographique, la reconfiguration de nos dispositifs de montée en compétences est devenue une priorité stratégique nationale.
Les transformations en cours sont d’une ampleur inédite. France Stratégie estime que 50 % des actifs devront changer significativement de compétences dans les dix prochaines années. Comme le montre le rapport 2025 de l’Organisation Internationale du Travail, l’irruption de l’IA aura un impact particulièrement fort dans les pays développés. Cet impact est structurel, l’IA recompose les activités, en faisant disparaitre des tâches facilement automatisables et en recentrant le travail sur notamment des activités relationnelles ou créatives.
Comment les établissements d’enseignement supérieur doivent-ils prendre en compte ces bouleversements pour répondre aux besoins des entreprises ?
Ces mutations appellent un effort sans précédent en matière de formation : les publications de France Stratégie ou de la Dares mettent trop souvent en évidence le désalignement qualitatif entre les formations initiales et les besoins futurs du marché du travail. Face à ces déséquilibres et cette pénurie chronique de compétences, il est impératif de réinventer nos modèles de formation initiale et professionnelle pour les adapter à nos nouvelles réalités.
La filière des batteries illustre de manière frappante l’écart entre les besoins industriels et l’offre de formation actuelle. L’étude prospective de l’Observatoire Compétences Industries menées en 2022 martèle de dures réalités « l’appareil de formation est encore très faible au regard des enjeux de la filière », « les formations sont encore trop peu adaptées à la réalité industrielle ». Cette situation met en lumière un décalage préoccupant entre les formations disponibles et les compétences réellement requises sur le terrain.
C’est la relation Entreprise Education qui doit piloter la reconstruction de la fabrique des compétences. Mais pour y parvenir il faut la refonder.
Mais comment agir ? L’enseignement supérieur et les entreprises arrivent-ils à se parler ?
L’heure n’est plus uniquement à l’alerte, mais à l’action. Cela suppose d’engager sans délai des projets concrets, ancrés dans les territoires, construits de manière collaborative entre les entreprises et les acteurs de l’Enseignement Supérieur et particulièrement avec eux. Ces derniers forment les nouvelles générations de talents et ils sont aussi les creusets de la recherche appliquée, de l’innovation pédagogique et scientifique, autant d’éléments déterminants pour accompagner les filières stratégiques dans leur montée en compétence et renforcer la compétitivité nationale. Une réponse utile à l’urgence ne peut être que concertée, opérationnelle et orientée vers l’impact. Or, malgré des avancées ponctuelles, la coopération entre les entreprises et l’enseignement supérieur en France demeure insuffisante pour répondre aux défis des transitions en cours.
Mais qu’est-ce qui empêche ces collaborations fructueuses entre les entreprises et l’enseignement supérieur ?
Si la coopération entre entreprises et enseignement supérieur ne fonctionne pas pleinement, c’est avant tout parce qu’elle reste trop souvent cantonnée à un niveau institutionnel, là où l’enjeu est de bâtir des liens opérationnels, concrets et durables. Les malentendus persistent renforcés par le contexte économique qui favorise le repli au lieu de développer les coopérations : les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises peinent à comprendre leurs différences de culture, de temporalité et d’objectifs. Ces mauvaises perceptions mutuelles freinent la construction d’une véritable dynamique partenariale, alors qu’elle est indispensable pour répondre aux transformations profondes de notre économie et de nos métiers.
C’est là que vous intervenez en créant ce nouveau club qui doit rassembler les acteurs des deux mondes autour de projets communs ?
Conscient de ces écarts persistants entre les mondes de l’entreprise et de l’enseignement supérieur, HEADway Advisory a décidé de passer à l’action. En partenariat avec des acteurs engagés des deux sphères, nous lançons le Club “Équipons la France en Compétences”, un espace de dialogue franc, sans langue de bois, conçu pour favoriser une coopération plus opérationnelle, plus directe, et surtout plus utile. Ce club vise à identifier ensemble les verrous à faire sauter, les solutions à expérimenter, et les projets à lancer pour anticiper et développer les compétences dont notre pays a besoin. Ce club sera un espace de dialogue, de proposition et d’expérimentation.
Dans un monde en multiples transitions (ou en crises multiples), où la ressource compétence est rare et programmée pour l’obsolescence, l’adaptation est nécessaire. Explorons de nouvelles formes de coopération entre les entreprises et l’Enseignement Supérieur et la Recherche.
Sources :
- Organisation internationale du travail (2025) ‘IA générative et emploi’.
- Observatoire Compétences Industries (2022). ‘Prospective des besoins en compétences de la filière des batteries en France’.
- OCDE (2020). ‘L’avenir du travail’.
- France Stratégie (2022). ‘Les métiers en 2030’.
- Institut Montaigne (2025) ‘Métiers de l’ingénieur : démultiplier nos ambitions’
Le Club Équipons la France en compétences. Créé par HEADway Advisory le Club Équipons la France en compétences est un Club de Décideurs des entreprises, de l’enseignement supérieur, de la recherche et des institutions publiques. Ce Club a pour objectif d’identifier et mettre en œuvre des solutions pour anticiper les besoins de compétences et les développer pour les jeunes et les professionnels tout au long de la vie . Son événement fondateur s’est tenu le 12 juin à Paris avec les interventions de :
- Hélène Garner, directrice des études et des données de l’APEC ;
- Thomas Jeanjean, directeur général adjoint de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris Ile-de-France, en charge du pôle Education ;
- Fabrice Vaujois, directeur du programme Électrification du véhicule du Groupe Renault.
Les débats étaient animés par Christelle Chappaz et Olivier Rollot.