Emmanuel Duflos ouvre le colloque dans les locaux de Brest de l’IMT Atlantique
Pour son colloque annuel cette année à Brest dans les locaux de l’IMT Atlantique et de l’Enib, les directeurs réunis par la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) se sont penchés plus particulièrement sur les questions de pédagogie. « Nous vivons une époque de rupture systémique avec des tensions multiples, des réalités académiques attaquées alors que les opinions semblent prendre le pas sur les réalités scientifiques. Par notre pratiques pédagogiques à réinventer nous devons apprendre à nos étudiants à lire les contraintes et à se préparer à s’adapter tout au long de la vie », résume le président réélu de la Cdefi et directeur de l’EPF, Emmanuel Duflos. « La France a besoin d’ingénieurs capables de faire face à un monde en changement constant », insiste quant à lui Philippe Baptiste en amont de ce même colloque dans un message enregistré.
Une vision des entreprises. « Incertitude, changement permanent, instabilités, vos challenges sont aussi les nôtres chez Thales. Nous nous sommes justement interrogés sur les fondamentaux du temps long », établit Clément de Villepin, directeur général des ressources humaines du groupe Thales qui rappelle que les « sciences seront une réponse indispensable pour relever les défis et qu’il faut plus de scientifiques et plus de femmes pour cela. Des scientifiques que nous espérons recruter pour 30 ans dans notre entreprise ! ». Thales recrute 1 500 ingénieurs chaque année, autant d’apprentis et beaucoup plus de stagiaires. « Les compétences que nous demandons sont évidemment techniques mais aussi la capacité à travailler dans une intelligence collective. Être capable de prendre des responsabilités et d’en assumer les risques c’est crucial alors que de moins en moins de jeunes veulent s’engager dans le management. Enfin il faut être capable de s’ouvrir au monde », résume le DRH d’une entreprise qui se veut « apprenante » : « Chaque collaborateur doit définir ses compétences pour approcher le plus possible l’acte d’apprentissage du poste de travail. Il faut apprendre et transmettre tous les jours avec ce que nous appelons des « knowledge boosters » ».
Mettre en situation. Un débat était consacré à la question « Former les ingénieurs à la complexité : vers une pédagogie de l’adaptation » « L’école, la formation, c’est un lieu où on peut faire des erreurs et amener de la remédiation », explique Véronique Le Courtois, ancienne directrice des études de Centrale Lille. « Il faut apprendre les règles qu’on peut transgresser pour s’adapter – mais pas toutes ! – face à des étudiants qui ont franchi toutes les étapes et n’ont jamais rencontré des problèmes. Or ce ne sont pas les mieux à même de se dépêtrer de situations compliquées », souligne Marie-Noëlle Chalaye, directrice de l’IAE Brest-Bretagne-INP.
Mais rien ne vaut l’expérience.et les écoles mettent de plus en plus leurs étudiants en situation dans le cadre de simulation. « Nous avons essayé de reproduire avec nos étudiants les expériences que pouvaient vivre des pompiers dans le cadre d’un exercice de feu en accélérant peu à peu les événements », détaille justement Sire de Marc Ebode, ingénieur d’études à l’Ineris qui a monté un jeu de mise en situation qui permet notamment de gérer le stress d’étudiants qui se « sont vraiment mis dans la peu des pompiers au-delà de ce que nous avions imaginé ».
On va encore plus loin – bien plus loin ! – à l’Ecole navale. « A la rentrée nous enlevons leur téléphone portable à nous nouveaux étudiants pour les soumettre à quatre semaines intenses des contraintes qu’ils pourront vivre dans leur métier. Entre cinq et quinze élèves renoncent sur 85 intégrés tant le rythme est effréné », explique Bertrand de Parscau du Plessis, directeur de la formation de l’Ecole navale qui veut essentiellement montrer « comment l’incertitude est au cœur du métier d’officier de marine ».
Un nouveau rôle pour les enseignants-chercheurs. Ces évolutions pédagogiques, ces mises en situation, changent profondément le rôle des enseignants-chercheurs. « Ce n’est pas facile de ne plus être essentiellement un « sachant » mais les enseignants-chercheurs adhérent peu à peu à ces dispositifs qui donnent de la satisfaction avec un retour immédiat », affirme Véronique Le Courtois quand Sire de Marc Ebode remarque qu’il faut « considérer que rien n’est écrit, qu’on peut refaire plusieurs fois la même mise en situation sans jamais avoir la même réponse. C’est une grande incertitude pour tous ». « C’est changer de posture et d’une position de pouvoir pour aller vers de nouvelles règles en perdant sa toute-puissance », noteMarie-Noëlle Chalaye. « C’est déstabilisant pour les étudiants comme pour nous », conclut Nicolas Benvegnu, sociologue au médialab de Sciences Po Rennes.