Fondé en 1948, l’Ileri forme chaque année 200 étudiants après le bac (bachelor) ou en master pour devenir des spécialistes des relations internationales. C’est fort logiquement à l’une des personnalités les plus reconnues en la matière en France, particulièrement actif sur le Moyen Orient et le monde musulman, Antoine Sfeir, qu’est revenue cette année sa présidence.
Olivier Rollot : Pourquoi avez-vous accepté la présidence de l’Ileri ? C’est la première fois que vous prenez des responsabilités dans l’enseignement supérieur.
Antoine Sfeir : Il y a 38 ans que j’enseigne mais c’est effectivement la première fois que je prends de telles responsabilités. Mais comment pouvais-je refuser l’honneur de succéder à des personnalités comme Raymond Barre ou Edgar Faure à la tête d’un institut créé par l’un des auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, René Cassin ?
O. R : Quel va être exactement votre rôle ?
A. S : Je ne veux pas juste être un CV. Je veux m’impliquer et je recevrai les étudiants qui le désireront chaque semaine. De plus j’ai déjà insisté qu’ils travaillent cette année autour des questions d’« altérité », de compréhension de l’autre. Il faut d’abord reconnaître l’autre pour ensuite le connaître et le comprendre. Un homme n’est pas « étiquettable ». Les 20% d’étudiants étrangers de l’Ileri sont très importants dans cette démarche et je veux augmenter le nombre de partenariats avec les établissements d’enseignement supérieur à l’étranger.
O. R : Qu’est-ce que vous voulez qu’ils apprennent d’abord aujourd’hui ?
A. S : D’abord qu’ils réfléchissent à ce que c’est qu’être libre. En 1948, quand a été créé l’Ileri, on le comprend tout de suite. Mais aujourd’hui, alors que la liberté est remise en cause partout, que la pensée unique prédomine, qu’on vous insulte dans les débats parce qu’on n’est pas d’accord avec vous, qu’est-ce que c’est que la liberté ? Nous sommes de plus en plus loin de Voltaire quand il dit « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».
O. R : Vous commencez à les rencontrer. Pourquoi les étudiants viennent à l’Ileri ?
A. S : Mais parce qu’ils veulent comprendre un monde de plus en plus complexe. Jusqu’en 1991 les deux blocs dirigeaient le monde mais depuis on voit bien qu’il n’y a jamais eu autant de conflits en dépit de l’émergence d’un « gendarme de monde ». Un monde dans lequel on remet en cause toutes les règles sans en donner de nouvelles. Par exemple on décrète le « devoir d’ingérence », qui signifie qu’on passe par-dessus la souveraineté des États. Mais on ne le conçoit aussi que comme un instrument aux mains de l’Otan. Que ferais-t-on si un pays non occidental disait demain que les Corses sont oppressés ? C’est la force de l’Ileri d’enseigner toujours les règles internationales.
O. R : Comment faut-il leur enseigner ?
A. S : Comme on dit au Liban « Une main seule n’applaudit jamais ». Le débat est crucial et j’insiste toujours sur l’altérité, la capacité à se mettre à la place de l’autre. Par exemple dans une précédente expérience j’avais demandé aux étudiants Juifs de représenter la Palestine et aux étudiants Arabes de représenter Israël. Ils devaient ensuite ne réfléchir qu’en fonction des résolutions de l’ONU. Un débat purement juridique qui avait très bien fonctionné.
L’important c’est de prendre le temps d’avoir du recul sur l’événement. Quand les Émirats Arabes Unis, historiquement toujours neutres comme la Suisse, interviennent en Libye avec des avions Mirage pilotés par des Égyptiens il faut se demander : 1. Pourquoi ces avions ont décollé, 2. Pourquoi étaient-ils pilotés par des Égyptiens, 3. Pourquoi les Émirats sont-ils sortis de leur neutralité ? Et pour réaliser cette analyse, il faut avoir la distance nécessaire.
O. R : On reproche souvent à la « Génération Y » son apathie. Ce n’est pas l’impression que donnent les étudiants de l’Ileri !
A. S : Ils ne sont pas blasés. Ils s’investissent dans de nombreuses associations. Ce sont des libres penseurs qui disent souvent qu’ils ne « sont pas d’accord entre eux mais qu’ils s’adorent ». Ils veulent comprendre le monde pour s’engager et le changer.