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Quelles perspectives pour l’accueil des étudiants étrangers en France?

2270 euros en licence et 3770 euros en master et doctorat : Edouard Philippe a annoncé le 19 novembre, que les droits d’inscription des nouveaux étudiants extra-européens allaient considérablement augmenter. A l’occasion des Rencontres universitaires de la francophonie le Premier ministre a dévoilé sa « stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux ». Sous la bannière générique « Choose France » dévoilée en janvier 2018 lors du Sommet de l’attractivité de la France l’objectif est d’attirer 500 000 étudiants internationaux à l’horizon 2027 contre 325 000 aujourd’hui (13% des effectifs de l’enseignement supérieur). Mais l’attractivité du modèle français d’enseignement supérieur se joue également à l’étranger avec l’installation de nombreux campus « made in France ». Regards croisés sur un enseignement supérieur qui importe et s’exporte.

  • Infographies : Campus France

Nouveaux moyens mais chute du nombre d’étudiants ? Le gouvernement entend aujourd’hui « renforcer sa place dans le classement des premiers pays d’accueil, en attirant davantage les étudiants internationaux à la recherche d’un enseignement de qualité ». Pour y parvenir un fonds de soutien « Bienvenue en France », doté de 10 millions d’euros, sera créé comme un label du même nom valorisant la qualité d’accueil. Le Premier ministre annonce vouloir également faciliter l’obtention des visas étudiants : les étudiants seront prioritaires dans le traitement des dossiers de visas par les consulats, dès mi-2019, la validation du visa pourra avoir lieu de façon dématérialisée. Considérés aujourd’hui comme autant de freins par 51% des étudiants internationaux ayant étudiés en France interrogés par Campus France, le renouvellement des titres de séjour comme les démarches administratives devront également être facilités. Le développement des cours de français langue étrangère (FLE) et des cursus en anglais (« taught in english ») seront également favorisés. Enfin le nombre de bourses sera triplé : 15 000 bourses seront attribuées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (contre 7 000 actuellement) et 6 000 autres délivrées par les universités et les Grande écoles. Au total, un étudiant international sur quatre devrait bénéficier d’une exonération ou d’une bourse.

Mais quels effets aura la hausse des frais de scolarité sur la venue des étudiants étrangers ? Souvenons-nous : en 2011 la Suède augmente drastiquement ses frais de scolarité pour les étudiants étrangers extérieurs à l’Union européenne : jusqu’ici gratuits ces frais passent brusquement à parfois plus de 30 000 euros par an. En 2015 le nombre d’étudiants étrangers en Suède chute de 80% pour ne plus représenter que 1600 étudiants. Si les montants annoncés en France sont beaucoup plus faibles, beaucoup n’en agitent pas moins la menace d’une baisse du nombre d’étudiants étrangers n’ayant pas les moyens financiers de venir. En particulier en provenance des pays africains avec lesquels le différentiel de pouvoir d’achat est très fort. Les effets d’un reflux de ces étudiants auront des effets très importants puisque près de la moitié (45%) des étudiants étrangers en France sont originaires du continent africain, dont près d’un quart d’Afrique du Nord. Avec plus de 38 000 étudiants venus en France en 2017 le Maroc se situe ainsi au premier rang des flux entrants devant la Chine (28 700) et l’Algérie (26 000).

En France, le coût des étudiants étrangers pour l’État est évalué à environ 3 milliards d’euros et son apport à 4,65 milliards pour l’économie. Un véritable retour sur investissement bien loin de ce qu’un étudiant apporte à l’économie britannique selon la dernière étude de Campus France Stratégies nationales d’attractivité : enseignement supérieur et recherche. De l’autre côté de la Manche, chaque étudiant domicilié dans l’UE coûterait 21 600 euros et en rapporterait… 99 000 à l’économie du pays. Un ratio encore plus intéressant pour un étudiant non originaire de l’UE qui rapporterait lui 116 000€ de bénéfices tout en en coutant que 8000.

Pour ou contre ? Vigoureusement opposés à cette mesure les syndicats étudiants rejoignent le point de vue du représentant de l’Union des étudiants algériens de France, Aghiles Aït Mammar, qui raconte dans Le Monde : « Beaucoup d’étudiants nous ont sollicités ces derniers jours, ils sont très inquiets. Certains ne pourront pas poursuivre leurs études en France et on va se retrouver avec des jeunes qui vont soit rentrer chez eux, soit rester ici sans papiers. Ou alors ils devront choisir entre payer leurs études, se soigner, se loger… » Des inquiétudes qui n’ont pas lieu d’être pour les étudiants déjà en France pour lesquels la mesure ne s’applique pas. Plusieurs pétitions demandant l’abandon du projet ont recueilli plus de 100 000 signatures.

Une politique qui rencontre un soutien mitigé du côté des présidents d’universités. Dans un communiqué la Conférence des présidents d’université estime que « nombre d’étudiants concernés étant originaires de pays en butte à des difficultés politiques, économiques ou sociales, il serait dommageable que des étudiants méritants et à fort potentiel de réussite se voient fermer les portes de l’enseignement supérieur et la recherche français ». Il lui parait donc « important de prendre en compte l’espace de la francophonie, en particulier les pays du sud ». « Un master facturé 246 € n’est guère attractif pour un étudiant international qui a des attentes qui nous remettent en cause dans nos comportements en matière de service », défendait pourtant David Alis, le président de l’Université Rennes 1, lors du dernier congrès de la CPU alors que le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken, affirmait au contraire : « J’y suis réticent. Pas parce que je serais plus social que les autres mais parce que cela pourrait nuire à notre attractivité internationale. Les études c’est ce qu’il y a de plus universel et ce serait lamentable de faire payer plus les étrangers ».

La mesure est en revanche unanimement approuvée par les directeurs de Grandes écoles – les étudiants étrangers y représentent en moyenne 23% des effectifs – qui y voient plutôt un signal de qualité. La Cdefi se dit ainsi « favorable à l’application de frais de scolarité aux étudiants n’appartenant pas à l’Espace économique européen, d’un montant équivalent au tiers du coût de la formation. » Pour la conférence cette mesure doit « permettre de mettre en avant, à l’étranger, la valeur et la qualité des diplômes d’ingénieur et plus largement des diplômes délivrés par les établissements français ».

Un « marché » en voie de recomposition. Quatrième pays d’accueil de la mobilité diplômante mondiale avec 325 000 étudiants en 2017, premier pays d’accueil non anglophone, la France voit son rang contesté aussi bien par ses voisins européens (Allemagne, Russie) que par des pôles d’attractivité puissants (Chine, Canada) mais aussi par de nouveaux acteurs très dynamiques (Pays-Bas, Arabie saoudite et Turquie).

Face à cette concurrence exacerbée, si le nombre d’étudiants internationaux qui vient en France augmente régulièrement c’est moins fortement que dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Turquie. La France ne figure pas dans le top 20 des plus fortes progressions de la mobilité entrante – en volume comme en pourcentage – entre 2011 et 2016. Et les progressions ne sont pas que le fait de pays jusqu’ici peu attractifs comme l’Iran (+ 310%) ou la Turquie (+182%). Si le Royaume-Uni stagne également, l’Allemagne est le deuxième pays dont les effectifs ont le plus augmenté en volumes dans cette période avec 81 000 étudiants de plus. Juste derrière le leader mondial, les Etats-Unis, où recensait 971 417 étudiants internationaux en 2016 avec une progression de 37% depuis 2011.

 Après 25% de hausse en cinq ans la mobilité étudiante représente aujourd’hui 5,5 millions d’étudiants, soit 2,3% de la population étudiante mondiale, et devrait atteindre les 9 millions en 2025. Dans le même temps le nombre total d’étudiants devrait passer de 212 à 290 millions. Devrait. Mobilité sortante chinoise qui ralentit, Brexit, mesures restrictives sur les visas aux Etats-Unis, la croissance ralentit note Campus France dans sa note Stratégies nationales d’attractivité : enseignement supérieur et recherche. Dans ce contexte tous les acteurs de l’enseignement supérieur sont amenés à se renouveler en s’orientant vers de nouvelles zones géographiques, et en particulier vers l’Afrique subsaharienne.

Exporter notre enseignement supérieur. 37 000 étudiants suivent à l’étranger une offre française d’enseignement supérieur dans 600 programmes proposés dans 140 implantations (selon l’étude L’enseignement supérieur français par-delà les frontières : l’urgence d’une stratégie de France Stratégie parue en 2016). Le gouvernement entend en particulier faire émerger et soutenir les projets engageant les universités de 19 pays africains identifiés comme prioritaires qui vont du Bénin au Togo en passant par la République Centrafricaine. Plusieurs projets « d’universités franco-étrangères », de « campus franco-étrangers », de « hubs régionaux » ou de « campus délocalisés » sont ainsi en cours de développement en Afrique de l’Ouest et au Maghreb (Sénégal, Côte d’Ivoire, Maroc, Tunisie). Le regroupement d’établissements français au sein de campus, à l’image d’Africa Sup au Maroc, du campus franco-sénégalais ou de la future Université franco-tunisienne de l’Afrique et de la Méditerranée (UFTAM), en sont autant d’exemples.

Pour soutenir l’émergence de projets de formation construits en commun par des établissements français et étrangers, un fonds d’amorçage doté de 5 millions d’euros sera mis en place dès 2019 par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. En 2020, ce sera un fonds de soutien, doté de 20 millions d’euros par an, qui sera créé par l’Agence française de développement afin de soutenir la montée en puissance des projets.

Deux exemples d’implantations. En septembre 2019 le groupe d’écoles d’ingénieurs Icam possédera pas moins de 11 campus dans le monde. L’Icam ouvrira en effet un troisième site africain à Kinshasa, en République démocratique du Congo, ainsi que son premier site sud-américain à Recife, au Brésil avec le soutien de la Faculté d’ingénierie de l’Université Libre du Congo et de l’Universidade Católica de Pernambuco. Pour se développer à l’international le groupe Icam s’appuie en effet sur des partenaires locaux et notamment les universités jésuites dont il est proche (les Jésuites ont assuré la direction de l’école jusque dans les années 1980). « Nous collaborons déjà avec le Loyola College en Inde ou encore l’Université Catholique d’Afrique Centrale. Cette démarche nous permet de nous confronter avec la réalité des territoires et de proposer des parcours de réussite s’appuyant sur les besoins des entreprises », commente le directeur général du groupe Icam, Jean-Michel Viot.

Même démarche partenariale du côté d’emlyon qui a inauguré ses nouveaux bâtiments en octobre 2018 à Casablanca. En tout ce sont 90 millions de dirhams (environ neuf millions d’euros) qui y ont été investis pour construire un campus de 5000 m2. « Comme pour nos autres implantations dans le monde nous travaillons avec un partenaire local. Ici il s’agit de KMR, le leader de l’enseignement supérieur privé marocain », détaille le directeur général du groupe emlyon BS, Bernard Belletante. Trois ans après s’être installée dans la capitale économique du royaume, l’école s’affirme toujours plus « globale » après ses campus de Shanghai et Bhubaneswar en Inde et en attendant peut-être une autre ouverture en Afrique. Le modèle français s’exporte bien !

  • Pour mettre en place la stratégie « Choose France », le Gouvernement s’appuiera sur une « campagne de communication mondiale « en 2019, dont l’objectif sera de « maintenir le rang d’attractivité de la France auprès de ses partenaires actuels et de développer la notoriété des études en France dans des pays où elle reste méconnue ». Cette campagne ciblera en priorité les étudiants désireux de s’inscrire dans un master ou un doctorat.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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