PERSONNALITES

Sciences Po : Frédéric Mion démissionne

Dès l’instant où il avait omis de dire qu’il avait eu connaissance des faits d’inceste reprochés à Olivier Duhamel, son départ semblait inéluctable : le mardi 9 février Frédéric Mion a dû se résoudre à démissionner de la direction de Sciences Po face à de nouvelles révélations sur sa connaissance des faits. Depuis plusieurs semaines une mission d’inspection de l’Éducation, du sport et de la recherche mène une enquête sur l’affaire Duhamel. Dans ce cadre Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement et actuel préfet d’Île-de-France, aurait finalement admis selon Marianne qu’il avait été informé à deux reprises de « problèmes sexuels » concernant Duhamel (« Mais pas d’inceste ») par Frédéric Mion. Et ceci dès le printemps 2018. Une révélation qui montre à la fois que Frédéric Mion n’est pas resté inactif après avoir été prévenu par Aurélie Filipetti de l’affaire, mais aussi qu’il était décidément au courant contrairement à ce qu’il avait d’abord prétendu…

Dans son courrier aux étudiants et enseignants de Sciences Po le directeur Frédéric Mion a déclaré dans une lettre aux étudiants et enseignants de Sciences Po il exprime avoir « jugé en conscience que mon devoir était de ne pas quitter mon poste avant que soit menée à bien l’enquête diligentée, à la demande de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, par l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la jeunesse (…) Le rapport provisoire de cette inspection, qui m’a été adressé ce jour, confirme qu’aucun système de silence concerté ou de complaisance n’a existé au sein de notre établissement (…) Le rapport pointe toutefois de ma part des erreurs de jugement, dans le traitement des allégations dont j’avais eu communication en 2018, ainsi que des incohérences dans la manière dont je me suis exprimé sur le déroulement de cette affaire après qu’elle a éclaté. Je mesure le trouble qui en résulte et j’en assume l’entière responsabilité ».

Retour en arrière

« Les membres du Conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), réunis le i 13 janvier 2021, ont souhaité en premier lieu exprimer leur soutien aux victimes de ces agissements criminels. Ils ont en outre pris acte de la gravité de la crise qui en résulte pour l’institution. » C’est dit dans son communiqué, la FNSP ne se cache pas la face après la démission de se présidence d’Olivier Duhamel – qui était président depuis 2016 – auquel succède par intérim l’ancien président de Renault, Louis Schweitzer. Mais que doit-il faire alors que, dans une lettre ouverte adressée au conseil d’administration, 131 enseignants appellent à « ne plus reproduire les mécanismes de cooptation dont les enseignants et salariés de Sciences Po sont actuellement injustement obligés de payer le prix » ? Des questions que le conseil « examinera dans les semaines à venir », Louis Schweitzer ayant notamment pour « mission d’accompagner l’évolution des pratiques de gouvernance au sein de l’institution ».

Selon Le Monde pour renouveler en mars 2021 les cinq sièges vacants parmi les dix que compte le « collège des fondateurs » (appartenant au monde des universités, des affaires publiques, des activités économiques et sociales ou ayant consenti une libéralité à la Fondation nationale des sciences politiques) du conseil d’administration de la FNSP, puis choisir un nouveau président, les représentants des enseignants ont proposé la constitution d’un « search committee » (« comité de sélection »). Jouant un rôle consultatif, il serait constitué d’au moins cinq fondateurs et d’au moins cinq membres élus du conseil d’administration et proposerait une liste de noms sur laquelle l’ensemble du conseil d’administration serait consulté.

Le MESRI veut comprendre

On se croirait un peu revenu au temps des passe d’armes de 2012 entre Geneviève Fioraso et la FNSP sur la gouvernance d’un Sciences Po sérieusement égratignée par la Cour des Comptes. Suite aux accusations d’inceste portées contre Olivier Duhamel et à sa démission de la présidence de la FNSP, Frédérique Vidal a saisi l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) au motif que « Olivier Duhamel a occupé une place importante dans la gouvernance de l’IEP de Paris pendant de longues années » et que la presse « se fait par ailleurs écho du fait que le directeur de l’établissement, Frédéric Mion, aurait eu à connaître antérieurement des accusations rendues publiques par le livre de Camille Kouchner ». 

Dans ce contexte, « afin de protéger à la fois les personnels et l’École elle-même, de ne pas laisser s’installer dans le temps une situation préjudiciable à la bonne formation des élèves déjà fortement affectés par la crise sanitaire et à la réputation de l’établissement », Frédérique Vidal a demandé à la cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) de « diligenter au plus vite une mission afin d’établir la chronologie des faits, la responsabilité de chacun et les éventuelles failles dans l’organisation de la gouvernance ». Tout juste nommé à la présidence de la FNSP Louis Schweitzer a déjà répondu dans un entretien au Parisien son soutien au directeur de Sciences Po, Frédéric Mion : « J’ai le sentiment que Frédéric Mion doit rester, c’est un directeur remarquable ».

A contrario le président du Conseil de Sciences Po de 2016 à 2019, administrateur du Sénat, Nicolas Metzger a quant à lui envoyé un courrier à tous les membres du conseil « demandant solennellement au directeur-administrateur Frédéric Mion de démissionner et à l’ensemble du conseil d’administration de la FNSP d’être solidaire de cette décision respectable ». Ses arguments : « Restaurer la confiance, auprès de nos communautés et de nos partenaires, exige un acte de responsabilité. Le message doit être limpide : les innocents ne paieront plus le prix de la folie des puissants. De grâce, ne jouons pas sur d’habiles confusions entre responsabilité, culpabilité et complicité, lorsque l’intérêt supérieur de l’établissement et le respect des victimes commandent l’exemplarité ». Si Frédéric Mion ne prenait pas cette décision il en « appellerai au Président de la République pour mettre fin à son mandat ».

Frédéric Mion peut-il rester à son poste ?

C’est au premier chef la question du maintien de Frédéric Mion à la tête de Sciences Po qui s’impose dans le calendrier. Dans une lettre ouverte «Nous, étudiantes et étudiants, demandons la démission du directeur de Sciences-Po Frédéric Mion», publiée le 13 janvier sur le site de Libération, plus de 500 étudiants, professeurs et salariés de Sciences Po demandent ainsi son départ et appellent à des rassemblements devant Sciences Po. Ce que Frédéric Mion ne veut pas entendre. Dans un entretien à Sciences po TV, il explique que si « les demandes de démission venant des étudiants méritent d’être entendues démissionner signifierait que, à titre personnel, j’admets être, d’une quelconque manière, complice des agissements terribles que nous connaissons et que, à titre institutionnel, d’une certaine façon, Sciences po aurait part à la responsabilité de ces actes. C’est absolument impossible ».

L’institution n’entend pas pour l’instant lâcher son directeur et précise bien que c’est « en lien avec Frédéric Mion, directeur de Sciences Po et Administrateur de la FNSP, que sera engagée sans délai une concertation avec l’ensemble des parties prenantes à la vie de l’établissement pour identifier et pour mettre en œuvre toutes les mesures permettant d’accueillir la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles et d’améliorer leur accompagnement et leur prise en charge ».

Une situation de plus en plus précaire. Comme Le Monde le révélait la semaine dernière, c’est au cours des premiers mois de 2018 – et non « fin 2019 », comme il l’avait dit –, qu’Aurélie Filippetti l’aurait mis au courant des accusations d’inceste portées contre Olivier Duhamel. Des accusations que Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche émérite au Centre de recherches politiques de Sciences Po, avait confirmé à Aurélie Filippetti. Mais jamais Frédéric Mion ne tentera d’en apprendre plus de cette dernière pendant deux ans. Ni n’en parlera avec Olivier Duhamel. Mais évoquera le sujet avec l’associé de ce dernier, Jean Veil, qui les aurait balayées en évoquant de simples « rumeurs ».

Dans leur tribune les signataires expriment à rebours qu’il « est inconcevable, en étant à la tête d’une telle institution et d’autant plus lorsque l’on se vante de son implication dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, de justifier un tel silence et de se satisfaire d’une seule dénégation provenant de l’entourage proche d’Olivier Duhamel ». Et d’accuser : « Les violences sexuelles sont le quotidien des universités françaises – et Sciences Po ne fait pas exception. Elle est symptomatique d’un entre-soi, véritable boys club des élites françaises, prêtes à se protéger au détriment des victimes de violences sexistes et sexuelles ».

Olivier Duhamel au cœur du système

Le Monde consacre un long article à la personnalité d’Olivier Duhamel et a son rôle à Sciences Po. Dans Sciences Po, cœur du pouvoir d’Olivier Duhamel la journaliste Raphaëlle Bacqué, auteur de « Richie », le livre-portrait haut en couleur de Richard Descoings, y explique que « Olivier Duhamel est une sorte de diva depuis plus de trente ans. Bien avant de devenir l’un de ses dirigeants, il y a donné le cours-phare sur les institutions publiques, dispensé aux premières années. Mais il a toujours été bien plus qu’un bon pédagogue. Au sein de l’école de l’élite, il appliquait ce qu’il ne dispense pas dans ses cours : une science du réseau qui est, plus efficacement que la connaissance du droit, le moteur du pouvoir ».

Au sein du conseil d’administration de la FNSP, Olivier Duhamel, alors conseiller spécial de la direction, était selon elle toujours là pour défendre les transgressions de Richard Descoings : « Des parents viennent se plaindre. « Richie » envoie des messages enflammés à leur fils, élève de première année. « Le garçon est majeur ! », répond Duhamel ». Ou comment à Dominique Strauss-Kahn, devenu professeur à Sciences Po, Descoings et son conseiller spécial passent tout : « L’ancien ministre de l’économie se voit accorder une prime exceptionnelle et l’on ferme les yeux sur sa manie de draguer les étudiantes. »

Et maintenant ?

Après la crise de 2011, intervenue après la révélation du montant de la rémunération de Richard Descoings à la tête de Sciences Po, après le décès de ce dernier en 2012, après la publication du rapport de la Cour des Comptes Sciences Po Une forte ambition, une gestion défaillante, l’institut avait déjà traversé une sérieuse crise sans remettre vraiment en question son modèle. Une sorte de « Rien changer pour que rien ne change » qu’avait illustré en 2013 la nomination d’un Frédéric Mion largement extérieur au système universitaire quand les candidatures de Jean-Michel Blanquer, alors ancien recteur de l’académie de Créteil, de l’ancien président de l’université Paris 2, Louis Vogel, ou encore du politologue Dominique Reynié avaient été finalement retoqué.

Louis Vogel écrivait alors : « Le comité de recherche avait annoncé quatre critères pour sélectionner les candidats au poste de directeur de l’IEP et d’administrateur de la FNSP : bien connaître Sciences Po (…), disposer d’une bonne capacité de management (…), connaître le monde universitaire national et international, témoigner de son intérêt pour les disciplines enseignées à Sciences Po et d’une large compréhension des enjeux de la recherche dans les sciences sociales. J’ai présenté ma candidature au regard de ces quatre critères, car il me semblait que mon profil y correspondait. Mais le choix exprimé par le comité de recherche montre que le profil réellement souhaité est autre ».

  • Des élections sont prévues en mars 2021 pour désigner de nouveaux membres du conseil d’administration et de celle d’un nouveau Président de la FNSP, qui interviendra avant le 10 mai prochain.
  • En 2015 le JDD publiait un excellent portrait de Frédéric Mion, sorte d’antithèse de Richard Descoings (« Richie, le sulfureux, Mion, le vertueux »).
Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend