ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, ECOLES DE MANAGEMENT

Comment financer l’apprentissage en période de rigueur budgétaire ?

La table ronde consacrée au financement de l’apprentissage pendant l’Université d’hiver de la formation professionnelle 2025 de CentreInffo

Les questions de financement de l’apprentissage n’en finissent pas de crisper les débats avec souvent l’enseignement supérieur dans la ligne de mire. Nouvelle illustration avec un amendement sénatorial qui vient supprimer l’aide aux entreprises de plus de 250 salarié pour les contrats dans le supérieur. Sera-t-il adopté en désaccord avec le projet de décret sur les aides à l’apprentissage présenté fin 2024 ? Comment garantir la qualité des formations proposées? Autant de sujets largement traités du 22 au 24 janvier à Cannes pendant l’Université d’hiver de la formation professionnelle 2025 de CentreInffo.

  • Du 22 au 24 janvier se tenait au Palais des Festivals Cannes l’Université d’hiver de la formation professionnelle 2025 de CentreInffo. Pas de grandes annonces cette année mais trois journées passionnantes pour faire le point sur le présent et l’avenir de la formation professionnelle dont les questions d’apprentissage.

Une meilleure prise en compte des coûts des CFA. Dans son document de Contribution à la revue des dépenses publiques en vue des projets de lois de finances 2025 et 2026 la Cour des comptes estime que, alors que deux ajustements à la baisses ont déjà été effectués, les coûts moyens de l’apprentissage restant « élevés et croissants » (7 954 € en 2022 contre 7 602 € en 2021) tandis que le taux de marge moyen des CFA, à 10,6 % en 2022, serait « près de deux fois supérieur à celui du secteur de l’enseignement dans son ensemble ». Avec des différences marquées selon le type de structures : 20,9 % pour les structures privées contre 13,4 % pour les structures publiques, 9,8 % pour les structures consulaires et 8,8 % pour les CFA associatifs.

Si ce sont les branches professionnelles qui fixent les niveaux de prise en charge, France Compétences les régule. « Des milliers de niveau nous sont remontées et nous émettons des recommandations quand les valeurs ne sont pas dans la fourchette que nous établissons, en fonction de la remontée des comptabilités analytiques des CFA que nous estimons, quitte à qu’il y ait encore des négociations », rappelle Stéphane Lardy, directeur général de France Compétences, qui demande à chaque branche de faire des choix de financement dans le cadre d’une enveloppe globale.

Or beaucoup de CFA sont aujourd’hui en difficulté financière. « Nous formons six apprentis sur dix à perte. Que devons-nous faire ? Fermer des formations ? Faire de l’apprentissage 100% à distance, comme le font certains CFA, cela a-t-il un sens ? L’Etat doit réguler l’argent public », signifie Julien Gondard, directeur général de CMA France – Chambre de métiers et de l’artisanat qui possède de nombreux CFA. « Il faudrait fixer un minimum de qualité », demande Patrick Chemin, secrétaire général des Compagnons du devoir et du Tour de France. « Difficile d’intégrer la qualité dans le NPEC car on change de maille en passant à celle des CFA mais pas des certifications. Nous ne savons pas faire », répond Stéphane Lardy.

« Nous n’avons pas l’impression d’être maitres de nos financement, et surtout pas aux nouveaux 6 et 7 plafonnés à 12 000 € », conteste Thierry Teboul, président du GIE D2OF et directeur général de l’Opco Afdas, qui « regrette que projet de décret transforme l’aide à la formation en une aide à la première embauche ». En effet si le décret susnommé est finalement adopté un employeur ne bénéficiera de l’aide à l’embauche pour la première année de contrat qu’une seule fois. Aucune aide ne sera donnée si le candidat veut signer un nouveau contrat pour une nouvelle formation avec la même entreprise.

Quand les sénateurs votent contre l’enseignement supérieur. Dans le cadre du projet de loi de finance 2025 le Sénat a fait baisser le montant des aides aux employeur de 6 000 à 5 000 euros par apprenti, quand le gouvernement espérait une réduction à 4 500 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, et à 2 000 euros pour celles de plus de 250 salariés. Dans le cadre d’un décret pas encore publié l’exécutif tablait sur une économie de 1,2 milliard d’euros.

Mais là où le Sénat change vraiment la volonté gouvernementale c’est quand il vote pour que les entreprises de plus de 250 salariés ne puissent plus prétendre aux aides dans la mesure où elles embauchent des apprentis dont le niveau de formation dépasse bac+3. Alors que le gouvernement ne prévoyait pas de critère de diplôme ce serait un vrai choc pour les établissements d’enseignement supérieur si l’amendement sénatorial était finalement adopté par les deux assemblées. « Pour les entreprises de plus de 250 salariés, il faut limiter le niveau à bac + 3, pour éviter l’effet d’aubaine. En effet, de grandes entreprises embauchent des bacs + 5, + 6, + 7 pour effectuer le travail de cadres, à un salaire bien inférieur ! C’est de l’argent public utilisé sans une réelle efficacité derrière – bref, jeté par la fenêtre », a stigmatisé le sénateur LR de Haute-Saône Olivier Rietmann.

Offrir l’enseignement supérieur à tous ! Ces réflexions sénatoriales on les entend régulièrement depuis 2018. Elles ne prennent pas en compte l’intérêt du dispositif pour les étudiants comme le souligne Vincenzo Esposito Vinzi, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) et directeur général de l’Essec, école pionnière de l’apprentissage en 1993, qui compte aujourd’hui 1 000 apprentis sur 7 000 étudiants : « Il ne faut surtout pas que l’apprentissage soit le grand sacrifié de l’instabilité politique ambiante. Alors évidemment l’État a une question de coûts à réduire mais ne doit pas oublier combien le modèle est pédagogiquement extrêmement bénéfique tout en étant un levier d’ouverture sociale. A l’Essec les boursiers sont deux fois plus nombreux en apprentissage que les non boursiers. 26% des apprentis sont issus de familles dont aucun parent n’est cadre contre 14% pour les autres. »

Un message relayé par Stéphane de Miollis, directeur général du Groupe Igensia qui vient justement d’ouvrir un nouveau campus entièrement consacré aux formations en alternance dans le supérieur : « Aujourd’hui 90% de nos diplômés de nos titres renouvelés récemment trouvent un emploi dans les six mois. Nous y parvenons parce que nous leur donnons la main à l’entrée en formation avec un encadrement spécifique et les coûts afférents. Cesser de financer les niveaux 6 et 7 reviendrait à créer des inégalités sociales dans l’accès à la formation p les personnes les plus contraintes ».

Dans les pistes de financement il serait envisageable selon certains de moduler la prise en charge de la formation des apprentis en fonction des revenus des familles. « Aujourd’hui c’est interdit mais cela ne devrait pas être un tabou, propose Vincenzo Esposito Vinzi De même il faudrait que la hausse du reste à charge soit modulée en fonction des moyens des entreprises pour ne pas couper l’accès au TPE/PME en ne conservant que des grandes entreprise ».

Des abus à résoudre. L’apprentissage est aussi dans la ligne de mire des assemblées en raison de certains abus. Dans leur volonté de lutter contre les fraudes dans l’enseignement supérieur privé lucratif sur Parcoursup, Élisabeth Borne et Philippe Baptiste mettent ainsi en avant des demandes de frais de scolarité indues pour les formations en apprentissage et le manque de transparence de certains. Contrats. « Il ne faut pas remettre globalement l’apprentissage en question mais traiter les abus. Nous attendons donc toujours beaucoup de la création d’un label pour l’enseignement supérieur privé qui semblait prêt de sa finalisation l’été dernier. Patrick Hetzel, le ministre de l’Enseignement supérieur, avait très bien identifié la nécessité d’une approche interministérielle. L’apprentissage devrait être lié à ce label et à des formations de qualité », réagit Vincenzo Esposito Vinzi.

Là aussi Stéphane de Miollis est en phase : « L’enseignement n’est pas un produit comme les autres et ne doit pas le devenir. A partir du moment où des fonds publics participent à son financement il doit y avoir une exigence et une excellence. Le régulateur doit permettre aux familles de se retrouver dans l’offre pléthorique. Il faut faire comprendre à ceux que j’appelle les « opportunistes lucratifs » que le système éducatif n’est pas un secteur comme les autres ».

En sus des actions de la Dgesip, qui a rédigé une « charte qualité » de l’apprentissage – un groupe de travail est aujourd’hui missionné au sein du ministère du Travail et de l’Emploi pour assurer un meilleur contrôle qualité des formations en apprentissage dans l’enseignement supérieur. « Il faut aller plus loin dans les contrôles des formations en apprentissage, qui concernent des jeunes, alors que nous sommes passés de 900 à 3 500 prestataires. Il faut travailler la pédagogie de l’alternance », souligne Stéphane Rémy, sous-directeur des politiques de formation et de contrôle à la DGEFP (Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle) du ministère de Travail et de l’emploi, alors que des modèles différents des CFA traditionnels sont apparus, notamment dans l’enseignement supérieur.

  • La Cour des Comptes fait le point sur le financement de l’apprentissage. Dans son document de Contribution à la revue des dépenses publiques en vue des projets de lois de finances 2025 et 2026 la Cour des Comptes consacre une large part au financement de l’apprentissage. Selon elle le soutien public à l’apprentissage a atteint 16,5 Md€ en 2023 (comme en 2022) dont 7,5 Md€ portés par le budget de l’État et 8,7 Md€ par France compétences hors subvention d’équilibre de l’État et devrait être du même ordre de grandeur en 2024. Alors que la réforme de 2018 ne prévoyait pas dans son principe de contribution de l’État au-delà de celles des entreprises, l’amplification des aides dans le contexte post-crise sanitaire n’est selon elle « plus soutenable, d’autant qu’elle a majoritairement bénéficié aux étudiants de l’enseignement supérieur au risque d’effets d’aubaine majeurs ». Aussi affirme-t-elle il est « indispensable d’engager la baisse du soutien de l’État » en agissant sur cinq leviers : le recentrage des aides sur les formations des niveaux 3 et 4, la diminution du niveau de l’aide à l’embauche, la baisse du niveau de prise en charge des formations et l’amélioration du financement des centres de formation des apprentis (CFA).La Cour des comptes note également que, réalisé en 2019, le premier exercice de détermination des niveaux de prise en change (NPEC) a abouti à une croissance des coûts de formation surestimés d’environ 20 % et à des « écarts injustifiés » entre formations de même niveau et de même domaine selon la Cour des Comptes. Par la suite, deux diminutions consécutives des NPC ont été réalisées : une baisse de 2,7 % est intervenue à l’été 2022, générant une économie d’environ 250 M€ sur 2022 et 2023, tandis qu’une seconde baisse de 5,2 %, plusieurs fois reportée, a finalement eu lieu à l’automne 2023 avec une économie prévisionnelle de 460 M€.
  • Quelle mobilité internationale pour les apprentis ?  « Partir en apprentissage à l’international quand on est étudiant reste compliqué dans la mesure où beaucoup de pays n’ont pas de contrat adapté » constate Jean Arthuis, grand promoteur de la mobilité internationale des apprentis au sein de l’association Europeapp Mobility et ancien ministre des Économies et des Finances lors d’une table ronde consacrée aux questions de mobilité des apprentis pendant l’université d’hiver de la formation professionnelle 2025 de CentreInffo. L’objectif officiel est aujourd’hui de voir 12% des apprentis partir en séjour à l’international dès 2030 alors qu’un décret simplifiant les procédures a été signé fin 2024. « Ne privons pas les apprentis de niveaux 3, 4 ou 5 de la possibilité de partir à l’international dans le cadre d’un programme Erasmus d’abord créé pour l’enseignement supérieur », insiste-t-il. « Chaque apprenti entrant dans nos CFA devrait pouvoir partir à l’international au même titre qu’un étudiant », rebondit Philippe Perfetti, conseiller Emploi Formation, chargé de mission auprès du directeur général de CMA France. Mais la question vaut aussi pour l’enseignement supérieur. « Organiser des périodes d’apprentissage à l’international est très compliqué et cela freine le départ de nos étudiants et fait baisser leur niveau en langues », note Etienne Duboisset, responsable entreprises et carrières de Clermont BS.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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