ECOLES DE MANAGEMENT, PORTRAIT / ENTRETIENS

Comment se forge un destin ? : Isabelle Huault, présidente du directoire et directrice générale d’emlyon business school

Un destin, c’est une suite de choix. Dont certains sont décisifs. Nous sommes en 1990. Tout juste diplômée de la majeure finance de l’ESC Lyon, à la sortie d’un stage dans une entreprise de capital risk lyonnaise, Siparex, Isabelle Huault a le choix entre la voie royale du conseil – chez Arthur Andersen, à l’époque l’un des cinq géants de l’audit et du conseil -, et une poursuite d’études. La future directrice d’emlyon s’interroge : « J’ai décidé de poursuivre mes études en DEA à Lyon 3. J’y ai pris le goût de la recherche et j’ai enchainé par un doctorat ». Trente ans après, elle fera son retour à emlyon pour en prendre la direction : « C’était important pour moi de rejoindre mon alma mater ».

En classe préparatoire au lycée Ampère de Lyon. Isabelle Huault n’a pas fait que ses études à Lyon. Elle y est née, y a habité toute son enfance – tout près à Villeurbanne – et y a suivi ses études. « J’étais une bonne élève mais pas excellente en mathématiques. Alors que mes parents auraient préféré que j’entre en maths sup je choisis donc d’intégrer une prépa HEC. Je ne savais pas trop ce que je voulais faire, mais j’avais de l’appétence pour les disciplines enseignées. »

Entrée en 1985 en classe préparatoire au lycée Ampère de Lyon, Isabelle Huault va y vivre une première année difficile : « J’étais au fond du classement, je travaillais tout le week-end pour préparer des khôlles où j’échouais. On m’avait prévenu que ce serait difficile mais je pensais être l’exception ».

A la Toussaint, elle envisage de tout abandonner mais ses parents la poussent à s’accrocher. Fille unique d’un couple de la classe moyenne, dont aucun n’a obtenu le bac, elle est en effet très soutenue par une famille où « le savoir est très valorisé ». Résultat : à la fin de cette année de prépa – à l’époque les classes préparatoires HEC ne durent qu’un an – Isabelle Huault peut intégrer quelques bonnes écoles mais préfère redoubler. « J’ai bien fait car l’année suivante j’étais admissible à HEC. Tout en ayant eu une mauvaise note aux écrits de l’Essec. Le concours d’HEC était plus ouvert sur les humanités et la philosophie. »

De ses deux années en classe préparatoire, Isabelle Huault conserve le souvenir d’excellents professeurs. En particulier d’un professeur de philosophie et culture générale, qui l’a beaucoup soutenue : « La première année, quand il distribuait les copies en commençant par les meilleures, j’étais toujours dans les cinq dernières. Mais l’année suivante j’ai plusieurs fois été major en philo. Rien n’est impossible si on s’en donne la peine ! »

Étudiante à l’ESC Lyon. Comme beaucoup d’étudiants de classes préparatoires, Isabelle Huault ne sait pas forcément à quoi s’attendre pour la suite : « Je ne savais pas trop ce qu’était une école de commerce. Sans parler de l’entreprise que je ne connaissais que par le prisme de mon père. Seule comptait à l’époque la réussite à un beau concours ! »

Cet intérêt pour la compétition académique, Isabelle Huault avait déjà pu le mesurer en terminale : « J’ai été lauréate d’un concours d’éloquence national à Paris. Ma professeure de lettres m’avait inscrite ainsi que deux autres élèves dont elle pressentait le potentiel ». Pour l’emporter, elle cite les réussites de chefs d’entreprise emblématiques des années 80. Et ramène une coupe chez elle ! : « Pour quelqu’un comme moi qui n’était pas très sûre d’elle, cela permet d’acquérir un peu d’assurance. »

Deux ans après cette coupe, Isabelle Huault intègre emlyon : « J’aurais aimé quitter la région, mes parents, vivre sur la résidence du campus mais les chambres étaient réservées aux étudiants des autres régions ». Si elle ne s’intègre pas tout de suite aussi bien qu’elle le souhaiterait, elle n’en profite pas moins de la proximité qui s’établit facilement entre tous les étudiants dans des promotions qui ne dépassent pas alors les 200 étudiants, dont 180 issus de classes préparatoires.

Pourtant Isabelle Huault est déçue par l’enseignement qu’elle reçoit : « On nous avait beaucoup irrigué sur le plan académique en classe préparatoire et là tout devenait assez plat. Beaucoup de pratique, des savoirs faire et parfois des recettes à appliquer. Heureusement cela a beaucoup changé depuis dans les écoles, avec l’ouverture au monde et l’arrivée de corps professoraux de haut niveau ».

L’enseignement n’étant pas à la hauteur de ses attentes, Isabelle Huault se passionne pour la vie associative. Et se présente même sur une liste pour animer la junior entreprise : « C’était une belle campagne. Cela m’a permis de me faire beaucoup d’amis et m’a appris à travailler en groupe ». Militante depuis quelque temps à Amnesty International, elle intègre l’association humanitaire Odyssée (aujourd’hui Solidari-terre), qui vient d’être créée, et participe à une mission en Pologne, alors encore sous l’emprise soviétique. « L’engagement humanitaire, dans la RSE, n’était pas du tout valorisé à l’époque. Nous sommes dans les années 80, à l’époque de l’entreprise glorifiée, le management se doit d’être au service de l’entreprise et pas forcément de toute la société. » A contrario Isabelle Huault mettra ensuite cette volonté de s’engager dans le management au service de la société au cœur de sa vie professionnelle et de ses travaux de recherche.

L’entrée dans la carrière. Pendant son DEA (diplôme d’études approfondies, l’ancêtre des masters) en sciences de gestion, commun à l’ESC Lyon et à l’IAE (Institut d’Administration des Entreprises) de l’université Lyon 3, Isabelle Huault « découvre son goût pour la recherche ». Elle y fait également des rencontres avec d’autres futurs responsables de l’enseignement supérieur. Le futur directeur par intérim d’emlyon, Tugrul Atamer, y est son professeur et le futur directeur de ESCP, Frank Bournois, y enseigne également.

Un univers dans lequel elle s’épanouit : « J’ai eu la révélation d’un environnement où on interroge les concepts et c’est tout naturellement que j’ai poursuivi par une thèse ». Mais comme elle tient absolument que son travail soit au plus près des faits en entreprise, c’est une thèse CIFRE, toujours à Lyon 3, qu’elle prépare chez PSA Peugeot-Citroën à Paris sur le thème « Multinationalisation des grandes entreprises implantées en France et gestion des cadres : spécificité du contexte européen ? ».

Même si elle se rend compte à ce moment-là qu’une « thèse CIFRE n’est pas le meilleur moyen d’entrer dans une carrière académique », ses trois années de thèse la poussent, l’ont convaincue qu’elle avait toute sa place à l’université.

En 1994 Isabelle Huault prend donc son premier poste en tant que maître de conférences en sciences de gestion (MSG) à l’Université Versailles-Saint Quentin (UVSQ). Reçue à l’agrégation du supérieur en 1999, elle est alors nommée professeure à l’université Paris 12 Val de Marne, à Créteil, face à des étudiants de première année pas toujours faciles : « Je me suis retrouvée devant des grands amphis un peu difficiles parfois. A la fois face à des étudiants à très haut potentiel, qu’on a envie de faire progresser, mais aussi face à d’autres qui ne sont absolument pas à leur place ».

Trois ans plus tard, en 2002, elle entre dans une université de premier rang, Paris 2 Panthéon-Assas, et, en 2005, saisit l’opportunité d’entrer à Paris-Dauphine, une université qui se distingue dans le paysage français.

Jusqu’à la présidence. « Paris-Dauphine est en effet une université hybride, si on y trouve des figures historiques de sciences de gestion, elle est aussi excellente en mathématiques ou en économie. Une large part de son financement repose sur ses ressources propres. Cela caractérise bien mon parcours : à la fois dans la recherche et proche du monde socio-économique. » Isabelle Huault va passer quinze ans au sein de Paris-Dauphine et y franchir tous les échelons au cours d’un parcours très marqué par la recherche. D’abord directrice de l’école doctorale de gestion, elle va diriger l’Unité Mixte de Recherche (UMR CNRS) Dauphine Recherches en Management tout en étant vice-présidente de la section gestion du CNU (Conseil national des universités).

En 2015, le président de l’époque, Laurent Batsch, la nomme vice-présidente chargée de la gestion des enseignants-chercheurs. En décembre 2016, elle est élue présidente. « Compte tenu des résultats obtenus par mes listes dans les différents collèges, il n’y avait pas d’autre candidat à l’élection à la présidence. Ces bons scores tiennent sans doute à ma légitimité acquise en ayant su rassembler, participé au Comex de l’université et en m’étant intéressée à d’autres périmètres.»

En 2020, nul ne doutait vraiment de sa réélection et Isabelle Huault se prépare à faire campagne pour un second mandat : « Au moment du début du premier confinement, j’avais commencé à écrire mon bilan et mon programme pour les élections de novembre 2020 » – quand la possibilité de prendre la direction d’emlyon se présente. Un cabinet de recrutement l’approche, des collègues la contactent. « Cela me surprend un petit peu car la porosité entre les universités et les grandes écoles n’est pas très forte. Il y a beaucoup de regards caricaturaux d’un côté comme de l’autre. Mais, notamment parce que je suis lyonnaise, je creuse le sujet. »

Retour dans son « alma mater ». Isabelle Huault n’a jamais coupé les ponts avec son « alma mater ». Elle avait présidé le jury d’intégration et de diplomation d’emlyon et fut membre de son conseil d’administration : « Je connais très bien la Faculté que je sais être de très haut niveau ». Elle ne méconnait pas non plus les turbulences dans lesquelles l’école est plongée. Son changement de statut, emlyon est désormais une entreprise privée, a fait couler beaucoup d’encre. Nommé en avril 2019 son directeur général, Tawhid Chtioui, a quitté l’école début 2020. Enfin la durée de son habilitation à délivrer le titre de master pour son diplôme grande école a été réduite de cinq à trois ans.

Pas de quoi décourager Isabelle Huault : « Je pensais pouvoir apporter de la sérénité avec un profil académique. De plus j’avais la certitude que les fondamentaux de l’école étaient toujours là. Il fallait lutter contre les propos erronés tenus sur l’école et reconstituer une équipe managériale. » Son expérience à la tête de Paris-Dauphine lui permet de comprendre rapidement les attentes des équipes. « Je n’ai pas changé de métier, ni d’identité professionnelle, en passant de l’une à l’autre ! Les fondamentaux sont identiques. Les différences résident dans la gouvernance et dans le modèle économique. Sur ce dernier point, Dauphine est une université hybride : 50% des ressources de Dauphine-PSL lui sont propres et Paris-Dauphine est à la fois membre de la Conférence des Grandes Écoles (CGE) et de la Conférence des Présidents d’Université (CPU). »

Depuis un an et deux mois qu’elle dirige emlyon, beaucoup de dossiers ont avancé. Pour réaffirmer sa mission d’intérêt général, emlyon est ainsi devenue une société à mission. « C’est un projet très structurant et fédérateur qui a été engagé dès mon arrivée à la direction de l’école. C’est le fruit d’une démarche participative qui nous a permis d’aboutir à la formulation de notre raison d’être associée à des objectifs sociaux et environnementaux clairement définis. »

Surtout la construction de son futur campus a été lancée en octobre 2021. En 2023 les étudiants feront leur entrée dans ce qui sera le premier campus d’une école de management construit spécialement pour elle depuis celui de l’Edhec en 2010. « C’est un projet emblématique à tous les points de vue, à la fois un levier extraordinaire pour notre attractivité internationale et un très beau geste architectural au centre de Lyon. » Fini donc le lointain campus d’Ecully pour un projet qui a largement évolué depuis l’arrivée d’Isabelle Huault : « Nous avons revu la copie pour en faire un vrai espace d’apprentissage. Le Hub Gerland est devenu l’Agora des transformations. Ce sera un campus connecté et durable, dans le respect des normes environnementales les plus exigeantes. Nous voulons également en faire un lieu ouvert vers les entreprises, les associations, les partenaires académiques. Toutes celles et ceux intéressés par nos activités – incubateur, accélérateur, maker’slab, conférences scientifiques…– seront les bienvenus. » Isabelle Huault imprime peu à peu sa marque sur emlyon.

  • Le sport pour maintenir son équilibre. Cyclisme, jogging, fitness, ski de piste ou de randonnée l’hiver, Isabelle Huault pratique de nombreux sports toute l’année. « Une nécessité pour entretenir son endurance. Les agendas sont chargés, il faut être en forme sur tous les plans. Le sport est pour moi un moyen d’entretenir un équilibre entre une vie professionnelle active et personnelle. La forme physique est en effet une composante significative des fonctions de direction et une pratique sportive régulière permet à l’évidence de décompresser. Cette activité est d’une certaine façon inscrite dans mon agenda, c’est une question d’organisation qui n’est pas insurmontable et reflète une volonté et des priorités. » Quand elle était étudiante à l’ESC Lyon, Isabelle Huault appréciait particulièrement les sports collectifs – notamment le volley en compétition universitaire – qui «reposent sur des valeurs qui me semblent importantes : exigence, persévérance, émulation, respect d’autrui, goût du collectif, solidarité… »
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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