Mais comment amener plus de filles à de destiner aux carrières scientifiques ? 1 000 fois posée la question semble sans solution alors que la réforme du bac semble même avoir détérioré la situation. L’École polytechnique a par exemple connu une année noire dans le recrutement de filles en 2024 avec une promotion dans laquelle leur part est passée de 20 à 16%. Pour y remédier Elisabeth Borne, la ministre de l’Education, l’Enseignement supérieur et de la Recherche, lance le plan Filles et maths sans exclure l’instauration de quotas en classes préparatoires scientifiques.
Un rapport de France Stratégie intitulé Lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Quel bilan de la décennie, quelles priorités d’ici à 2030 ? va plus loin en préconisant un bonus sur Parcoursup et sur Affelnet aux filles et garçons « dont les vœux d’orientation se portent sur des spécialités de formation où leur sexe est nettement minoritaire ».
Non « Filles et maths » n’est pas un oxymore ! Le constat : aujourd’hui alors que 42 % des filles suivent l’enseignement de spécialité mathématiques en terminale elles ne représentent que 25 % des étudiants qui intègrent des formations supérieures conduisant aux métiers d’ingénieurs et du numérique. Face à ce constat, un travail a été mené conjointement par l’Inspection générale des finances (IGF) et par l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a débouché sur un rapport intitulé Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles qui est le ferment du nouveau plan.
Le constat des deux inspections : sur l’ensemble des formations STEM (entendues ici comme les mathématiques, la physique-chimie, l’informatique et les sciences de l’ingénieur), la proportion de femmes est passée de 25 % en 2006 à 29 % en 2023, soit +4 points en 17 ans. Cette dynamique a fortement ralenti : la part des femmes en cursus ingénieur avait progressé de 5 % à 28 % entre 1972 et 20106, soit +0,61 point par an. En revanche, entre 2010 et 2023, la progression n’est plus que de +0,15 point par an. Autrement dit, la proportion de femmes dans l’enseignement supérieur en STEM n’évolue quasiment plus depuis 2010 et se stabilise sous les 30 %.
Mais rien n’est écrit. Si l’École polytechnique a vu son pourcentage de filles baisser cette année, CentraleSupélec a au contraire vu ce pourcentage passer de 17 à 20% alors que la taille de ses promotions est le double de celle de l’X. « 20% c’est beaucoup pour les disciplines que nous dispensons et qui sont tournées vers des sciences de l’ingénieur peu prisées des jeunes femmes. C’est peut-être un effet de notre communication et de notre volonté de rendre notre campus attractif pour les femmes. Ce bon recrutement féminin s’accompagne du meilleur recrutement réalisé depuis la création de CentraleSupélec en MP et PC. En PSI c’est stable », note Romain Soubeyran, le directeur de CentraleSupélec.
Dans leur rapport les inspections estiment que, « compte tenu de l’urgence, notamment économique, à augmenter la proportion de femmes dans ces filières et du caractère durable de leur sous-représentation, le quota ou la mesure de faveur permettent un rééquilibrage rapide ». Dans son entretien aux Echos, Elisabeth Borne répond qu’alors que « le rapport préconise d’atteindre au moins 20 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique en 2026 et 30 % en 2030 » elle « reprend cet objectif à mon compte ». Elle va maintenant réunir prochainement les représentants des proviseurs des lycées concernés pour « trouver le meilleur chemin ». Les inspections estiment qu’un quota de 40 % pourrait être fixé à « brève échéance » en classe préparatoires mathématiques et physique-chimie alors qu’une « période de transition apparaît en revanche nécessaire pour l’informatique et les sciences de l’ingénieur ».
Le rapport de France Stratégie va plus loin en proposant « d’instaurer un bonus » sur Affelnet et Parcoursup pour les jeunes filles et garçons « dont les vœux d’orientation se portent sur des spécialités de formation où leur sexe est nettement minoritaire ». Ce qui a fait réagir très fortement Philippe Baptiste, toujours dans Les Echos qui indique qu’« il n’y a pas de « bonus » sur Parcoursup. Utiliser ce terme c’est alimenter la machine à fantasmes, c’est alimenter l’idée que la plateforme fait une abominable tambouille avec des points, des bonus et des malus, ce au moment même où 1 million d’élèves attendent leurs résultats. Ce n’est pas responsable ». France Stratégie propose également de « fixer aux établissements de formation initiale, publics et privés, des objectifs de progression de mixité des spécialités de formation pré et post-bac » et de « bonifier les subventions aux établissements en fonction des progrès accomplis avec des fonds dédiés ».
Les huit mesures proposées par Elisabeth Borne. Le plan Filles et maths propose huit mesures :
- dès la rentrée 2025, tous les professeurs de l’éducation nationale bénéficieront d’une sensibilisation aux biais de genre ;
- dès la rentrée 2025, un plan de formation pluriannuel permettra de former tous les professeurs des écoles et les professeurs de mathématiques du second degré à la prévention des biais de genre et des stéréotypes dans l’apprentissage des mathématiques ;
- dès la rentrée 2025, une charte de lutte contre les stéréotypes sera affichée en salle des maîtres et en salle des professeurs ;
- la mise en place d’objectifs cibles dès le lycée avec l’objectif que 30 000 filles de plus en 2030 choisissent l’enseignement de spécialité de mathématiques en classe de première et le conservent en terminale, soit 5 000 filles de plus par an à compter de la rentrée 2025 ;
- la création de classes à horaires aménagés en 4e et en 3e en mathématiques et en sciences avec des partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche constitués d’au moins 50 % de filles ;
- la mise en place de cible de filles à l’entrée en CPGE scientifique avec un minimum de 30 % en 2030 ;
- une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes professeurs en classe préparatoire scientifique avec au moins 30 % de femmes parmi les nouvelles nominations en classes préparatoires ;
- la mise en place de rencontres systématiques avec des rôles modèles de la 3e à la terminale.
Réagir face à une aggravation des stéréotypes de genre. Si la réflexion sur la place des filles dans ls filières scientifiques reprend de l’ampleur c’est aussi parce qu’« on assiste à une aggravation des stéréotypes de genre au sein de la société que l’on retrouve au sein de l’école, comme l’indique le dernier rapport des inspections générales sur ce sujet », note Elisabeth Borne dans son entretien aux Echos. On observe même une recrudescence de certains préjugés, notamment chez les jeunes. 56 % des 18-24 ans pensent que « les mères savent mieux répondre aux besoins des enfants que les pères », contre 50 % en 2014 selon le sondage CSA-France Stratégie réalisé auprès de 1 500 Français de cette tranche d’âge. Si 62 % d’entre eux se disaient « tout à fait d’accord » avec l’idée que « les filles ont autant l’esprit scientifique que les garçons » en 2014, ils ne sont plus que 53 % en 2022.
L’étude Gender Scan Etudiants 2025 le confirme. « Lorsqu’elles s’orientent vers ces métiers les femmes le font le plus souvent contre l’avis de leurs professeurs mais aussi, et c’est nouveau, contre aujourd’hui l’avis de leurs pairs. Nous assistons à une remontée de préjugés sexistes dans les jeunes générations », s’inquiète Claudine Schmuck, directrice de l’agence Global Contact qui réalise l’étude centrée sur les métiers et formations du numérique.

Source : Gender Scan Etudiants 2025
Et si on veut orienter plus de filles vers les STEM encore faut-il qu’elles puissent s’intégrer dans des métiers quelque peu… machistes. Lisons ce témoignage, parmi beaucoup d’autres, d’une femme dans les métiers STEM issu de l’étude Gender Scan : « C’est plus un sentiment de non-appartenance au groupe. En tant que femme, je n’ai pas le sentiment d’avoir pleinement ma place dans ce domaine. J’ai l’impression de ne pas « coller » au profil de l’informaticien en général. J’ai des passions très différentes en dehors de l’informatique et j’ai l’impression que c’est rarement le cas de mes camarades ». L’enquête OpinionWay/Elles bougent de 2024 montre ainsi qu’environ 80 % des femmes ingénieures et techniciennes considèrent subir du sexisme ou de la discrimination et ne pas évoluer professionnellement dans leur entreprise.
Source : OpinionWay/Elles bougent de 2024
Pour lutter contre ces comportements les écoles d’ingénieurs ont développé de nombreux dispositifs, notamment pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Indispensable quand on sait l’appétence qu’ont les entreprises pour les profils féminins dans ces métiers. « C’est plus difficile de recruter 25% de femmes dans la tech que 35% dans les conseils d’administration », constate Vincent Lecerf, DRH du groupe Orange, qui développe des actions spécifiques pour former plus de femmes dans ses CFA.
- Les clivages hommes/femmes ne s’arrêtent pas aux questions d’orientation. Auteurs d’une étude à ce propos, les économistes Yann Algan et Eugénie de Laubier constatent, dans une tribune au « Monde », que le genre a un impact très significatif sur les positionnements politiques des moins de 40 ans : les femmes sont plus à gauche, les hommes plus à droite. Grâce à l’exploitation de la dernière vague 2023 de l’enquête European Social Survey, l’étude « Un fossé idéologique grandissant entre jeunes femmes et jeunes hommes» (Observatoire du bien-être, Cepremap, mars 2025) permet de suivre l’évolution des valeurs des jeunes Françaises et Français entre 2002 et 2023